Commencer les cours une heure plus tôt ne constitue pas forcément une aide pour les apprentissages, estime Agnès Florin, professeur émérite de psychologie de l’enfant et de l’éducation.
Tribune. Le 3 janvier, la présidente de la région Ile-de-France, Valérie Pécresse, demandait par un tweet au ministre de l’éducation [Jean-Michel Blanquer] de lancer une expérimentation dès 2019 : faire commencer tous les cours au lycée à 9 heures, en considérant que « ce sera bon pour les apprentissages et la santé de nos 500 000 lycéens et ça désaturera les transports ». Le ministre a semblé ouvert à une telle expérimentation.
L’idée s’appuie sur une recherche américaine récente conduite par une équipe de l’université de Washington auprès de groupes d’élèves en biologie de deux lycées de Seattle dont l’horaire de début des cours a été différé de 7 h 50 à 8 h 45. Ont été mesurés leur temps de sommeil (les lycéens devant renseigner chaque jour un journal détaillé), leurs notes moyennes, ainsi que leur taux d’absentéisme et de retard scolaire, avant le changement d’horaire (en 2016) et après (en 2017).
Leur temps de sommeil déclaré a augmenté de trente-quatre minutes, passant à sept heures vingt-quatre minutes, même s’il n’atteint pas la durée de sommeil conseillée à cet âge (entre huit et dix heures), leurs notes moyennes ont augmenté significativement et, dans un des deux lycées, les absences et retards en première période de la journée ont diminué. D’autres expériences comparables avaient été conduites auparavant aux Etats-Unis et avaient abouti à des résultats similaires.
Cinquante minutes de sommeil en moins en vingt-cinq ans
Mais peut-on considérer que retarder d’une heure le début des cours en France aurait des effets identiques, compte tenu des différences entre les systèmes éducatifs des deux pays, sans tester les impacts d’une telle expérimentation ? La proposition a du moins le mérite de nous faire réfléchir aux conditions de vie des lycéens et à leur bien-être.
Une étude de l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (Inpes) de 2012 montrait que le temps de sommeil des adolescents a diminué de cinquante minutes en vingt-cinq ans, ce qui est considérable, et que cette baisse est spectaculaire entre 11 et 15 ans : une heure trente et une minutes de sommeil en moins en moyenne. Cette diminution est liée pour une part à l’horloge biologique, qui se décale d’environ une heure au moment de la puberté : les adolescents s’endorment plus tard, avec une diminution du temps de sommeil profond qui favorise la croissance, l’apprentissage, la plasticité neuronale, l’équilibre physique et psychique.
Mais, selon les chronobiologistes, cette « dette de sommeil » est due essentiellement à des facteurs sociaux et environnementaux : horaires des cours et durée des devoirs à la maison, utilisation du téléphone portable le soir (que les ados gardent à portée de main la nuit, de crainte de perdre le moindre message), jeux vidéo. On sait qu’une consommation d’écrans a des effets délétères sur le sommeil : la lumière bleutée des écrans retarde l’endormissement, d’où un décalage de phase et un lever plus tardif ou difficile, qui entraîne une baisse de vigilance pendant la journée, des difficultés d’apprentissage, des risques pour la santé en général (hyperactivité, obésité, voire consommation abusive d’alcool et de drogues). Et il ne faudrait pas que différer d’une heure leur lever conduise les adolescents à se coucher plus tard ; sinon, le bénéfice éventuel de cette modification serait perdu.
Des spécialistes français du sommeil se sont émus, dans diverses tribunes récentes, de cette « dette de sommeil » qui touche également les adultes, réclamant un « plan sommeil » dans la politique de santé publique, une campagne d’information nationale et un enseignement de l’éducation au sommeil tout au long du parcours scolaire.
Réduire les vacances scolaires ?
Le manque de sommeil participe aussi à la reproduction des inégalités sociales, comme l’a montré une étude internationale sur la santé des jeunes en 2012 : l’insomnie des enfants et des jeunes est associée à la précarité financière (avoir une chambre à soi ou non, bruits du voisinage, horaires décalés et travail de nuit des parents, etc.) et à certains cadres de vie compliqués. S’ajoutent en milieu rural les contraintes du ramassage scolaire et le temps passé dans les transports collectifs, le matin et le soir.
Par ailleurs, la question de l’heure de début des cours ne répond qu’à une petite partie du problème. Si les emplois du temps des lycéens et leur charge de travail restent identiques, ce décalage du matin leur fera terminer la journée scolaire une heure plus tard. Rappelons que, parmi les pays de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques), la France se caractérise par des semaines chargées et de longues journées de cours (trente à quarante heures de cours par semaine au lycée, selon les séries et options, contre vingt-six heures en moyenne OCDE), répartis sur un plus faible nombre de jours dans l’année : 178 jours de cours, contre 187 en moyenne OCDE.
Différer d’une heure le début des cours au lycée ne suffira pas à faire remonter la France dans le classement PISA, sans une réflexion plus large sur les programmes scolaires et les besoins des jeunes (mais les nouveaux programmes et volumes horaires du lycée visent-ils un allègement ?), ainsi que sur la répartition des enseignements sur l’année, en envisageant une réduction des vacances scolaires. On sait ce qu’il est advenu des tentatives récentes de modification des rythmes scolaires en France…
Quant à « désaturer » les transports d’Ile-de-France en décalant d’une heure le début des cours des lycéens, on voit mal ce qu’il en adviendra si les lycéens se rendent au travail en même temps que les employés de bureau qui prennent leur service à 9 heures… mais cela ne relève pas de la psychologie !
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