Dans une tribune adressée au « Monde », Michel Canis, professeur de gynécologie obstétrique, suggère d’entrer en résistance face à la quête d’économies devenue inacceptable. Il propose une forme de grève sans impact sur le soin.
Tribune. Parce que la cupidité n’a pas de limites, la financiarisation de la société impacte chaque moment de notre vie. A l’hôpital, parler aux patients est un exploit. Beaucoup de soignants « craquent », certains vont jusqu’au suicide. Il faut faire plus avec moins. On utilise des secrétariats en ligne ou on limite le temps des consultations, comme si la prise en compte du patient dans sa complexité n’était plus essentielle. Au bloc opératoire, le temps est la référence : remplir les salles pour rentabiliser, mais finir à l’heure et éviter les heures supplémentaires du personnel non médical.
La qualité des soins est compromise quand l’image des caméras qui servent à opérer s’assombrit, ou disparaît si la caméra est en panne. De même quand l’intervention débute avec une durée impérative qu’il « faudrait » ne pas dépasser. Les chirurgiens devraient toujours finir à l’heure sans que cela nuise à la qualité, comme si les patients étaient tous les mêmes, comme des voitures à la sortie d’une chaîne de montage ! Chacun a des exemples qui montrent que les économies et les objectifs financiers menacent la sécurité et la qualité des soins.
Cette quête d’économies est devenue inacceptable. Pour ces raisons, j’ai quitté mes fonctions de chef du service de chirurgie gynécologique du CHU de Clermont-Ferrand le 1er juillet 2018. Je ne peux pas être l’exécutant d’une politique que je désapprouve ! J’ai démissionné. De nombreux médecins quittent l’institution. Je suis resté pour ma part à l’hôpital parce que la pression n’est pas très différente dans les établissements privés.
« Faciliter la mise en place des oukases de la finance en « comprenant » les impératifs qui guident nos décideurs est une erreur historique »
Tous les hôpitaux font face à ces difficultés : les suicides, les démissions parfois collectives, les articles dans des quotidiens régionaux ou nationaux, les décès de patients « oubliés » aux urgences en attestent. Malgré tout, la majorité d’entre nous accompagne le système en pensant qu’ils peuvent limiter les dégâts, ou convaincus qu’ils ne peuvent rien changer.
J’ai démissionné seul pour être en accord avec moi-même. Je ne vous demande pas de faire la même chose. Mais faciliter la mise en place des oukases de la finance en « comprenant » les impératifs qui guident nos décideurs est une erreur historique. Nous ne pouvons que retarder l’échéance. Le collet se resserre chaque jour. Ce que nous évitons aujourd’hui sera incontournable demain.
Nos directeurs d’hôpitaux, d’agences de santé et leurs autorités de tutelle ne sont que des courroies de transmission. Ils savent bien ce que la dette, qui gouverne, doit à l’évasion et à l’optimisation fiscales. Nous ne pouvons pas améliorer le logiciel de l’intérieur, c’est le système qui est une erreur.
Comment rester silencieux, quand pour défendre nos institutions les personnels non médicaux font grève, acceptant des pertes de salaire, et font parfois la grève de la faim ? Les articles dans les journaux, les coups médiatiques sont des feux de paille sans effet, emportés par le flot de l’information.
Il faut agir ! Réunissons-nous pour définir les projets. Je propose un cadre : la fin du chacun pour soi, pas de revendications salariales sauf pour les plus jeunes, davantage de moyens pour les patients, la redéfinition d’une administration qui étouffe de complexité, tout en gardant un regard lucide sur nos travers.
« Nous pouvons peser. Grâce à la tarification à l’acte, nous pouvons « faire grève » sans impact sur les soins »
Nous pouvons peser. Grâce à la tarification à l’acte, nous pouvons « faire grève » sans impact sur les soins. Si, pour défendre l’hôpital, nous remplaçons le code de l’acte réalisé par celui de l’acte le moins onéreux. Si nous minimisions le prix, au lieu de maximiser les coûts. En somme, un gynécologue ne déclarerait que des endoscopies diagnostiques, un chirurgien digestif que des appendicectomies…
Cette grève ne changerait rien pour les patients, nos actes seraient facturés. Mais le système serait touché dans ce qu’il a de plus « cher ». Suivie par une majorité, cette règle devient un moyen de pression pour défendre les services publics. En dénonçant la financiarisation de la santé, ce mouvement aiderait les personnels de l’hôpital et les autres services publics qui ne peuvent pas faire grève sans arrêter leur institution. Cela aiderait aussi nos collègues du privé, soumis eux aussi à des impératifs financiers.
Quoi de plus symbolique qu’une grève du zèle en matière d’économies de santé pour dénoncer la financiarisation ? Qui d’autre a le pouvoir d’une grève illimitée sans nuire au service rendu ? N’est-ce pas notre devoir de nous lever contre ce qui rend la pratique de la médecine et la vie de nos concitoyens chaque jour plus difficile ? N’avons-nous pas un devoir de résistance ?
L’argent qui gouverne grâce aux règles de la finance et aux tribunaux d’arbitrage est un dictateur. La peur, la peur de la dette et de la pauvreté, l’isolement des individus et la surveillance ou la dénonciation de tous par chacun fondent son pouvoir. Solidaires, nous pouvons prendre l’initiative ; isolés par de pseudo-pouvoirs ou la quête d’intérêts particuliers, nous ne pouvons rien. La médecine est impossible sans nous, mais aucun d’entre nous n’est indispensable ! Nos collègues du privé nous rejoindrons si leurs compétences et leurs contraintes sont prises en compte. Comme nous, ils travaillent pour le bien des patients. Levons-nous, ensemble !
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