En 2016, un tiers des femmes qui ont accouché de leur premier enfant ont subi une incision du périnée. Un taux qui dépasse les 50 % dans une quarantaine d’établissements, principalement de petites cliniques privées.
« L’épisiotomie était ma plus grande peur, se souvient Coralie. Mais arrivée à la clinique, on m’a fait comprendre que si le médecin décidait d’en faire une, c’était comme ça, il ne fallait pas en faire tout un plat. » Elle a finalement subi une incision du périnée, sans être consultée. Dans cette maternité privée lyonnaise, il s’agissait d’un geste routinier, réalisé en 2016 sur 43 % des femmes ayant leur premier enfant. Pourtant, à quelques kilomètres, dans la clinique de Villeurbanne, le taux d’épisiotomie pour les premiers accouchements (« primipares ») n’est que de 8 %, soit cinq fois moins.
De tels écarts sont loin d’être rares en France, selon l’enquête du Monde, qui s’est associé à la Fédération française des réseaux de santé en périnatalité (FFRSP) pour publier en exclusivité les taux d’épisiotomie dans 425 maternités françaises (soit 82 % des établissements) en 2016. Une année où on estime à 157 000 le nombre d’épisiotomies pratiquées sur le territoire français, soit 20 % des 785 000 naissances recensées cette année là, selon les chiffres de l’enquête nationale périnatale de 2016.
Sur l’ensemble de ces naissances, le taux d’épisiotomie varie ainsi entre 0,3 % au centre hospitalier de Besançon et 45 % à la clinique des Emailleurs de Limoges pour une moyenne nationale de 20 %, dont 35 % pour les primipares.
Une tradition remise en cause
Les gynécologues-obstétriciens, dont la plupart ont été formés dans les années 1980, ont appris à pratiquer systématiquement une épisiotomie pour le premier enfant. Cette incision du périnée au scalpel ou aux ciseaux chirurgicaux, destiné à faciliter le passage du bébé, était présenté comme la solution pour éviter des déchirures et prévenir des problèmes à long terme : descente d’organes, incontinence anale…
« Ce systématisme n’avait aucune justification scientifique, puisque les travaux sur les bénéfices et les inconvénients ne sont arrivés qu’après », explique le docteur Multon, gynécologue à la polyclinique de l’Atlantique de Saint-Herblain (Loire-Atlantique). En 2005, le Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF) recommande un « usage restrictif » de ce geste, sans dépasser 30 %. La moyenne nationale, qui était à 50,9 % en 1998, chute alors à 26,8 % en 2010 puis à 20 % en 2016.
Longtemps considérée comme mineure, la question de l’épisiotomie s’est invitée dans l’actualité en juillet 2017, lorsque la secrétaire d’Etat à l’égalité entre les femmes et les hommes, Marlène Schiappa, l’a assimilée à une « violence obstétricale ». De nombreuses femmes, comme Coralie, ont témoigné d’« atroces douleurs, impossibles à soulager »persistant durant des mois. D’autres ont déploré le manque d’explication et l’impression d’être peu considérées, y compris dans des établissements prestigieux. Ainsi, la clinique Victor-Pauchet d’Amiens, qui propose suites privées et soins esthétiques, pratique 58 % d’épisiotomie chez les primipares. Stéphanie*, qui y a accouché, se souvient : « J’ai poussé seulement deux fois, puis on m’a fait une épisio sans me prévenir. Plus tard, une sage-femme m’a confié qu’on surnommait mon gynécologue “le boucher” ! »
Décalage public-privé
Le privé est surreprésenté parmi les trente-huit maternités dépassant le seuil recommandé (43 %, alors qu’elles ne sont que 25 % en France). Le praticien y est libre de réaliser tout acte médical qui lui semble nécessaire. Les taux peuvent être disparates entre les intervenants au sein d’une même clinique.
Pour la présidente du Collège national des sages-femmes, Sophie Guillaume, des taux élevés d’épisiotomie ne peuvent être résumés à des « sages-femmes ou obstétriciens sadiques ». Cela traduit parfois une mauvaise organisation du travail, dont « les professionnels souffrent également » : « Quand on manque de personnel, une épisiotomie peut faire gagner un petit peu de temps. »
Mais les habitudes peuvent changer. Le docteur Benoît de Sarcus, chef de service à la maternité de Nanterre, qui a longtemps pratiqué l’épisiotomie par « conservatisme », est « persuadé aujourd’hui que c’est mutilation sexuelle, s’il n’y a pas d’absolue nécessité » et estime que le taux national pourrait baisser à 5 %. Chaque matin, lors de la réunion de « staff », il passe en revue avec l’équipe d’obstétriciens et de sages-femmes les dossiers des patientes. « Est-ce que cette dame a été très méchante pour que vous lui fassiez une épisiotomie ? » plaisante-t-il, avant d’expliquer : « Un premier accouchement, un bébé en siège, difficile de ne pas le faire. » En 2016, l’équipe pratiquait 2,8 % d’épisiotomie. L’objectif n’est pas d’arriver à 0 % mais de n’intervenir que lorsque c’est nécessaire.
Ces réunions de staffs, qui existent dans tous les hôpitaux publics, s’étendent dans certaines cliniques privées : tous les jours à la clinique de l’Atlantique, une fois par mois à Natecia à Lyon. Difficile cependant de les organiser en cas de fort turn-over : « Beaucoup de petites maternités tournent avec des obstétriciens et des anesthésistes remplaçants. Ils font leur garde, mais ne sont pas toujours là le lendemain pour participer aux réunions et discuter leurs décisions », explique-t-on du côté de la FFRSP. « C’est aussi le cas en Ile-de-France, dans certaines maternités de moins de 1500 accouchements, situées en périphérie éloignée de Paris », souligne Catherine Crenn-Hebert, au sein de l’équipe chargée des indicateurs périnataux à l’Agence régionale de santé d’Ile-de-France.
Autre solution : communiquer à chaque professionnel ses statistiques personnelles. A la clinique de Tournan-en-Brie (Seine-et-Marne), le taux d’épisiotomie, qui s’élevait à 42 % en 2016, est ainsi passé à 28 % en 2017. Au CHU de Strasbourg, le professeur Israël Nisand assure aussi que « réaliser un décompte régulier et connu des obstétriciens et des sages-femmes a permis de réduire les taux d’épisiotomie, de 20 % à 4,5 % ». Egalement président du CNGOF, il lance en juin un label qualité pour les maternités, qui rendra notamment public le taux d’épisiotomie. Un timide effort vers la transparence – sur la base du volontariat.
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