Psychiatre et anthropologue, le Pr Richard Rechtman, directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), analyse les impacts psychologiques de la tuerie de Nice.
Le Quotidien du Médecin : Comment la société peut-elle réagir à cet évènement dramatique, qui entre en cruelle résonance avec la tuerie de « Charlie Hebdo » et les attentats du 13 novembre ?
Pr Richard Rechtman : Nous observons un double phénomène. Il n'y a pas une sidération semblable à celle qu'on a vue à la suite de « Charlie Hebdo » et du 13 novembre ; ce n'est pas le même effroi. En revanche, on constate une augmentation dans le degré d'insupportabilité. C'est psychiquement intolérable.
En temps normal, on vit avec l'idée que la mort existe, sans pour autant faucher des vies aveuglément. Avec ce nouveau meurtre de masse, le sentiment de sécurité est ébranlé. Tout devient suspect : on regarde s'il n'y a pas d'objet sous les sièges ; l'un de mes patients ne peut plus s'asseoir derrière la vitre d'un restaurant. Un rien réveille le sentiment d'insécurité. Tout peut devenir un objet de mort, comme un camion. Récupérer une forme de sérénité va prendre beaucoup de temps.
Pourquoi préférez-vous parler de meurtre de masse, plutôt que d'attentats ?
Les attentats sont commis par un groupuscule terroriste au nom d'une cause précise, étayée par des revendications. Les meurtres de masse sont classiques des génocidaires. L'objectif est de tuer en masse un plus grand nombre de civils, davantage que de s'attaquer à un lieu symbolique. Il y a une forme de productivité du massacre. Et un effet différent sur les populations.
Au lendemain de « Charlie Hebdo », vous souligniez l'importance des mesures politiques(deuil national, drapeaux en berne). N'y a-t-il pas un risque qu'elles perdent de leur sens, alors que déjà des critiques s'élèvent ?
Les critiques font partie du débat démocratique, de l'espace républicain, et elles peuvent être d'autant plus virulentes qu'on s'approche des élections présidentielles. Qu'importe : la population doit entendre de la part du politique l'hommage aux morts et aux victimes. Ce qui serait problématique, ce serait une désunion sur ce principe de solidarité avec les disparus. Ou une société réduite au silence par le terrorisme.
Quels peuvent être les effets psychologiques du drame de Nice sur les victimes des tueries précédentes et les endeuillés ?
Chacun réagit de façon très différente. Certains endeuillés sont dans une angoisse urgente, d'autres non. D'aucuns m'ont dit que les modalités du drame étant autres, ils ne replongent pas.
En tout état de cause, comme j'ai pu le dire après le 13 novembre, les médecins doivent avoir une écoute bienveillante, surtout à l'égard de ceux qui se sentent mal de se sentir mal alors qu'ils n'ont pas été exposés directement. Ils ne doivent pas hésiter à traiter médicalement (via4 ou 5 jours d'anxiolytiques) les états d'anxiété, pour diminuer le niveau de stress.
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