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lundi 29 janvier 2018

«Je veux bien rester mais je veux pouvoir sortir aussi»

Par Eric Favereau — 
A la fin 2015, 728 000 personnes vivaient dans un établissement d’hébergement spécialisé.
vivaient dans un établissement d’hébergement spécialisé.Photos Édouard Caupeil


Témoignages de résidents d’Ehpad, rarement placés de leur plein gré, qui souffrent également du manque de moyens humains empêchant les aide-soignants de faire du cas par cas.

C’est le paradoxe de ce mouvement des Ehpad. Alors que les salariés se plaignent à juste titre de leurs conditions d’exercice, de leur impuissance à faire correctement leur travail ou de leur solitude, on entend rarement la parole des premiers intéressés, les résidents. Eux parlent peu. Reclus, ils sont bien vieux, bien fatigués et, souvent, ils n’ont plus ni toute leur tête ni tout leur corps. Dans un Ehpad, les gens sont chez eux car c’est leur domicile légal, ils peuvent l’aménager comme ils l’entendent. Mais voulaient-ils quitter leur maison ? D’après les dernières enquêtes - qui remontent à plus de cinq ans -, près d’un tiers des résidents sont venus contre leur gré, un autre tiers sans qu’on leur ait demandé leur avis et un tiers seulement de leur propre volonté. Cette question de l’«institutionnalisation contrainte» est rarement abordée publiquement. «Parfois, quand ils arrivent, ils s’opposent ouvertement,nous raconte une directrice d’Ehpad, près de Paris. Mais je rassure les proches en leur disant qu’en quelques jours, ça va passer…»

Les témoignages recueillis par le Centre d’éthique clinique de l’hôpital Cochin montrent que ce n’est pas toujours le cas. Notamment celui de cet homme en colère : «Je suis en prison ici, je veux sortir et je veux aller chercher des cigarettes.» Sa femme est à ses côtés, épuisée. Cela fait maintenant près d’un mois que ce monsieur, qui a fait un grave AVC, est dans cet Ehpad près de Paris. Le couple habite à quelques centaines de mètres de là, mais aux yeux des enfants, il est impossible que leur père reste à la maison avec leur mère toute frêle, qui n’a jamais su s’opposer. Alors ils ont choisi cette solution, et tous les jours, l’épouse vient voir son mari. «Je veux bien rester mais je veux pouvoir sortir aussi, répète ce dernier. Je ne vais pas passer ma journée sur mon lit. Ou dans la salle à manger avec les autres. Ma femme, elle a peur de tout.» A l’entrée de l’Ehpad, consigne a été donnée de ne pas le laisser sortir seul. «Le problème, c’est que l’on n’est toujours pas assez nombreux pour l’accompagner», explique la directrice.
«Risque».

Les exemples sont tous particuliers, comme l’histoire de cet homme, élégant et fatigué : «Ma femme avait perdu la tête, elle était malade depuis sept ans. Je m’en suis occupé, de plus en plus. Mon cousin me disait que j’allais m’épuiser, et que si ça continuait, je partirais le premier. L’incontinence, c’est le plus dur. La changer, changer les draps tous les jours. A Paris, elle n’ouvrait pas la porte, elle ne répondait pas au téléphone.» Que faire alors ? «Un grand mensonge, c’est comme ça que je l’appelle, nous a-t-il expliqué, culpabilisant d’avoir menti. J’ai dû me faire opérer, c’était la panique, je me demandais comment j’allais faire. J’ai dit à ma femme que j’allais me faire opérer et qu’elle allait être placée temporairement. Trois jours après, elle ne m’en a plus jamais parlé, ni de rien ni de rentrer à la maison. Ce grand mensonge, c’était un moyen d’éviter son retour à domicile. En ne lui disant pas qu’elle allait dans une maison de retraite, je ne prenais pas de risques. Je ne voulais pas prendre le risque…» Depuis, sa femme vit dans l’Ehpad et se croit chez elle.
Equilibre.

Une autre histoire, racontée par une directrice d’établissement : «C’est une femme de 50 ans, son père est hospitalisé après une chute dans la rue. Sa fille est perdue, elle nous appelle. J’ai un rendez-vous en urgence avec elle. Elle m’explique que son père se perd, qu’il ne la reconnaît plus. Le problème pour nous est de savoir si on peut l’accueillir et où. On a certes une chambre libre au deuxième étage, mais [ce dernier] n’est pas surveillé. Et lui n’est pas d’accord pour venir. Le médecin traitant nous contacte et nous dit, comme sa fille, que ce monsieur ne peut plus rester seul. Il présente à ses yeux un début de démence. Trois jours après, il arrive ici. Tout le monde est d’accord pour qu’il vienne, sauf lui. On essaie toujours de faire des entrées vers 14 heures, 14 h 30, pour que le résident puisse passer ensuite une après-midi entière avec la famille. Son entrée est calme, détendue. Finalement, le lendemain, une chambre se libère au premier étage, dans un lieu plus fermé.»

Cette situation paraît-elle normale à la directrice d’établissement ? «Vous savez, on n’a jamais de gens qui se présentent en nous disant : "Je veux venir." Après l’arrivée du résident, on essaie de trouver le meilleur équilibre. Avec ce monsieur, on note qu’il ne nous demande pas de sortir si on ne lui pose pas la question.» Elle concède : «Son dossier d’entrée ? Il aurait dû le signer, mais c’est sa fille qui l’a fait. Là encore, cela ne correspond pas tout à fait au texte de la loi.»
Sur ces mesures attentatoires à la liberté, bien des questions se posent et les réponses restent floues. En 2014, la contrôleure générale des lieux de privation de liberté, Adeline Hazan, a renoncé pour des raisons juridiques à faire entrer les Ehpad dans le champ de ces lieux. Mais elle notait quand même dans son rapport annuel qu’il fallait y réfléchir. Les Ehpad sont en tout cas des établissements où un personnel souvent maltraité est confronté à des résidents parfois contraints.

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