A l’inverse de ce qui reste envisagé par le gouvernement, la mesure la plus efficace pour faire diminuer les problèmes de comportement des jeunes consiste à augmenter les ressources des familles, souligne Maria Melchior, épidémiologiste, dans une tribune au « Monde ».
Tribune. En déclarant, le 11 janvier, que « toutes les pistes sont ouvertes », le ministre de l’éducation, Jean-Michel Blanquer, a relancé le débat sur l’éventualité de pénaliser financièrement les familles dont les enfants « sont violents ». Une possibilité qui, par ailleurs, existe déjà par l’intermédiaire du « contrat de responsabilité parentale » figurant dans le code de l’action sociale et des familles. Ce débat n’étant, selon le ministre, « pas encore tranché », il est essentiel de prendre en compte les liens entre la situation socio-économique des familles et le comportement de leurs enfants et adolescents.
Les inégalités sociales vis-à-vis du comportement des jeunes sont établies par les chercheurs en épidémiologie et en psychologie depuis de nombreuses années. Ainsi, les enfants dont les parents sont peu qualifiés, sans emploi, et surtout ceux qui ont des revenus faibles et rencontrent des difficultés financières, ont des niveaux deux à trois fois plus élevés de troubles des conduites, ainsi que d’autres formes de difficultés comme le trouble du déficit de l’attention et de l’hyperactivité (TDAH). En cause : les effets des problèmes matériels sur la capacité des parents à faire face aux besoins de leurs enfants, le stress chronique, sur fond d’insuffisance de structures adaptées au soutien à la parentalité.
Des recherches probantes
Comme le rappelle un rapport récent du Fonds des Nations unies pour l’enfance (Unicef), en France, trois millions d’enfants (c’est-à-dire un sur cinq) grandissent dans une famille pauvre, la pauvreté étant définie par un revenu mensuel inférieur à 60 % du revenu médian, après impôts et prestations sociales (par exemple : 1 334 euros pour un parent seul avec un enfant de moins de 14 ans, 2 565 euros pour un couple avec deux enfants de plus de 14 ans).
Plus de la moitié des familles pauvres en France (1,7 million) sont monoparentales et cumulent souvent les difficultés financières avec d’autres facteurs de précarité, tels que l’isolement relationnel, le renoncement à des prestations et services ou la dépression, qui peuvent grever le développement psychologique des enfants.
Or, les moyens de prévention sont maintenant connus. Les recherches ont montré que l’intervention la plus efficace pour réduire les problèmes de comportement des jeunes consiste à augmenter les ressources financières des familles. Dans deux articles publiés en 2003 et 2010 dans le Journal of the American Medical Association, des chercheurs ont évalué les effets de l’octroi d’un revenu supplémentaire aux familles dans le cadre d’une « expérience naturelle », c’est-à-dire une situation indépendante aussi bien de l’étude que de la volonté des personnes.
Dans une réserve indienne de Caroline du Nord, ils ont comparé les jeunes issus de familles ayant – ou non – bénéficié de revenus supplémentaires, en l’occurrence liés aux emplois apportés par l’ouverture d’un casino dans leur district. Parmi les 1 420 enfants étudiés, la fréquence des problèmes de comportement a diminué de 40 % chez ceux dont la famille était sortie de la pauvreté. Des recherches ultérieures ont confirmé la persistance de ces effets au-delà de l’adolescence. En revanche, l’augmentation des revenus familiaux n’a pas eu d’effet sur les symptômes de dépression et d’anxiété.
Un lien indéniable
Plus probante encore, la recherche Opportunity New York City: Family Rewards, démarrée à New York, en 2007, auprès de 5 000 familles ayant un revenu inférieur de 130 % au seuil de pauvreté fédéral (c’est-à-dire d’environ 1 890 dollars [1657 euros] par mois pour un adulte et un enfant). Ce programme de « transfert conditionnel de fonds » consiste à gratifier financièrement les familles participant à diverses activités en lien avec la santé, le développement ou la scolarité de leurs enfants.
Pendant les deux ans du programme, celles-ci ont reçu en moyenne 8 700 dollars. Outre l’impact positif constaté, notamment pour que les parents retrouvent un emploi ou s’y maintiennent, un sous-échantillon a permis d’évaluer l’impact sur le comportement des jeunes. Parmi 511 adolescents âgés initialement d’environ 14 ans, le fait que la famille bénéficie de ressources supplémentaires a engendré une diminution d’environ 10 % de la fréquence des comportements violents, de l’abus d’alcool et autres drogues.
Les politiques de lutte contre les comportements violents des adolescents ne semblent pas avoir pleinement intégré les déterminants sociaux et familiaux de ce phénomène
Ce genre de travaux a amené l’Organisation mondiale de la santé (OMS) à inclure « la réduction de la concentration de la pauvreté » dans les huit types de programmes recommandés pour prévenir les violences chez les jeunes.
Où en est-on en France ? Jusqu’à présent, les politiques de lutte contre les comportements violents des adolescents ne semblent pas avoir pleinement intégré les déterminants sociaux et familiaux de ce phénomène. A l’école, la violence est principalement abordée sous l’angle sécuritaire par la mise en place, depuis 2009, de diagnostics de sécurité et la création d’équipes mobiles de sécurité, ou par des interventions individuelles et ponctuelles pour éduquer les élèves. Une réflexion plus large sur les déterminants des comportements violents voire délictueux et leur prévention manque cruellement.
Les comportements violents ne sont pas l’apanage des enfants de familles pauvres, et les enfants pauvres ne sont bien entendu pas tous violents. Néanmoins, le lien entre pauvreté et troubles du comportement à l’adolescence est indéniable. Les recherches récentes suggèrent que la réponse la plus evidence-based (fondée sur des éléments probants) et pragmatique pour prévenir les violences chez les adolescents consiste à augmenter les ressources de leurs familles, et non pas de les diminuer. Il n’est pas trop tard pour que ces travaux soient pris en compte dans le plan de lutte contre la pauvreté qui doit être mise en œuvre cette année.
Maria Melchior est épidémiologiste, directrice de recherche à l’Inserm
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