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mardi 28 avril 2020

«Nous avons mis au point le seul test qui mesure le degré d’immunité»

Par Nathalie Raulin, Photo Marc Chaumeil — 
A Paris, vendredi.
A Paris, vendredi. Photo Marc Chaumeil

A deux semaines du déconfinement, le directeur du laboratoire Pasteur-TheraVectys, Pierre Charneau, affirme avoir développé un test de sérologie qui permet d’identifier les individus protégés du Covid-19. Il pourrait être rendu accessible aux particuliers après le feu vert des autorités.

C’est une première qui devrait faciliter la stratégie française de déconfinement. Le laboratoire de vaccinologie commun à l’institut Pasteur et à l’entreprise de biotech TheraVectys vient de combler une faille importante dans l’arsenal des outils indispensables pour libérer la population sans réactiver l’épidémie : la mise au point d’un test de sérologie capable de préciser le degré d’immunité des malades guéris du CoV2. Expérimenté pour la première fois dans le cadre de l’étude de l’Institut Pasteur sur le lycée Jean-Monnet de Crépy-en-Valois (Oise) et utilisé depuis le 20 avril par la recherche en épidémiologie, ce test pourrait être accessible prochainement aux particuliers. Fondateur et directeur scientifique de TheraVectys, directeur du laboratoire commun Pasteur-TheraVectys, le virologue Pierre Charneau affirme en outre que son équipe est «très avancée, sans doute la plus avancée de la planète» sur un vaccin anti-CoV2.
Les tests sérologiques ont longtemps été présentés comme un outil clé pour sortir du confinement. Pourquoi est-ce moins le cas aujourd’hui ?
C’est qu’on mesure désormais les limites des différents tests sérologiques existants, tous basés sur une technique dite d’Elisa. Ces derniers sont conçus pour détecter les anticorps que développe une personne après une infection par le coronavirus. Le principe est simple : il s’agit de mettre en contact une protéine du virus avec le sang du sujet. En cas de présence d’anticorps, le test réagit. Mais outre une fiabilité pas toujours excellente, ces tests ne disent rien de la qualité de l’immunité ainsi acquise. En clair, la présence d’anticorps ne permet pas de dire si on est protégé ou non contre une nouvelle infection par le coronavirus. Cela limite considérablement leur intérêt.
Vous avez réussi à remédier à ce problème ?
Oui. Nous avons mis au point un test de «séro-neutralisation» qui détecte les anticorps mais surtout qui mesure leur capacité à inhiber l’entrée du virus dans une cellule. Ce test renseigne donc sur l’efficacité des anticorps. Comme il est très sensible, très spécifique contre le CoV2, ce test permet de graduer les résultats de la réponse immunitaire (fort neutralisant, faible ou non-neutralisant). On peut dès lors identifier les individus vraiment protégés. Cette information est précieuse pour toutes les personnes qui ont côtoyé des malades, y compris sans le savoir : le personnel soignant, l’entourage des anciens patients, les caissières de supermarché, etc. Cela va permettre aussi de mesurer le taux d’immunité réel des populations dans les zones très touchées par la pandémie. C’est donc un outil précieux pour accompagner le déconfinement. Et c’est le seul du genre ! A ma connaissance, il n’existe qu’un autre test de ce type. Mais comme il utilise un vrai virus, son analyse ne peut être pratiquée que dans un laboratoire hautement sécurisé dit P3 : il ne peut donc pas être utilisé à grande échelle.
Mais les tests de sérologie ne disent pas si vous êtes porteurs du virus… Les tests virologiques (PCR) qui donnent, eux, cette information ne sont-ils pas beaucoup plus utiles pour sécuriser le déconfinement de la population ?
Oui et non. Les tests PCR permettent de détecter la présence du virus dans l’organisme. Ils sont utiles par exemple pour repérer les malades, éventuellement les isoler, et remonter les chaînes de contamination. Mais l’infection active ne dure en moyenne que douze jours. Au-delà, le virus n’est plus détectable. Cela fait beaucoup de trous dans la raquette… A ce stade, seuls les tests sérologiques permettent d’apporter des réponses.
Pour être vraiment utile dans la perspective du déconfinement, il faudrait que votre test soit disponible rapidement par dizaines voir par centaines de milliers d’exemplaires…
C’est parfaitement jouable. Pour les besoins de la recherche en épidémiologie, nous analysons déjà cette semaine quelque 6 000 échantillons sanguins en provenance du Haut-Rhin. Il s’agit dans ce cas précis de mesurer le taux de personnes asymptomatiques et de cartographier précisément l’immunité collective acquise dans ce département particulièrement touché par le coronavirus. Nous allons aussi assurer le suivi d’autres cohortes, l’une centrée sur les enfants, une autre sur l’éventuelle protection résultant de l’utilisation de l’hydroxychloroquine à titre préventif au sein du personnel soignant.
Dans ce dernier cas, l’intérêt du test sérologique est évident : si on identifie un bénéfice pour les soignants, on pourra systématiser le prétraitement. Fabriquer ce test à très haut débit n’est pas un problème majeur : on a en magasin tous les réactifs nécessaires pour en produire plusieurs centaines de milliers. Et une seule machine de l’Institut Pasteur suffit pour analyser de 50 000 à 100 000 échantillons par semaine ! Le principe est donc de multiplier les centres sur le territoire de façon à obtenir un très haut débit d’analyses.
Beaucoup de tests se sont à l’usage révélés peu fiables. Etes-vous certain de la qualité du vôtre ?
C’est un point crucial. S’il n’est pas fiable, un test peut même être dangereux, notamment s’il donne des faux positifs : une personne détectée positive en anticorps neutralisants mais qui ne serait en réalité pas protégée pourrait baisser la garde, recommencer à circuler, et propager le virus en toute bonne conscience. Nous avons choisi de prendre tout le temps nécessaire pour limiter les risques. Aujourd’hui, nous avons pratiqué des milliers de tests et, pour le moment, on n’a jamais eu de faux positif. Avec si peu de recul, il est très difficile de garantir 100 % de fiabilité. Ce dont on est aujourd’hui certain, c’est que le taux d’erreur est très faible.
Les particuliers pourront-ils avoir accès à ce test à compter du 11 mai, date fixée pour une sortie progressive du confinement ?
Je ne peux pas le garantir car cela ne dépend pas que de moi. Nous avons d’ores et déjà mis ce test à la disposition des chercheurs en épidémiologie pour le suivi de cohortes, mais nous ne sommes pas habilités à délivrer un diagnostic personnalisé. Les procédures de validation réglementaire pour les tests à diagnostic humain personnalisé sont plus longues. La Haute Autorité de santé a établi un cahier des charges auquel nous sommes soumis. Il exige par exemple une fiabilité d’au moins 98 %. On est largement dans cet étiage. Mais il faut le démontrer expérimentalement, et cela prend plusieurs semaines. On n’en est pas là.
En cas de feu vert des autorités sanitaires, les particuliers pourront-ils avoir accès à ces tests partout ?
A priori oui, dans le cas où ce test serait transféré dans les réseaux de laboratoires d’analyses de ville. Il leur suffira d’aller faire une prise de sang dans un de ces laboratoires, avec qui nous sommes en discussion. Ensuite, ils devront attendre deux jours pour avoir les résultats.
Pourquoi avoir mis ce test au point ? Pour des raisons financières ?
Pas du tout. Mon métier, c’est de développer des vaccins. Dès le début de cette épidémie, nos chercheurs ont travaillé sur deux générations de vaccins contre le coronavirus. Dans ce cadre, on a mis au point un test pour assurer le suivi des animaux de laboratoire vaccinés, afin de prédire leur niveau de protection. Il nous a suffi de l’adapter pour un très haut débit d’analyse. Ce test a un faible coût de revient et nous ne le facturons d’ailleurs pas aux chercheurs avec qui nous avons des collaborations. En revanche, l’Institut Pasteur envisage de le licencier aux laboratoires d’analyses privés, car il a aussi besoin de recettes pour financer ses recherches ! Nul doute que cette licence d’utilisation intéressera le monde entier.
Vous croyez possible de trouver un vaccin contre le CoV2 ?
C’est une évidence car le développement d’un vaccin contre le CoV2 ne pose pas de problème technique majeur. Vous allez voir fleurir une bonne dizaine de candidats vaccins dans les tout prochains jours ! De notre côté, nous avons déjà développé un vaccin contre ce coronavirus sur la base des anticorps neutralisants. On est très avancés, sans doute les plus avancés de la planète : les vaccins sont produits, et nos modèles animaux vaccinés ont de bonnes réponses immunitaires avec une activité de neutralisation très forte de leurs anticorps. On atteint les performances de neutralisation d’un malade ayant guéri du Covid. Ce vaccin serait très efficace si un jour il était utilisé chez l’homme. Mais je vais vous décevoir : ce ne sera pas le cas.
Comment cela ?
Le temps du développement d’un vaccin n’est pas celui de l’épidémie. Un petit coup d’œil dans le rétroviseur suffit pour le comprendre. En 2003, l’épidémie meurtrière de CoV1 qui a sévi à Hongkong s’est arrêtée avec l’arrivée de l’été. Par la suite, ce coronavirus n’est jamais plus réapparu. Pas plus que le Zika, à l’origine d’énormes épidémies au Brésil ou le Chikungunya qui a infecté La Réunion. Il faut huit à dix ans pour développer un vaccin très sécurisé. Si la circulation du virus disparaît durant ce laps de temps, les vaccins sont devenus inutiles.
En situation d’urgence, on peut griller des étapes précliniques et réglementaires, selon un plan de développement dit «Fast Track», mais cela prend quand même au mieux dix-huit mois. Une boîte américaine de biotechnologie, Moderna Therapeutics, a certes commencé des essais chez des volontaires humains, sans aucun test préliminaire d’efficacité ou de toxicité, sans avoir injecté ne serait-ce que trois souris… C’est une aberration pure, car il y a des exemples où les anticorps contre d’autres coronavirus peuvent faciliter les infections… C’est une démarche mercantile à la limite de l’inconscience. Du point de vue éthique, cela me scandalise au dernier degré.
Pourquoi continuer de chercher un vaccin si, finalement, ils ne servent à rien ?
C’est pour cela que nous avons une deuxième approche vaccinale, radicalement différente : nous travaillons sur un nouveau type de vaccin susceptible d’activer non pas les anticorps mais un autre bras du système immunitaire, les cellules cytotoxiques. Ces cellules repèrent les virus, non en fonction de leur enveloppe comme les anticorps, mais à cause de la présence dans le virus de certains motifs de protéines, très conservés chez tous les bétacoronavirus (CoV1, CoV2, Mers…). Notre technologie vaccinale, basée sur les vecteurs lentiviraux [pseudo-virus transporteurs de gènes, ndlr], est justement capable d’induire de très fortes réponses cellulaires cytotoxiques.
S’il aboutit, ce vaccin aura donc un très large spectre de protection. Il protégera du CoV2 actuel, mais aussi d’un CoV2 variant qui réémergerait de façon saisonnière, à l’image des virus de la grippe. Ce vaccin innovant est conçu pour protéger aussi contre le CoV1 et le Mers, actuellement responsable d’une épidémie au Moyen-Orient. Ce vaccin a aussi le potentiel d’être efficace contre des coronavirus encore inconnus… car n’ayant pas encore émergé du monde animal par une épidémie chez l’homme. C’est donc là préparer l’avenir à moyen-long terme.
Pour l’épidémie en cours, c’est trop tard. Donc on n’envisage pas de raccourcis cliniques. On fera tous les développements précliniques réglementaires. Aujourd’hui, on en est à l’expérimentation animale. Cela prendra plusieurs années avant d’aboutir à une vaccination humaine. Un vaccin préventif doit offrir une sécurité maximale, avec un risque nul ou quasi nul d’effets secondaires.

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