Cadres et professions libérales parviennent davantage que les ouvriers à raccourcir le temps nécessaire pour être reçu par un médecin généraliste ou un spécialiste, selon une étude publiée mardi.
Des délais moyens d’attente pour un rendez-vous chez un spécialiste qui varient du simple au double selon la région ou la catégorie socioprofessionnelle du patient, des prises en charge médicales dont la qualité fluctue fortement d’un médecin à l’autre… L’étude publiée mardi 11 juin par la société de conseil et de technologies en santé Medicine4i présente une saisissante photographie des inégalités d’accès aux soins en France.
Pour objectiver les différentes formes prises par cette « médecine à deux vitesses », dénoncée par de nombreux Français lors du grand débat national qui s’est achevé fin avril, un sondage Harris Interactive a été réalisé en février auprès d’un échantillon représentatif de 4 000 Français. « Les résultats sont à bien des égards disruptifs par rapport au discours ambiant, montrant une dégradation qui va bien au-delà des déserts médicaux », assure Mathias Matallah, le président de Medicine4i.
La Drees, le service statistique du ministère de la santé, avait certes publié en octobre 2018 une importante enquête (21 700 personnes interrogées) sur les délais d’attente moyens par spécialité médicale, distinguant même demandes urgentes et demandes non urgentes, mais celle-ci ne disait rien des écarts entre les régions ou en fonction du profil des patients. L’enquête publiée mardi vient donc compléter ces points aveugles.
Des régions à la traîne
Quatre régions sont « particulièrement à la traîne », avec des délais d’attente largement supérieurs à la moyenne nationale pour quasiment toutes les spécialités testées : Bretagne, Centre-Val de Loire, Normandie et Pays de la Loire, soit près d’un quart (22 %) de la population adulte en France métropolitaine
« Le Grand Ouest se désertifie progressivement en termes d’accès à la médecine spécialisée, et la Bretagne est une région particulièrement sinistrée, souligne M. Matallah. Et si on y ajoute une partie du Nord-Est où la situation n’est guère meilleure, on est probablement même plus près d’un Français sur trois. »
S’appuyant sur des enquêtes réalisées ces dernières années auprès d’échantillons de 1 000 personnes (Jalma/IFOP), le président de Medicine4i assure que, en moyenne, au niveau national, « depuis 2012, la situation s’est dégradée partout sauf en ophtalmologie ». Dans cette spécialité, les délais moyens sont passés de 104 jours en 2012, à 117 jours en 2017 et 101 jours en 2019. « Les chiffres indiquent une amélioration, même si on reste au-delà de 100 jours et qu’un sondé sur quatre déclare toujours un délai supérieur à 180 jours », relève-t-il.
Pour les autres spécialités, les délais continuent de s’allonger. En sept ans, le délai moyen pour obtenir un rendez-vous chez un cardiologue est par exemple passé de 38 à 61 jours et de 33 à 47,5 jours chez un ORL.
Dans une étude de la Drees, publiée en 2014, les délais d’attente avaient été présentés comme le deuxième motif de renoncement aux soins, après les raisons financières.
Les ouvriers attendent plus
Les inégalités d’accès aux soins ne sont pas que géographiques, elles sont aussi sociales. Selon l’étude présentée mardi, les ouvriers consulteraient moins les médecins spécialistes que les cadres et professions libérales. Au cours des trois dernières années, seuls 16 % des ouvriers ont consulté un cardiologue contre 24 % des cadres, 52 % ont consulté un ophtalmologue contre 75 % des cadres.
Outre ces différences, les délais d’attente pour obtenir un rendez-vous sont eux aussi différents. Les cadres attendraient en moyenne 17 jours de moins que les ouvriers pour obtenir un rendez-vous chez le cardiologue (53 contre 70) et cinquante jours de moins pour un rendez-vous chez l’ophtalmologue (78 contre 128).
Des raisons culturelles, « et notamment celle d’une bonne appropriation des stratégies à mettre en œuvre pour accéder aux soins », expliqueraient ces différences. Seuls 35 % des ouvriers ont par exemple recours à des sites de prise de rendez-vous en ligne, contre 55 % des cadres. Ces derniers se sentent également plus « autorisés » à échanger par mail ou par téléphone avec leurs médecins, en dehors des consultations.
Selon l’enquête, « un quart des personnes interrogées se trouvent confrontées à une prise en charge médicale dégradée », parce qu’employé ou ouvrier. La proportion d’ouvriers n’ayant pas eu de prise de tension lors de leur dernière consultation chez leur médecin traitant est par exemple le double de ce qui est constaté chez les cadres et professions libérales (24 % contre 12 %).
« Crainte de demander un examen »
Pour expliquer cette différence, les auteurs de l’étude formulent des hypothèses. « Cela tient-il à une forme de réserve plus prononcée dans les milieux populaires devant la figure du médecin et à la crainte de demander un examen ? Ou les médecins eux-mêmes ont-ils tendance, même inconsciemment, à ne pas proposer à tous les patients les mêmes conditions de prise en charge de leur santé ? »
L’enquête relève enfin qu’un Français sur quatre est confronté à une prise en charge « bâclée », la consultation chez le spécialiste durant moins de quinze minutes. Un Français sur trois ne reçoit par ailleurs aucune explication sur ses traitements ou leurs effets secondaires.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire