L’espace urbain est source de stress permanent pour les personnes souffrant de schizophrénie. Le chercheur Ola Söderström plaide pour l’élaboration de « plans urbains de santé mentale ».
Ola Söderström enseigne la géographie sociale et culturelle à l’université de Neuchâtel (Suisse). Il est responsable depuis 2014 d’un programme de recherche sur l’expérience des jeunes psychotiques dans l’espace urbain.
Qu’entendez-vous par « psychose » ?
La psychose se caractérise par une perte de contact avec la réalité et une série de phénomènes hallucinatoires, notamment auditifs. Elle recouvre deux grands diagnostics : la schizophrénie et les troubles bipolaires. C’est le premier, où le lien avec la vie urbaine a été démontré, qui m’a intéressé dans le cadre de mes travaux. Le terme schizophrénie étant très stigmatisant, je préfère parler de psychose.
Alors que le coronavirus rend l’environnement urbain hostile, vous montrez que les personnes souffrant de psychose vivent cette angoisse au quotidien. Est-ce une découverte récente ?
C’est plutôt une redécouverte. Dès les années 1930, les sociologues de l’école de Chicago, qui ont étudié l’impact de l’environnement sur la santé mentale, ont mis en évidence le rapport entre vie urbaine et psychose. A partir des années 1950, la priorité donnée aux recherches centrées sur les causes biologiques et génétiques de la psychose a éclipsé ces travaux, qui ont été exhumés il y a une vingtaine d’années seulement. Ces recherches biologiques s’étant révélées décevantes, psychiatrie et sciences sociales se sont de nouveau intéressées à ces facteurs environnementaux, et notamment urbains.
Comment les stress urbains influent-ils dans le déclenchement et le développement de la psychose ?
Toute une série de recherches en psychiatrie et en épidémiologie montre que les quartiers pauvres et à forte criminalité sont ceux aussi qui concentrent un nombre important de cas de psychose. Il semblerait que ces facteurs jouent un rôle dans le déclenchement de la maladie, mais on ne sait pas de quelle manière. De même qu’on ignore comment l’espace urbain en tant qu’environnement physique intervient dans ce phénomène.
Afin de mieux comprendre ces mécanismes, nous avons choisi de suivre une série de jeunes patients – la psychose se déclare en général entre 18 et 35 ans – dans leurs trajets quotidiens, l’objectif étant de plonger avec eux dans l’espace urbain et de leur donner la parole.
Nous avons donc filmé ces parcours, puis nous les avons visionnés avec les patients en leur demandant de commenter tout ce qui pouvait ressembler à des réactions de stress : arrêts inopinés dans la marche ou la conversation, mouvements de recul, changements de trajectoire… Puis, nous sommes partis de ces observations individuelles pour établir un questionnaire, qui nous a permis de tester nos hypothèses.
Quels résultats avez-vous tirés de ces travaux ?
Nous avons tout d’abord mis en évidence une angoisse profonde qui débouche chez de nombreux patients sur un phénomène d’évitement de la ville. Autant que possible, ils vont essayer de limiter leurs déplacements urbains.
Cet évitement vise à limiter l’interaction sociale non choisie. Les patients craignent le regard de l’autre, de ne pas parvenir à nourrir une conversation et plus globalement de décevoir les attentes sociales. Ce sentiment s’accompagne d’une crainte du contact physique, par exemple dans le métro.
La deuxième forme de stress urbain est sensorielle. La ville génère beaucoup de stimulations visuelles, olfactives, auditives, mal supportées par ces patients qui se trouvent en état de « surcharge sensorielle ».
Cet état résulte d’un dérèglement de la quantité de dopamine dans le système nerveux. Chez un sujet classique, cette substance constitue une sorte d’écran de protection par rapport à son environnement. C’est, par exemple, dans un café, ce qui nous permet de distinguer la conversation qui a lieu autour de la table de la rumeur de la pièce. L’enjeu est désormais de découvrir en quoi ces stress contribuent à des transformations biologiques.
Est-il possible d’agir sur la ville afin d’atténuer ces stress ?
Oui, c’est l’objectif de la seconde phase de nos travaux. Ce qui nous intéresse maintenant, c’est d’une part de trouver des moyens de mieux prendre en compte ces facteurs dans l’accompagnement des patients. Nous avons commencé à œuvrer en ce sens avec l’hôpital de Lausanne.
Il s’agit de faire évoluer les stratégies de soins des services psychiatriques. La visée est d’autre part de voir comment adapter l’espace urbain afin d’atténuer ce stress et prévenir le déclenchement de la maladie et sa chronicité. Nous prévoyons un partenariat avec la ville de Lausanne et un learning lab, qui va nous permettre de tester des outils, lesquels pourraient ensuite être généralisés.
Pouvez-vous nous en dire plus sur ces outils ?
L’idée est d’établir un plan urbain de santé mentale qui permettrait une meilleure information du public, notamment des enseignants, et une adaptation de l’espace urbain à travers des aménagements spécifiques.
S’il existe une longue tradition du « design inclusif » pour les personnes à mobilité réduite, en matière de santé mentale, nous sommes au tout début. Nous cherchons avec des architectes, des urbanistes, des ergonomes, des designers, à identifier les dispositifs adaptés. Les espaces de répit – des parcs calmes, des endroits à l’abri du bruit et des panneaux lumineux, par exemple – sont cruciaux. En cela, la ville du confinement est apaisante pour les personnes souffrant de psychose.
Il faudra ensuite affiner la réponse en fonction des patients. Si certains ne supportent pas la foule, d’autres, à l’inverse, sont paralysés par un petit groupe de personnes familières…
Nous suivons de près les réalisations du réseau Thrive. Présent dans 185 villes étasuniennes, il œuvre à l’accessibilité des personnes souffrant de troubles psychiques, par exemple en installant des espaces calmes dans les cours d’école.
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