Alors que les interventions des professionnels au sein des cellules d'urgence médico-psychologique (CUMP) semblent s'intensifier en fréquence, le Dr David Travers, psychiatre au CHU de Rennes, explique pour Hospimedia les missions, le fonctionnement et les enjeux de ces dispositifs, qui nécessitent, selon lui, une harmonisation au niveau national.
Hospimedia : "Il y a une quinzaine de jours s'est tenue la première journée des cellules d'urgence médico-psychologique (CUMP) de la zone de défense Ouest au CH Guillaume-Régnier, établissement spécialisé en psychiatrie à Rennes (Ille-et-Vilaine). Pouvez-vous rappeler les enjeux de l'existence des CUMP ?
Dr David Travers : Cette journée était notamment l'occasion de réunir les acteurs du dispositif : préfets, responsables d'ARS, responsables des CUMP, chefs de service des Samu, volontaires de la zone de défense. Le pôle universitaire de psychiatrie adulte du CH Guillaume-Régnier (CHGR) et du CHU est en charge de la cellule d'Ille-et-Vilaine (CUMP 35) et de la Bretagne. Il est aussi en charge de la zone de défense Ouest*, qui couvre la Bretagne, le Centre-Val-de-Loire, les Pays de la Loire, la Normandie. Il faut rappeler tout d'abord que les CUMP ont été créées au niveau national à la suite de l'attentat à la station de métro Saint-Michel à Paris en 1995, puis se sont progressivement constituées avec des missions départementales, régionales et zonales, comme pour toute l'organisation sanitaire de crise. Leur cadre règlementaire s'est étoffé au fil des ans. Leur mission initiale et première reste le soin, la prise en charge de l'urgence médico-psychologique, au service des victimes/témoins de catastrophes ou d'accidents impliquant un grand nombre de victimes et/ou susceptibles de causer des répercussions psychologiques importantes. L'idée est de pouvoir réguler un minimum leurs émotions et surtout d'éviter — ou de dépister si jamais cela se met en route — des états de stress post-traumatique. Car il faut savoir que le risque de développer une comorbidité psychiatrique se révèle de deux à six fois plus élevé chez les personnes souffrant de stress post-traumatique. Et les risques somatiques sont eux aussi majorés. J'insiste sur le fait que ces cellules ont été pensées pour des situations d'ampleur, à fort impact traumatique. Où l'expérience de l'accident a quelque chose d'horrifique pour ceux qui en sont témoins et/ou victimes... Or, nous sommes de plus en plus sollicités sur des situations qui ne remplissent pas stricto sensu ces critères de grande ampleur, en nombre de victimes, etc.
H. : Pourriez-vous nous donner des exemples ?
D. T. : Je pense par exemple à un accident de la voie publique (AVP) avec quelques véhicules, c'est terrible certes, mais ça ne relève pas de la CUMP, plutôt du dispositif de soins "normal". Par contre, un bus scolaire par exemple qui verse dans le fossé, avec de multiples témoins de l'accident, c'est typiquement du ressort de la CUMP. Ce sont les Samu techniquement, qui déclenchent le dispositif le cas échéant et font appel aux cellules d'urgence. Ce peut être évidemment la préfecture, via les Samu, qui déclenche cette intervention, dans l'organisation d'une situation exceptionnelle. Mais il ne faut pas confondre les CUMP et des cellules d'écoute, qui peuvent être mises en place ponctuellement pour des situations concernant un moindre nombre de personnes, dans les entreprises ou les écoles, par exemple.
H. : Constatez-vous une montée en puissance des sollicitations de votre CUMP ?
D. T. : En 2015, le nombre de sollicitations de la CUMP 35 était de vingt-trois dont vingt-deux à l'échelle du département et une à l'échelle zonale, suite aux attentats de Paris. En 2016, nous avons déjà recensé quinze sollicitations entre janvier et juin, sans doute car notre visibilité est grandissante. Mais sollicitation ne veut pas dire systématiquement intervention sur place immédiate. Cela peut donner lieu à des débriefings, des groupes de parole ou des consultations différés dans le temps. En revanche, concernant notre intervention en tant que CUMP zonale, il s'agissait d'envoyer une dizaine de personnes en renfort à Paris pour participer aux dispositifs d'écoute des témoins et victimes des attentats durant plusieurs jours. En l'occurrence, le terrorisme génère par nature des évènements justifiant la mise en place de dispositifs de soins de grande ampleur. C'était notre première intervention zonale depuis la création de la CUMP, déclenchée par la volonté du ministère, qui a saisi l'ARS. Une fois prises en charge par les cellules d'urgence, les personnes sont ensuite orientées vers le système de soins psychiatriques "classiques", si besoin, voire vers des consultations encore plus spécialisées sur les états de stress post-traumatique, quand cela est possible.
H. : Comment fonctionnent ces CUMP au quotidien ?
D. T. : Elles reposent sur du volontariat. Ce sont des médecins, psychologues, infirmiers, pour la quasi-totalité. La régulation des demandes est faite par des médecins volontaires du pôle universitaire de Rennes, qui sont au nombre de cinq. Ils décident alors d'envoyer une équipe sur place ou de mettre en place des soins en différé, en faisant appel à la quarantaine de professionnels de santé volontaires. L'extrême majorité de ces personnels volontaires sont des hospitaliers, d'une part parce que les responsables de la CUMP tissent naturellement leur réseau à partir des professionnels rencontrés au cours de leur exercice. Et d'autre part, du fait du volontariat — ces activités peuvent rentrer pour les hospitaliers dans le cadre d'ordres de missions de leur établissement, notamment pour les infirmiers. Et le temps passé au service de la CUMP peut être ensuite déduit de leur temps de travail. Néanmoins à Rennes, il y a une bonne quarantaine de volontaires et il y a sept-huit libéraux. Mais ce qui fédère l'ensemble de ces professionnels, c'est la motivation de soigner dans ces cellules d'urgence... Enfin, à chaque cellule correspond un psychiatre référent, qui assure un grand nombre de missions, dont celle de gestion de ressources humaines de la cellule (organisation de formation, recensement des volontaires, etc.). Au niveau départemental, il doit contribuer également à l'élaboration d'un schéma-type d'intervention. Il s'avère pourtant que nombre de dispositifs d'urgence médico-psychologique se sont construits localement. Or, nous avons besoin d'une harmonisation nationale des CUMP. Cette réflexion s'est notamment engagée après les attentats parisiens fin 2015 et elle commence à porter ses fruits, avec la mise en place d'outils communs à destination des professionnels de santé."
* En France métropolitaine, le territoire est découpé en sept zones de défense (Paris, Nord, Est, Sud-Est, Sud, Sud-Ouest, Ouest).
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