LE FAIT
Le droit pénal de la santé français n'a pas fait son choix entre régulation ou sanction, selon Patrick Mistretta, professeur d'université. Lors d'un colloque de droit pénal comparé, plusieurs pistes se sont dessinées pour le faire évoluer tout en évitant de favoriser une médecine défensive.
L'ANALYSE
En matière médicale, le droit oscille entre indemnisation pénale et sanction disciplinaire. Le droit pénal médical se distingue cependant du droit pénal général dans le sens où "il répond à une double logique, la protection du malade (intégrité, dignité, etc.) et la régulation de la profession médicale (exercice illégal, infractions à la bioéthique, etc.)", selon Patrick Mistretta, professeur à l'université de Lyon 3. Sous sa direction scientifique s'est organisé un colloque international de droit pénal médical comparé à Lyon. "Le droit pénal médical français, continue-t-il, est en proie à une crise d'identité et doit répondre à une question simple : est-il un droit éthique, technique ou les deux ?" Sans trancher cette question, ce droit se dirige vers des dévoiements.
Le droit médical se caractérise dans chaque pays par des spécificités culturelles ou d'organisations des procédures. Natane W.Levi-Falk, professeur des universités en Israël, souligne ainsi la dimension symbolique du médecin, "délégué de l'Éternel", dans son pays. En Espagne, Joaquin Cayon de Las Cuevas, professeur à l'université de Cantabrie, souligne "la nouvelle tendance d'utilisation du processus pénal pour des raisons civiles" pour améliorer la position du plaignant dans ses négociations indemnitaires. "Heureusement que ce n'est pas le cas en France, sauf en de rares occasions", rebondit Jean-Olivier Viout, procureur général.
Incapacité à sanctionner
En France, peu de condamnations sont prononcées en matière médicale. Patrick Mistretta estime que le droit est "défaillant" en notant l'incapacité de sanctionner efficacement dans les différents scandales sanitaires (sang contaminé, hormones de croissance, Médiator, etc.) qui se sont succédés. "Les mêmes causes auront les mêmes effets et les mêmes résultats pour la Dépakine, le dispositif Essure", prédit-il. Pour perfectionner ce droit, il évoque plusieurs pistes comme une nouvelle articulation entre régulation et sanction ainsi que la définition d'un statut de la personne ou de l'embryon dans le droit pénal médical. "Peut-il exister sans un statut pénal du corps humain ?" s'interroge Patrick Mistretta.
En comparaison avec d'autres pays, des pistes ont également été esquissées lors du colloque organisé à Lyon. Au Royaume-Uni, "le droit pénal à un rôle à jouer pour pousser les hôpitaux à avoir de bonnes pratiques ou à surveiller davantage les traitements", avance Oliver Quick, maître de conférences à l'université de Bristol. Pour Stephen Ziegler, le droit pénal a eu comme "impact non-intentionnel" d'empêcher certains comportements. "Personne n'a envie de subir des investigations même s'il est innocent", avance le professeur de l'université d'Indiana.
Aux Pays-Bas, la question du droit pénal médical émerge, le contentieux disciplinaire étant majoritaire. "L'idée est d'améliorer la pratique médicale plutôt que de condamner et d'humilier", résume Joseph Gevers, professeur à l'université d'Amsterdam. Le droit pénal est perçu comme le dernier recours tandis que les sanctions disciplinaires sont plus flexibles et moins propices à l'émergence d'une médecine défensive.
Éviter une médecine défensive
La crainte d'une médecine défensive est également prégnante dans l'équilibre du droit pénal médical. Le contexte italien se caractérise, pour les médecins, à une "surexposition aux risques", selon Stefano Canestrari, professeur à l'université de Bologne, qui a abouti à une médecine défensive. "La pratique médicale tend plus à se protéger des contentieux juridiques qu'à l'intérêt des patients. Deux paradigmes différents sont en balance. Les médecins recommandent des tests cliniques qui ne sont pas nécessaires, ce qui est positif, mais refusent de prendre des patients difficiles, ce qui est négatif", analyse-t-il. Le Parlement italien a publié deux lois pour réformer le droit pénal médical. Mais leur application dépendra de la jurisprudence. Une jurisprudence "rigoureuse" en raison des délais trop longs d'indemnisation au civil. "Le pénal a servi de substitut au civil", résume Stefano Canestrari.
Un développement modéré
Professeure à l'université de Lorraine, Sophie Hocquet-Berg pense qu'il n'est "pas nécessaire de développer le droit pénal médical, personne n'y a intérêt". L'enjeu est plutôt de développer et d'accélérer les procédures amiables d'indemnisation des victimes. Jean-Baptiste Perrier, professeur à l'université d'Auvergne, propose qu'une autorité de régulation avec un pouvoir d'amende pour "adapter la réponse à la faute commise", à l'image de l'amende administrative mise en place par la loi Hamon dans le domaine de la consommation.
S'il faut néanmoins développer le droit pénal médical, c'est à l'encontre des laboratoires pharmaceutiques. "Pour les laboratoires qui connaissent la toxicité de leurs produits mais qui commercialisent pour des raisons de profit, le droit pénal médical n'agit pas alors qu'une sanction s'impose", soulève Sophie Hocquet-Berg. Jean-Olivier Viout, procureur général, veut cependant veiller aux liens entre droit pénal médical et droit pénal général. "Des dispositions pénales spécifiques, je dis non, nous avons des bases assez solides aujourd'hui", avance-t-il, tout en reconnaissant l'utilité d'un toilettage.
La bioéthique comme spécificité
Cependant, une vraie spécificité du droit pénal médical se dégage avec la bioéthique. "Un droit très foisonnant car le dispositif est mal ficelé et des règlementations hyper spécialisées qui gênent quand il y a des enjeux importants", mesure Jean-Baptiste Thierry, maître de conférences à l'université de Lorraine. Certains pays ont déjà mis en place un droit pénal autour des questions de bioéthique comme le clonage humain, qui fait l'objet d'un code éthique en Australie, ou l'euthanasie. Cette dernière a ainsi été dépénalisée en Belgique avec le choix de la voie médicale pour y procéder. "Le même jour, un projet de loi sur les soins palliatifs a été présenté. Il existe des croisements entre les deux propositions qui se réfèrent l'une à l'autre. Les soins palliatifs sont un droit et l'euthanasie une possibilité", rappelle Jean-Marc Van Gyseghem, chercheur à l'université de Namur. La dépénalisation pour le médecin et le pharmacien qui dispense n'est cependant applicable que si la loi a été "scrupuleusement" respectée. Trois procès pour euthanasie non-règlementaire se sont déjà tenus.
"Ce qui est partagé sur la fin de vie, c'est que seulement des débats particulièrement sereins et mesurés aboutissent à des textes réfléchis", analyse Jean-Baptiste Thierry. Un conseil à l'attention du Parlement français qui devra procéder à la révision des lois sur la bioéthique avant 2018. La question de la fin de vie sera alors discutée et devra notamment trancher le débat sur le suicide assisté ou l'euthanasie.
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