Connue pour soulager les effets du décalage horaire, la mélatonine a un intérêt thérapeutique dans d’autres situations.
Prévenir les rechutes d’un trouble psychiatrique stabilisé chez des patients avec des problèmes de sommeil, réduire l’anxiété liée à une intervention chirurgicale, ou encore soulager les douleurs d’une fibromyalgie. Connue du grand public surtout pour ses effets sur le jetlag et les troubles du sommeil, la mélatonine présente un intérêt dans bien des situations chez l’adulte, selon une conférence de consensus française (recommandation d’experts), à paraître dans la revue L’Encéphale.
La molécule est aussi d’actualité en pédiatrie. Un essai clinique international, publié en ligne, le 11 mai, dans le Journal of Autism and Developmental Disorders, conclut qu’une formulation à libération prolongée améliore le sommeil d’enfants et d’adolescents avec des troubles du spectre autistique (TSA), mais aussi leur comportement diurne, et même la qualité de vie de leur famille.
Conduite par la professeure Carmen Schroder, chef du service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent au CHU de Strasbourg, cette étude, randomisée contre placebo, a inclus 125 patients traités pendant treize semaines. Puis tous ont reçu le traitement sur une durée de deux ans.
Sécrétée essentiellement pendant la nuit dans le cerveau, par la glande pinéale, la mélatonine a pour principale fonction de synchroniser les rythmes biologiques d’un individu en réponse à l’alternance jour-nuit.
Complément alimentaire ou médicament ?
Cet effet, dit chronobiotique, est également retrouvé avec la mélatonine exogène. Il permet d’induire une avance de phase du sommeil dès l’administration de faibles doses (0,125 mg), soulignent les auteurs de la conférence de consensus chez l’adulte, coordonnée par Carmen Schroder et Maria-Antonia Quera-Salva (Hôpital Raymond-Poincaré de Garches). La mélatonine a aussi une action soporifique qui est, elle, dose-dépendante.
En France, son statut réglementaire est particulier. Comme certains minéraux et vitamines, c’est un complément alimentaire à faible dose, et un médicament au-delà d’une certaine limite – 2 mg pour la mélatonine.
Comprimés, solution buvable, spray… à libération immédiate (LI) ou prolongée (LP), diverses formulations sont en vente libre en pharmacie et parapharmacie. L’hormone peut aussi faire l’objet de préparations magistrales, sur ordonnance. Enfin, un médicament à base de mélatonine LP, le Circadin, est commercialisé pour traiter les insomnies des plus de 55 ans.
Au niveau national, la consommation est à la hausse ces dernières années. En 2018, plus de six millions de boîtes de compléments alimentaires pour le sommeil contenant de la mélatonine ont été vendues en pharmacie et parapharmacie, indique le Syndicat national des compléments alimentaires (Synadiet), soit un chiffre d’affaires de près de 68 millions d’euros, qui a augmenté de 13 % en un an.
Quelques surprises
Pour optimiser l’utilisation thérapeutique de cette molécule, un groupe d’experts de la Société française de recherche et médecine du sommeil (SFRMS) a examiné la littérature scientifique dans plusieurs troubles psychiatriques de l’adulte. Pour chacun, ils ont proposé des recommandations, classées en A, B ou C, selon le niveau de preuves.
« Globalement, il y a peu d’études cliniques sur la mélatonine, et la plupart sont universitaires. Ce constat contraste avec sa très large utilisation dans le grand public, et nous souhaitons plus d’essais cliniques et des moyens pour les mener »,souligne Pierre Alexis Geoffroy, psychiatre et médecin du sommeil (université Paris-Diderot), premier auteur de l’article.
Les experts confirment d’abord l’intérêt de l’hormone dans les troubles du rythme veille-sommeil, associés ou non à des troubles psychiatriques. Elle est ainsi efficace pour traiter les syndromes de retard de phase du sommeil (caractérisés par un endormissement et un réveil tardifs), où elle fait d’ailleurs partie des recommandations thérapeutiques. Par ailleurs, elle améliore la qualité du sommeil sur des paramètres comme le temps d’endormissement, le temps total de sommeil. Son efficacité est en revanche modeste dans l’insomnie chronique.
Les données sur d’autres effets de la mélatonine dans diverses pathologies ont aussi été évaluées. Avec quelques surprises. « Ce qui nous a le plus frappés, c’est la richesse de la littérature concernant ses effets sur l’anxiété dans un contexte chirurgical », indique ainsi Pierre Geoffroy. Les experts ont attribué une recommandation de grade A (la seule dans cette conférence de consensus) pour le traitement préventif de ce type d’anxiété par une dose de 5-10 mg de mélatonine LI, une à deux heures avant l’opération. Les bénéfices sur les autres troubles anxieux restent, eux, à prouver.
Evaluation dans l’autisme
Tout aussi surprenant, la mélatonine se révèle une option thérapeutique (grade B) pour les douleurs associées à des troubles dits « somatoformes » : fibromyalgie, problèmes digestifs, tels le syndrome de l’intestin irritable et le syndrome dyspeptique fonctionnel, trouble de l’articulation temporo-mandibulaire.
La conférence de consensus souligne l’intérêt de l’hormone pour traiter les troubles du sommeil associés à la dépression. Elle n’a pas d’effet démontré sur les symptômes dépressifs, sauf dans les troubles affectifs saisonniers (TAS), quand un décalage de phase est associé. La mélatonine peut aussi être considérée dans la prise en charge des épisodes maniaques.
En pédiatrie, la molécule est évaluée dans des troubles neurodéveloppementaux, comme l’autisme et le trouble du déficit de l’attention/hyperactivité (TDAH). « Dans l’autisme, il existe un déficit de sécrétion de mélatonine », souligne Carmen Schroder, en précisant que de nombreux spécialistes en prescrivent déjà à leurs jeunes patients avec TSA. Une version pédiatrique de mélatonine LP, le Slenyto, a obtenu une autorisation de mise sur le marché européen, et devrait être disponible dès la fin d’année pour les perturbations du sommeil liées à un TSA ou le syndrome de Smith Magenis, une pathologie rare. Chez des enfants TDAH, des essais cliniques ont observé des bénéfices sur la qualité du sommeil, souvent perturbé dans ce trouble. « On suspecte que la sécrétion de mélatonine est retardée dans le TDAH, mais ce n’est pas encore prouvé. Il n’y a en tout cas pas assez de données pour la recommander chez l’adulte », poursuit la pédopsychiatre.
« La mélatonine est un outil de plus dans notre arsenal thérapeutique en psychiatrie, notamment pour les troubles du rythme veille-sommeil, résume le docteur Geoffroy. Quand un patient se plaint de mal dormir, les médecins pensent souvent insomnie et ont tendance à prescrire rapidement un hypnotique. Mais il faut avoir le réflexe de rechercher un problème de rythme qui peut être amélioré par la mélatonine, sans oublier les bonnes habitudes de sommeil et la luminothérapie matinale ».
Un risque d’interactions avec d’autres médicaments
Quid de la tolérance de ce produit souvent consommé hors contrôle médical ? En avril 2018, un avis de l’Agence nationale de sécurité sanitaire, de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) recommandait à certains publics (notamment enfants, adolescents et femmes enceintes) de ne pas consommer de mélatonine sous forme de complément alimentaire. L’agence avait procédé à une évaluation des risques, à la suite de 90 cas d’effets indésirables transmis au dispositif national de nutrivigilance, survenus chez des personnes ayant pris des compléments alimentaires contenant de la mélatonine. Ceux-ci consistaient en symptômes généraux (céphalée, vertige, somnolence…), troubles neurologiques (tremblements, migraines) et digestifs.
L’Anses plaidait aussi pour une harmonisation du cadre réglementaire, très hétérogène en Europe pour ce produit. « A notre connaissance, il n’y a pas eu d’évolution réglementaire », précise la professeure Irène Margaritis, chef de l’unité d’évaluation des risques liés à la nutrition à l’Anses. Selon elle, « il est nécessaire d’établir une dose maximale de mélatonine dans les compléments alimentaires, harmonisée au niveau européen, sur la base d’études de sécurité à des doses inférieures à 2 mg ».
Pour la professeure Schroder, comme pour le docteur Geoffroy (dont les liens d’intérêt avec l’industrie pharmaceutique sont référencés sur Transparence.sante.gouv.fr), la mélatonine ne pose pas de problème particulier de tolérance, y compris à des doses supérieures à 2 mg. Ils soulignent aussi l’absence de risque d’intoxication, et de pharmacodépendance.
Les deux médecins préconisent cependant fortement un encadrement médical, surtout pour les prises au long cours, ou au minimum que le patient avertisse son médecin, notamment en raison du risque d’interactions avec d’autres médicaments, tels les antivitamines K.
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