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jeudi 30 avril 2020

Au temps des castrations « thérapeutiques » en psychiatrie

Publié le 29/04/2020




Réalisée en 1892 et déplacée en 1934 au bord de Central Park, à New York, la première statue commémorant un médecin aux États-Unis était celle de James Marion Sims[1] (1813–1883), considéré comme « le père de la gynécologie moderne. » Mais cette statue a été retirée en 2018, car il est apparu que JM Sims n’avait pas hésité à « expérimenter » ses techniques chirurgicales sur des esclaves noires qu’il opérait, parfois à plusieurs reprises, sans aucune anesthésie, une technique jugée peu sûre à l’époque.

Un traitement cruel de l’hystérie

Ce pionnier controversé est évoqué par une équipe du Japon dans une étude sur l’histoire d’une intervention pour le moins contestable, « l’opération de Battey. » À ce propos, on peut aussi consulter sur le site Gallica de la BNF un texte intitulé Étude critique sur l’ovariotomie normale ou opération de Battey[2], et publié en 1879 par le Dr Auguste Lutaud, un personnage plutôt truculent, puisqu’il s’autoproclama « Auguste 1er, roi de l’Île d’Or »[3] (près de Saint Raphaël) après l’acquisition de cette île !

Développée par le chirurgien américain Robert Battey[4] (1828–1895), cette pratique consiste en une ovariectomie, c’est-à-dire une castration féminine. Acceptable en cas d’indication justifiée (comme une tumeur maligne), cette intervention choque nos actuelles conceptions éthiques quand l’histoire de la médecine nous apprend qu’elle fut proposée, dans la seconde moitié du XIXème siècle, pour des motifs douteux (dysménorrhée, aménorrhée, « syndrome épileptique ovarien »...), voire carrément pour des indications psychiatriques ! Comme pour des troubles qualifiés d’hystérie ou de nymphomanie...

Qui aurait concerné 150 000 femmes

Si Battey en personne est crédité de « plusieurs centaines d’ovariectomies », on estime qu’environ 150 000 femmes ont été concernées par cette « opération de Battey. » Cruellement inutile en général, cette intervention a pourtant permis de découvrir parfois une « dégénérescence kystique » des ovaires réséqués. Les auteurs rappellent qu’actuellement, des patientes avec des symptômes neuropsychiatriques aigus (mais sans antécédent psychiatrique) sont soumises à un dépistage des tératomes pour le diagnostic différentiel d’une encéphalite auto-immune avec présence d’anticorps contre les récepteurs NMDA[5].

Atténuant en partie la responsabilité morale de Battey et de ses épigones, il existe « une hypothèse selon laquelle des lésions ovariennes entraînant une encéphalite paranéoplasique » affectaient certaines patientes traitées par ovariectomie. Autrement dit, la collusion insolite de troubles psychiatriques (hystériformes) et de troubles authentiquement ovariens aurait pu contribuer à aiguiller les praticiens de l’époque vers une castration chirurgicale. Or dans leur revue de 94 cas publiés d’intervention de Battey pour des symptômes neuropsychiatriques à la fin du XIXème siècle, et parmi 36 patientes avec une « description détaillée » des troubles, les auteurs ne trouvent que 3 patientes qui présentaient ainsi « des symptômes neuropsychiatriques d’apparition aiguë avec des résultats ovariens macropathologiques, compatibles avec un tératome. » Mais comme le pronostic de ces patientes après l’intervention se révéla « favorable », les auteurs estiment que cette évolution positive « a pu encourager les praticiens » à proposer cette opération de Battey dans des cas plus litigieux.


Dr Alain Cohen
RÉFÉRENCE
Komagamine T et coll.: Battey’s operation as a treatment for hysteria: a review of a series of cases in the nineteenth century. History of Psychiatry, 2020; 31(1): 55–66.

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