Une chercheuse néerlandaise a interrogé des femmes ayant rejoint les militants islamistes en Syrie sur leurs motivations et leur vie au quotidien, mettant au jour l’importance du sexe et de la prostitution dans ces réseaux.
Comme beaucoup de leurs homologues, les autorités néerlandaises et belges se débattent avec le problème de l’éventuel retour des djihadistes. Le président turc Recep Tayipp Erdogan a promis de les leur renvoyer tous après avoir lancé son offensive contre les forces kurdes qui les surveillaient en Syrie.
Et le président américain Donald Trump a offert la même perspective à des Européens démunis qui, en général, se contentent d’affirmer qu’ils examinent cette « situation délicate » avec leurs partenaires. Autant dire qu’aucun plan bien défini n’existe, laissant chacun tenter de régler le moins mal possible, et dans l’urgence, cette situation pourtant très prévisible.
Spécialiste de la radicalisation, chercheuse qualifiée à l’université Erasme de Rotterdam, Marion van San a son avis sur la question. S’ils veulent assurer leur sécurité et ne pas créer, dans les dix années à venir, un risque terroriste de grande ampleur, les pays européens d’origine auraient, selon elle, intérêt à éloigner rapidement des prisons irakiennes, « foyers de radicalisation », les mères et leurs enfants. Même si, confesse-t-elle, il ne faut pas se faire d’illusions : certaines de ces femmes restent fidèles à l’organisation Etat islamique (EI), et l’espoir de les faire abandonner leurs convictions est faible.
Une alternative se dessine : organiser les retours et exercer une surveillance étroite des intéressées, ou les laisser aux mains de réseaux mafieux déjà actifs en Turquie, qui organiseront discrètement leur retour en les faisant passer sous tous les radars…
La religion comme façade
Mme van San connaît bien ces femmes dont, depuis des années, elle a cerné le profil. Elle en a tiré un livre (Kalifaatontvluchters, Ceux qui ont fui le califat, non traduit, paru aux Editions Prometheus, à Amsterdam). Et sa conclusion, après des entretiens grâce à WhatsApp, avec une vingtaine d’entre elles, est aussi claire qu’étonnante : toutes ont suivi un processus assez identique de radicalisation, mais, pour une majorité d’entre elles, la religion n’était qu’une façade : ce qu’elles cherchaient en premier lieu était l’amour.
« Elles avaient parfois atteint un âge où elles craignaient de ne plus rencontrer un homme, explique la chercheuse dans le quotidien Het Parool. Et quand elles rencontraient quelqu’un en ligne, elles décidaient de partir. L’une d’entre elles évoquait son obligation religieuse, mais ses conversations avec son partenaire portaient exclusivement sur le sexe. »
Creusant le sujet, la chercheuse a, en fait, mis bien plus au jour que cette réalité déjà exposée dans plusieurs procès qui ont eu lieu en Europe et dans les travaux du psychologue américain Arie W. Kruglanski ; lui a décrit l’EI comme une organisation capable de faire un usage « stratégique » du sexe pour attirer des recrues. Autorisant l’esclavagisme sexuel et le viol des « mécréantes », promettant aux combattants un paradis sexuel sur Terre également – et pas seulement la rencontre avec 72 vierges du paradis s’ils commettaient un attentat suicide –, l’EI avait aussi organisé son réseau de prostitution.
Une de ses interlocutrices a raconté à l’auteure que, une fois arrivée en Syrie, elle s’était vu proposer soit de se prostituer, soit de se marier. Des maisons de passe gérées par des femmes djihadistes exploitaient des prisonnières irakiennes, tandis qu’un bureau matrimonial organisait des rencontres entre des jeunes femmes et des combattants. Il opérait à Al-Bab, une ville proche d’Alep qui fut l’un des bastions de l’EI. Des sites de rencontres, comme Jihadi Match-making, sorte de Meetic version islamiste radicale, promettaient aussi de faciliter les contacts entre jeunes femmes et terroristes.
Commerce de lingerie et « grand bordel »
Sur la base des témoignages qu’elle a récoltés, Mme van San décrit de manière froide et réaliste la vie quotidienne des combattants. Et leur focalisation sur le sexe. « Ibrahim [le père d’un djihadiste] et moi fixions, bouche grande ouverte, les photos dans la boîte mail de son fils Mounir. Nous regardions avec étonnement des jeunes filles adoptant des poses lascives, habillées de lingerie qui ne dissimulait rien », raconte l’universitaire.
Un autre membre de l’organisation demande, dans un courriel lu par la chercheuse, à sa compagne qui le rejoindra bientôt de ne pas oublier sa tenue en latex, tandis qu’un autre se voit promettre un ensemble « très sexy, noir avec des fleurs beiges ».
La lingerie, tellement convoitée, faisait d’ailleurs l’objet d’un commerce très organisé dans les zones de combat. Des maisons privées abritaient des commerces prétendument invisibles, mais connus de tous, raconte un témoin, Amanda. La hisba, la police religieuse, autorisait cette activité, qui fut toutefois en partie réformée : sous la pression des combattants étrangers, les magasins, d’abord accessibles aux hommes, furent ensuite réservés aux seules femmes et gérés par des femmes.
A Rakka, « cela ressemblait étrangement aux sex-shops du quartier rouge d’Amsterdam », raconte une autre exilée. « On y trouvait tout : des sous-vêtements, des parfums, des bonbons, des objets, des chaussures à très hauts talons et plein de trucs dingues », détaille Saliha. « Nous étions juste comme des putains. En vous racontant tout ça, j’ai le sentiment que nous avons, en fait, vécu dans un grand bordel », a expliqué cette jeune femme.
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