Serge Cannasse 19 nov. 2019
La presse nationale d’information générale et la presse professionnelle se sont faits largement l’écho d’une étude française, publiée dans le BMJ ( British Medical Journal ), montrant une association entre d’une part, le montant des « avantages » que les médecins français ont reçu de la part de l’industrie pharmaceutique et d’autre part, le montant et la qualité de leurs prescriptions. Les guillemets s’imposent car c’est le terme « gift » qui est utilisé dans la publication britannique, traduit par « avantage » dans le communiqué de presse de l’Université de Rennes, à laquelle appartiennent les auteurs de l’étude, mais par « cadeaux » dans certains journaux et surtout par un des auteurs commentant l’étude dans le communiqué de presse. Or, comme le rappelle le communiqué du LEEM en réponse à cette étude, les cadeaux sont interdits par la loi depuis 1993 alors que « les avantages sont autorisés, mais strictement encadrés par cette même loi et largement soumis à l’avis des ordres professionnels. »
Méthodologie
Les auteurs sont partis des associations constatées par plusieurs travaux entre les « avantages, même modestes, » reçus par les médecins de la part de l’industrie et l’influence de celle-ci sur leurs prescriptions. Ils ont voulu vérifier ce qu’il en était pour les médecins généralistes français. Pour cela, ils ont croisé deux bases de données : d’une part, la base Transparence Santé, qui « rend accessible l'ensemble des informations déclarées par les entreprises sur les liens d'intérêts qu'elles entretiennent avec les acteurs du secteur de la santé », d’autre part, le Système National des Données de Santé (SNDS) qui rassemble des données de santé portant sur la quasi-totalité de la population française. De ce système, ils ont retenu les indicateurs « évaluant le coût et la qualité des prescriptions utilisés par l'Assurance Maladie dans le calcul de la Rémunération des médecins sur Objectifs de Santé Publique . » Ils sont au nombre de 11.
Le travail porte sur l’année 2016. En effet, bien que la base Transparence santé soit en principe ouverte à tous, les auteurs soulignent que son accès est en pratique compliqué, d’où leur retard pour le traitement des données. Il faut noter au passage que la première originalité de leur travail est la volonté d’exploiter toutes les ressources de cette base en ce qui concerne les médecins généralistes, cette étude constituant le premier pas dans ce sens.
Résultats
Au total, 41.257 médecins généralistes ont été inclus, chacun ayant au moins 5 patients, exerçant exclusivement en libéral, à temps complet et sans « exercice particulier ». Ils ont été divisés en 6 groupes :
ceux n’ayant reçu aucun avantage de la part de l’industrie entre 2013 et 2016,
ceux n’ayant reçu aucun avantage en 2016, mais au moins un entre 2013 et 2015,
ceux ayant reçu des avantages pour un montant égal ou supérieur à 1.000 euros en 2016,
ceux ayant reçu des avantages pour un montant compris entre 10 et 69 euros,
ceux ayant reçu des avantages pour un montant compris entre 70 et 239 euros,
ceux ayant reçu des avantages pour un montant compris entre 240 et 999 euros.
Principaux résultats
Par rapport au groupe des médecins ayant reçu des avantages de la part de l’industrie, quel que soit le montant, le groupe de ceux qui n’en avaient reçu aucun sur la période avaient des prescriptions moins coûteuses, prescrivaient plus de génériques (en ce qui concerne les antibiotiques, les antihypertenseurs et les statines) et moins de sartans comparativement aux IEC (inhibiteurs de l’enzyme de conversion), ces derniers étant plus coûteux. Les associations étaient d’autant plus fortes que le montant des avantages était élevé. L’écart était particulièrement net entre le premier groupe de médecins (aucun avantage) et le troisième groupe (1.000 euros ou plus d’avantages), dont le coût de prescription était en moyenne 5,33 euros plus élevé. Enfin seuls ce dernier groupe avait prescrit plus de vasodilatateurs et de benzodiazépines au long cours (au moins 12 semaines) par rapport à tous les autres.
En revanche, il n’y avait pas de différence significative entre les différents groupes de médecins pour les prescriptions d’aspirine, de génériques d’antidépresseurs et de génériques d’inhibiteurs de la pompe à protons.
Limites
Les auteurs reconnaissent plusieurs limites à leur étude. La base Transparence Santé étant déclarative et peu vérifiée, il est possible que certains avantages n’y soient pas mentionnés. D’autres facteurs que les avantages jouent sur les prescriptions : il n’en est pas tenu compte (presse ou formation médicale continue sponsorisée, publicités, etc), ainsi que des modalités d’exercice des praticiens (seul ou en groupe). Les données cliniques des patients sont lacunaires. Les avantages ne sont pas les seuls modes d’influence à la disposition de l’industrie.
Les auteurs soulignent que leur travail n’a pas été conçu pour établir un lien de cause à effet entre « avantages » et prescriptions et que ses résultats doivent donc être pris avec précaution. Ils notent cependant qu’ils sont cohérents avec les nombreux travaux qui suggèrent une influence de l’industrie sur les prescriptions. Ils appellent de leurs vœux une étude prospective et interventionnelle.
Pour sa part, le LEEM (Les entreprises du médicament) reprend certaines de ces limites, s’élève contre les conclusions de certains commentateurs, dénonce des confusions et remarque que le nombre des médecins recevant 1.000 euros ou plus de l’industrie s’élève à seulement 306 (sur 41.257 médecins du panel).
Références Disclaimer
Les généralistes français ne recevant pas d'avantages de l'industrie pharmaceutique sont associés à des prescriptions plus efficaces et moins chères. Université de Rennes, actualités, novembre 2019.
Bruno Goupil et al. Association between gifts from pharmaceutical companies to French general practitioners and their drug prescriptions in 2016: a retrospective study using the French Transparency in Healthcare and National Health Data System databases. BMJ 2019;367:l6015
Réaction à l’étude BMJ : Le Leem invite à restaurer la confiance plutôt que d’alimenter la suspicion. LEEM, Communiqué de presse, 6 novembre 2019.
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