Alors que se préparent les futurs projets territoriaux de santé mentale, des progrès restent à faire pour asseoir une culture de coopération entre acteurs, ont notamment témoigné des fédérations hospitalières. La Fehap semble tirer pour l'heure son épingle du jeu et propose déjà des outils pour faciliter le parcours entre sanitaire et médico-social.
Lors d'une journée nationale d'étude au ministère de la Santé sur le thème "Territorialités, psychiatrie et santé mentale" (1), le 4 mai dernier (lire notre article), une table ronde a notamment réuni les principales fédérations hospitalières pour échanger sur la préparation des futurs projets territoriaux de santé mentale (PTSM). À cette occasion, les discussions entre responsables de la Fehap, de la FHF et de la FHP-Psy ont mis au jour des différences d'acculturation aux coopérations, alors que les acteurs de la santé mentale vont être a priori amenés à collaborer étroitement pour élaborer ces futurs PTSM.
Nécessité d'outils coconstruits entre les acteurs
Le président de la commission nationale "psychiatrie et santé mentale" de la Fehap, Jean-Nicolas Fichet, a souligné qu'il fallait respecter des principes essentiels pour la politique de santé mentale : en premier lieu, bâtir une organisation au service du projet, une "évidence [qui] n'est pas toujours partagée". Par exemple, définir le territoire comme étant celui du bassin de vie de la communauté sociale, non pas comme une réalité administrative. Il a aussi plaidé pour une présentation commune par les institutions (ARS, maisons départementales des personnes handicapées (MDPH), conseils départementaux, assurance maladie, etc.) du diagnostic territorial partagé. "Il serait important que toutes ces institutions finissent par avoir un langage commun afin d'avoir une vue d'ensemble", a-t-il commenté. Enfin, il a pointé la nécessité d'engager la coconstruction d'outils pour évaluer les besoins de soins et d'accompagnement. Avec en ligne de mire, des priorités mises notamment sur le dépistage précoce des troubles, le repérage des risques environnementaux et/ou ceux liés à la personne, l'identification des besoins de soins psychiques et somatiques, mais aussi le besoin d'accompagnement des familles. Par ailleurs, le représentant de la Fehap a estimé qu'il fallait élaborer une grille d'évaluation des besoins, des capacités et des souhaits des personnes soignées et/ou accueillies, qui soit "Geva (2)-compatible". Ceci afin d'avoir des éléments de comparaison par rapport à la compensation du handicap.
Un document référent tout au long du parcours
Autre proposition "très concrète", évoquée par la Fehap : instaurer un projet personnalisé de soins et d'accompagnement, identique dans le sanitaire et dans le médico-social, pour chaque personne. Cette proposition, mise en œuvre au sein de la Fondation John-Bost par exemple (3), "permet aux personnels des différents établissements de parler le même langage, avec un document de référence, ce qui est fondamental pour assurer cette continuité dans le parcours". Autour de la table ronde, David Gruson, délégué général de la FHF, a confié malgré son long parcours dans le monde de la santé, qu'il n'avait que "récemment compris le sens pratique de la territorialité en psychiatrie et santé mentale". Il a expliqué être venu l'observer sur le terrain, notamment à l'invitation de Christian Müller, président de la Conférence des présidents de CME de CHS. "Bien antérieure aux communautés psychiatriques de territoire, aux PTSM, cette territorialité est ouverte sur la ville, sur le secteur médico-social ; elle n'est pas institutionnelle mais en réponse à des besoins", a-t-il souligné. David Gruson a évoqué un "moment de confrontation cognitive quand se sont déployés les GHT", notamment entre les différentes logiques territoriales défendues en MCO ou en psychiatrie. Puis, "le processus s'est engagé" et la notion de territorialité en santé mentale est désormais "perçue et reçue" par les membres des groupements. "J'avais la crainte d'un empilement des dispositifs dans un contexte économique contraint. En fait, on a là une territorialité de projets" qui évite précisément un écueil, a expliqué le responsable de la FHF. Cet écueil aurait pu être que, paradoxalement, l'entrée des CHS dans les GHT conduise à une "bunkerisation de la psychiatrie et de la santé mentale". Ce qui aurait alors coupé les liens de la discipline, tissés de longue date, avec les autres acteurs.
Des clivages à dépasser, notamment entre public et privé
"Cette territorialité en santé mentale vient en complément du chemin d'intégration qui est poursuivi dans les GHT et qui va aller s'accélérant : nous aurons de plus en plus besoin de cette forme ouverte sur la ville et le médico-social", a poursuivi David Gruson. Il a souligné, dans ce mouvement de coopération en psychiatrie, qu'il fallait réfléchir à des mécanismes plus pratiques d'accompagnement des établissements, notamment afin de structurer les projets médicaux et médico-soignants de territoire, conformément aux travaux conduits par Frédéric Martineau et Christian Müller (lire notre article). Il s'agit enfin d'expliquer aux établissements MCO que la territorialité en psychiatrie "ne doit pas être perçue comme un problème, mais comme une chance" de dépasser des clivages. Du côté des cliniques, Olivier Drevon, président de la FHP-Psy, a salué cette journée de réflexion entre acteurs de la psychiatrie, champ disciplinaire "où l'on a trop souffert depuis trente ans de clivages ou encore d'idéologies". L'hospitalisation privée "s'est construite historiquement en dehors de l'organisation de la psychiatrie en France, et là on nous demande de travailler ensemble, sur un pied d'égalité", a-t-il poursuivi, estimant que c'était "un défi difficile, sinon ce serait fait depuis longtemps".
Néanmoins, des coopérations fonctionnent localement, "avec un directeur d'ARS qui est plus avenant, qui favorise les coopérations, ou encore un directeur d'hôpital, des médecins dans une clinique ouverts à la discussion, etc.". Il existe des établissements privés "qui sont intéressés par ces coopérations, pour certains notamment par l'élaboration des diagnostics partagés, des échanges sur les pratiques", a souligné Olivier Drevon, indiquant que les premiers retours sur des discussions en régions étaient satisfaisants. Mais il ne suffit pas d'avoir des objectifs de santé mentale, qui sont d'ailleurs unanimement partagés, a-t-il estimé. De plus, "on passe là une toute autre échelle" avec des coopérations sur l'ensemble du territoire. Or, les médecins libéraux ne trouvent pas facilement le temps de participer à des réunions, "il faut que les travaux aillent vite et débouchent sur du concret", comme des outils de coopération. Et de conclure : "Le rôle de notre syndicat est d'être moteur dans l'accompagnement et la mobilisation de ses adhérents, j'ai bon espoir et il y a une volonté forte de notre part" pour une reconnaissance de l'hospitalisation privée dans l'offre en santé mentale.
(1) Cette journée a été organisée notamment par l'Association des établissements du service public de santé mentale (Adesm), la Conférence nationale des présidents de commission médicale d’établissement (CME) des CH spécialisés, la Fehap et la FHF, en lien avec les représentants des patients et des familles.
(2) Le Geva, guide d'évaluation des besoins de compensation de la personne handicapée, constitue la référence nationale pour l’évaluation de ces besoins pour les équipes pluridisciplinaires des maisons départementales des personnes handicapées (MDPH).
(3) Fondation gérant 34 établissements ou services sanitaires et médico-sociaux implantés dans quatre régions, dont Jean-Nicolas Fichet est secrétaire général.
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