Paris, le samedi 13 mai 2017 – Un des thèmes privilégiés des blogs tenus par des praticiens concerne la relation médecin/malade. Souvent, il s’agit par ces analyses d’isoler les attitudes contre-productives des médecins, telles le paternalisme. Tous cependant ne pratiquent pas l’auto flagellation et s’amusent plus certainement à épingler ce qui dans les comportements des patients favorisent l’infantilisation. Parce qu’ils sont vulnérables et impressionnés par le pouvoir et le savoir (supposés !) du professionnel, les malades se mettent en effet fréquemment d’emblée en position d’infériorité, sans qu’il soit nécessaire au médecin d’insuffler une once de condescendance. Le témoignage de cette tendance s’observe dans le fait que l’intimidation débute parfois avant même le premier contact entre le médecin et le patient. « Parfois, cela commence dès l’arrivée dans l’immeuble avec un vent de panique : sur quel bouton appuyer? La porte ne s'ouvre pas? Docteur, je suis coincé en bas... », décrit avec humour le dermatologue autour du blog Les billets d’humeur du Dr. Cette infantilisation repose fréquemment sur une conception de la médecine éloignée de la science et de la technique : les praticiens sont encore fréquemment perçus comme des êtres dotés de pouvoirs quasiment surnaturels.
« Certaines remarques nous désarment: ''vous savez le petit comprimé blanc dans une boîte bleue'', ''donnez-moi des noms, je vous dirai si c'est ça'' (…). Ils espèrent que les médecins vont leur souffler la réponse comme un camarade en classe, imaginant que les soignants connaissent les noms, les emballages et les galéniques des médicaments princeps et génériques, ou qu'ils ont des pouvoirs divinatoires, qui sait ». Cette panoplie de l’infantilisation automatique, que les médecins n’encouragent pas tous et que certains à l’image de l’auteur du blog ressentent comme légèrement agaçante, se complète de la tendance à la dissimulation. « A la question: "vous vous mettez beaucoup au soleil?" lorsque vous observez une peau très abîmée et de nombreux stigmates des expositions multiples, la réponse est souvent: "non, je n'y vais presque jamais et je me protège toujours avec de l'écran total". Pris sur le vif, ils tentent de cacher la vérité ».N’en dites pas trop
Mais cette infantilisation est aujourd’hui concurrencée par une autre attitude : le patient convaincu de détenir la vérité sur son état. « Certains patients par contre sont très angoissés, limite hostiles, ils viennent avec une liste de questions interminable et un historique de plusieurs décennies. Ils sont incollables, ils ont surfé sur le web, participé à de nombreux forums, ils vous attendent au tournant, ils savent quel traitement doit leur être prescrit » décrit l’auteur du blog. Non contente d’être désagréable pour le praticien qui peut avoir « l’impression de repasser le Concours », cette méthode peut se révéler contre-productive pour le malade lui-même. Le praticien relate ainsi dans une note publiée début mai qu’ « une récente étude américaine a (…) montré à quel point le comportement agressif de certains patients se retournait contre eux et influençait négativement leur prise en charge ». Au-delà de l’agressivité, la surenchère d’informations énumérées par le malade risque d’éloigner le praticien de l’hypothèse la plus pertinente. « L’attitude de certains patients consistant à apporter au médecin sur un plateau le diagnostic voire le pronostic et le traitement, dessert et retarde la conduite à tenir. (…) Si certaines informations les aident et les renseignent vraiment, d'autres au contraire parasitent largement les discussions ». Le praticien risque en effet d’être influencé comme l'auteur du blog a pu en faire lui-même l’expérience : victime d’une péritonite, il avait, lors d’une première consultation, mal aiguillé le médecin venu l’examiner, en évoquant ses vomissements et une probable gastro-entérite.
Distance respectueuse…
L’affaire témoigne de la nécessité de savoir prendre ses distances avec les déclarations des patients (même voire surtout quand ils sont eux-mêmes médecins). Le dermatologue en est conscient qui indique : « Il m'arrive souvent de prendre en photos des lésions cutanées suspectes et de les regarder à tête reposée chez moi pour ne pas conclure hâtivement, dans un sens ou un autre, sous influence (je l'ai toujours eu docteur, on m'a dit que ce n’était pas grave). Les données et leur utilisation varient selon l'état d'esprit du patient et aussi du soignant. Un collègue m'a ainsi avoué qu'il décidait davantage de pratiquer des exérèses de naevi (…) lorsqu'il se sentait en phase anxieuse ».
… sans se couper de l’intuition
Mais et c’est là que l’équilibre est particulièrement délicat et complexe, observer une distance circonspecte ne doit cependant pas conduire à se couper de ce qui relève de l’intuition des patients. Or la force de cette dernière ne doit pas être négligée nous rappelle le praticien. « Un de mes anciens professeurs de dermatologie, le Pr R., spécialisé en cancérologie cutanée, m'avait demandé d'assurer le suivi d'une de ses patientes, lors de son déménagement en région parisienne. Elle avait eu un mélanome trois ans auparavant, ses bilans étaient négatifs jusque-là. Elle s'inquiétait pourtant d'une lésion pigmentée d'allure assez banale de l'avant-bras. Elle l'avait récemment montré au Pr R qui avait, à juste titre, évoqué un lentigo, lésion bénigne. Mais, elle insistait, je la sentais préoccupée. Lorsque je l'ai retiré, le résultat anatomo-pathologique lui a donné raison: il s'agissait bien d'un deuxième mélanome, de très bon pronostic heureusement, et pas d'un simple lentigo. L'intuition des patients est très importante, on le réalise notamment en pédiatrie quand les parents arrivent inquiets aux urgences. Leur impression est un préambule nécessaire et sert d'amorce à toute discussion. Il nous faut d'abord écouter » raconte-t-il.
L’ensemble de ces observations confirme combien la médecine reste nourrie des réflexions sur les complexités et les subtilités du rapport médecin/malade, comme l’illustrent Les billets d’humeur du Dr à relire ici :
Aurélie Haroche
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