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samedi 13 mai 2017

Quand trouver un médecin traitant vire à la galère

LE MONDE | Par 
A la maison médicale d’Agneaux (Manche), où neuf médecins exercent, le 12 mai.
A la maison médicale d’Agneaux (Manche), où neuf médecins exercent, le 12 mail. Christophe Halais pour "Le Monde"

Avec 63 médecins pour 115 00 habitants, le bassin de vie de Saint-Lô-Torigni, dans la Manche, n’est pas à proprement parler un désert médical. Quand Pascal Marie, 58 ans, y a emménagé au début de 2016, il n’est pourtant pas parvenu à trouver de généraliste qui accepte – faute de place – de devenir son médecin traitant.

Atteint de plusieurs pathologies lourdes, cet ancien ouvrier du bâtiment s’est donc résolu, pour renouveler ses ordonnances, à consulter pendant les vacances scolaires des praticiens remplaçants « car ils prennent plus facilement ». Toujours pour « contourner le truc », lorsqu’il a attrapé la grippe cet hiver, il s’est rendu directement aux urgences de l’hôpital.


Christian Guillotte, tuteur d’une vieille dame de 80 ans en maison de retraite à l’autre bout du département, a, lui, été obligé de demander à la Caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) de l’aider à trouver un nouveau médecin traitant pour suivre cette femme, après que celle-ci ait récusé le précédent, convaincue qu’il ne la soignait pas bien. « J’ai appelé tous les médecins des environs, aucun ne pouvait, tous me disaient qu’ils ne prenaient plus de nouveaux patients parce qu’ils en avaient déjà trop, et qu’en plus, ils ne souhaitaient pas se déplacer à plus de 10 kilomètres de leur cabinet. »

Pour ne pas pénaliser par un moindre remboursement (à un taux de 30 % au lieu de 70 %) ces patients sortis malgré eux du parcours de soins coordonnés, les caisses primaires d’assurance maladie (CPAM) adoptaient jusqu’à présent des stratégies différentes. Certaines choisissaient de maintenir l’enregistrement auprès d’un médecin même après son départ à la retraite. D’autres indiquaient aux généralistes comment remplir la feuille de soins pour éviter des pénalités aux patients.


« Est-ce raisonnable ? »


Afin d’« harmoniser » les réponses et « ne pas injustement faire subir une pénalité financière qui n’a pas lieu d’être », Nicolas Revel, le directeur général de l’Assurance maladie, a demandé fin février à toutes les caisses de « neutraliser provisoirement la pénalité » de ces patients par l’utilisation d’un numéro unique le temps d’essayer de résoudre ces situations. Un dispositif qui devrait également permettre à la Sécu d’« objectiver la situation », explique-t-il au Monde, afin de savoir précisément, d’ici un an, combien de Français n’arrivent pas à trouver de médecin traitant. Selon les chiffres de l’Assurance maladie, près de 4 millions de Français de plus de 16 ans en seraient aujourd’hui dépourvus, dont certains par choix.

A  la maison médicale d’Agneaux, une commune limitrophe de Saint-Lô. La salle d’attente, le 12 mai.

A Saint-Lô, les premiers courriers devraient partir à la fin du mois. Ils seront adressés à 12 000 assurés de la Manche consommateurs de soins qui ont un médecin traitant retraité ou hors département et sans médecin traitant déclaré. Près de la moitié (5 000) d’entre eux vivent dans le bassin de vie de Saint-Lô-Torigni. Pendant six mois, leurs soins seront remboursés au taux habituel. Passé ce délai, ils devront certifier qu’aucun médecin ne les a acceptés et qu’aucune solution n’a pu être trouvée, malgré l’aide de la CPAM, faute de quoi ils verront leurs remboursements réduits.

A la manœuvre, Lydie Poisson, la conciliatrice de la CPAM. Depuis sept ans, c’est elle qui s’occupe de trouver des solutions pour ces patients « orphelins » de leur médecin de famille. « Les gens qui s’installent à Saint-Lô ne trouvent pas tous un médecin traitant dans la ville, dit-elle. Un assuré m’a dit avoir appelé jusqu’à trente médecins sans avoir trouvé. »
L’année dernière, près de 160 personnes ont fait appel à la conciliatrice après avoir emménagé dans le département ou ont vu leur médecin de famille partir à la retraite sans successeur. Ne disposant d’aucun pouvoir de contrainte, Mme Poisson ne peut qu’orienter et, pour les cas urgents, alerter le président de l’Ordre départemental des médecins. Aux assurés de Saint-Lô, elle conseille généralement de s’adresser à des médecins situés « jusqu’à vingt kilomètres » de leur domicile.

« Les médecins de ces communes râlent un peu en disant qu’on pourrait faire un effort et prendre un peu plus de patients à Saint-Lô, raconte le docteur Frédéric Paing, 45 ans, installé dans la ville depuis quinze ans. Mais est-ce que ce serait raisonnable de le faire ? Je suis là de 7 heures du matin à 20 heures le soir, je vois plus de trente patients dans la journée, je ne peux pas faire plus. » Sa secrétaire « refuse au moins dix demandes de médecin traitant par semaine ». Avec 1 600 patients enregistrés, sans compter les enfants, le docteur Paing affiche déjà une patientèle deux fois supérieure à la moyenne du département. « A quoi ça rime d’accepter un patient si on ne peut pas lui donner un rendez-vous avant trois ou quatre jours quand il a besoin de nous rapidement ? », demande-t-il.


Changement de pratique


Sur le papier, la ville n’est pourtant pas confrontée à un manque de médecins. « Même si avec trois ou quatre généralistes de plus, ce serait plus confortable pour tout le monde », dit le docteur Paing. Le souhait des jeunes généralistes de ne pas avoir les mêmes journées à rallonge que leurs aînés est en revanche régulièrement mis en avant comme l’une des causes de l’engorgement. « S’ils travaillaient tous 70 heures, il n’y aurait pas de problème, mais nos jeunes confrères ont changé de pratique, ils veulent équilibrer leur vie professionnelle et leur vie familiale », analyse Jean-Yves Bureau, le président de l’ordre départemental des médecins. A ce titre, estime-t-il, ce qui se passe à Saint-Lô, est « significatif de l’évolution de la façon de travailler dans le département ».

A la maison médicale d’Agneaux, une commune limitrophe de Saint-Lô. Consultation du docteur Marie-Christine Ballière.

« Tous les vieux médecins généralistes nous disaient qu’ils n’avaient pas vu leurs enfants grandir, j’ai choisi de ne pas faire des horaires impossibles », témoigne le docteur François Lebailly, 35 ans et père d’enfants en bas âge, qui travaille tout de même 40 à 45 heures par semaine, sur quatre jours. Est-ce parce que le nouveau médecin qui vient de s’y installer « n’arrive pas encore à dire non aux gens qui arrivent dans la région » ?

A la maison médicale d’Agneaux, une commune limitrophe de Saint-Lô, où le docteur Lebailly exerce au côté de huit autres médecins, on dresse un constat un peu moins alarmant de la situation. « La difficulté à trouver un médecin traitant est marginale, on est plus dans le ressenti que dans le factuel », affirme le docteur Jean Siré, après avoir demandé à l’accueil si beaucoup de patients étaient éconduits dès le premier appel.

« Sauf si la demande est faite en pleine épidémie, on accepte au compte-gouttes des demandes pour être médecin traitant, mais il faut une bonne raison », affirme le docteur Thierry Michel, 58 ans. En clair, pas question d’accepter un patient qui changerait de médecin traitant pour convenance personnelle. Il faut montrer patte blanche pour décrocher le précieux sésame. « Certains patients nous ferrent, dit le docteur Lebailly. Ils mettent le pied dans la porte, ils viennent quatre fois pour une simple consultation et à la fin de la quatrième, demandent : “Au fait, docteur, vous n’accepteriez pas de devenir mon médecin traitant ?” »

Depuis 2006, tous les assurés sociaux de plus de 16 ans doivent déclarer auprès de l’Assurance maladie un médecin traitant afin que celui-ci assure un premier niveau de recours aux soins et coordonne le suivi médical. Sans cette déclaration, les remboursements de la « Sécu » sont minorés.
Alors que 50 millions de Français de plus de 16 ans ont déclaré un médecin traitant, près de 4 millions de personnes de plus de 16 ans en sont dépourvues (soit 7,5 % de la population), selon les chiffres de l’Assurance maladie. Une partie de ces assurés sans médecin traitant (généralement estimée à 10 %) sont cependant non consommateurs de soins.

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