Dans une tribune au « Monde », le consultant Robert Bentz s’insurge contre les effets marketing qui entourent l’IA, car tous les progrès « survendus » sont liés à la rapidité d’exécution que permettent les algorithmes.
Tribune. L’intelligence artificielle (IA) est omniprésente dans notre vie. Vie professionnelle, où l’IA permet de faire mieux que nous ou nous promet de nous aider dans nos décisions, nos analyses et interprétations. Dans notre vie quotidienne avec des outils qui nous écoutent et nous répondent « intelligemment ». En allant jusqu’à la voiture ou l’engin volant autonome qui est la solution de demain.
Qu’en est-il vraiment ? Peut-on parler d’intelligence et de réelles avancées pour l’humanité ? Prenons quelques exemples. Grace au deep learning (« apprentissage profond ») un système dit intelligent actuel peut après avoir vu 100 000 photos de chats, être capable de reconnaître un chat avec 95 % de réussite. Génial ! Un enfant de 2 ans a besoin de deux photos de chat pour reconnaître un chat sur n’importe quelle photo avec un taux de réussite de 100 %.
Les acteurs adorent se faire plaisir
Nous parlons beaucoup de la voiture autonome, qui est technologiquement une très belle réalisation. Avec quelques ratés il est vrai pour la Google Car qui a « malencontreusement » écrasé un piéton. Il était inscrit dans les hypothèses qu’un piéton ne traverse que sur un passage réservé. Combien de morts aurions-nous eu si les tests avaient eu lieu en France ?
Alors qu’y a-t-il d’intelligent dans tout cela ? Eh bien, très globalement rien. Les algorithmes de traitement d’images, de signal et de reconnaissance de formes existent depuis très longtemps et sont améliorés de jour en jour. Il en est de même pour le traitement du langage naturel, qui est un « vieux » sujet, et pour lequel les algorithmes progressent surtout avec les budgets que l’on veut bien leur consacrer.
La mise au point de ces algorithmes n’a jamais prétendu faire appel à l’intelligence artificielle, mais plutôt à des modèles mathématiques, de la linguistique, du traitement du signal. Alors pourquoi parler de solutions d’intelligence artificielle ?
Parce que les acteurs de l’informatique, et plus globalement des technologies numériques, adorent se faire plaisir en vivant des révolutions (supposées) permanentes. Les révolutions d’Apple, la blockchain, l’entreprise disruptive, le cloud, la virtualisation, le big data, et bien d’autres, hier et demain.
Un rapport étonnant
S’inscrire dans une de ces « révolutions », c’est avoir une chance de se faire remarquer, de réussir peut-être, de relancer le business sûrement. Cela devient étatique avec la volonté de faire de l’IA, l’économie de demain. Il y a longtemps, il y a eu le plan « Calcul » (De Gaulle, 1966) qui a enfanté Bull, qui a donné : « Rien ». Puis le plan « France numérique 2012 », d’Eric Besson (2008) pour connecter tous les Français, qui est arrivé après l’échec cuisant du Minitel, qui globalement a freiné l’arrivée d’Internet.
Nous avons aujourd’hui le plan « IA » lancé sur la base du rapport Villani en 2018 (« Donner un sens à l’intelligence artificielle », voir lien PDF). Un rapport étonnant qui considère que tout est mathématique, ce qui implique que tous les modèles mathématiques que nous sommes capables de développer, relèvent de l’intelligence artificielle (sic). L’escroquerie est là ! La première erreur a été de faire faire une étude sur l’intelligence (artificielle ou non) par un éminent mathématicien, alors qu’il eût été sans aucun doute bien plus pertinent d’appeler un ethnologue, un anthropologue, un cogniticien, et/ou autres compétences liées aux sciences humaines.
Reconnaître un chat sur une photo, laisser une voiture se conduire seule, trouver dans une grande masse d’informations des corrélations statistiques, et autres performances, relève de la rapidité d’exécution, plus que de l’intelligence.
Que sont alors les intelligences développées par les humains et certains animaux. Une intelligence est d’utiliser les éléments de son environnement, de sa connaissance dans le but de satisfaire un besoin, résoudre un dilemme, prendre une décision, trouver une solution, un chemin original pour atteindre un but.
Intelligence multiple
L’intelligence est multiple et non formalisable. La cognition est la première étape permettant de comprendre et dans certains cas de formaliser la connaissance mise en œuvre par les humains. C’est le vrai sujet d’intérêt qui pourrait nous amener vers une « intelligence artificielle ». Nous sommes là dans le champ des sciences (molles) humaines et non des sciences (dures) mathématiques.
Ce que l’on fait aujourd’hui avec l’informatique est globalement de la reconnaissance de la voix, de l’image fixe ou animée, avec des algorithmes de mieux en mieux maîtrisés et des moyens de calcul de plus en plus puissants. Ce que l’ordinateur fait reste basique, mais surtout il le fait bien plus vite qu’un humain. D’où sa capacité à pouvoir traiter de grands volumes de données (big data).
Ce différentiel de rapidité de traitement entre l’humain et la machine était déjà à l’origine des premiers ordinateurs. Ce qui est nouveau, c’est une plus grande maîtrise des algorithmes de traitement, et surtout une rapidité de calcul toujours croissante. Alors, oui, l’informatique nous aide par sa rapidité, mais en rien par une intelligence non démontrée. Ce que nous appelons intelligence artificielle, doit se nommer algorithmique rapide, évoluée ou avancée.
Si nous avions l’intelligence de ne pas « survendre » ces avancées nous garderions des ressources linguistiques pour plus tard et surtout nous éviterions d’affoler le public par des déclarations fracassantes de destruction de millions d’emplois. Ce n’est qu’une évolution des solutions actuelles de robotique, et capacités de calcul. L’intelligence artificielle est bien aujourd’hui une escroquerie dans laquelle le marketing des grands acteurs informatiques se complaît. Ces modes, ces plans, ces slogans sont sans doute un moteur pour nos fournisseurs, alors laissons faire tout en étant vigilant sur la réalité, et l’applicabilité de ces lubies pour notre entreprise.
Robert Bentz a créé et dirigé une équipe de cinquante personnes spécialisée en IA, au sein du Commissariat à l’énergie atomique (CEA). Il est animateur de séminaires pour manageurs de projets informatiques.
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