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vendredi 1 avril 2016

Raconte-moi une maladie

02/04/2016

Dans leur livre au titre sans équivoque Docteur, écoutez !*, les professeurs Anne Révah-Lévy et Laurence Verneuil ont estimé que les patients disposaient de moins de 30 secondes avant que leur discours soit interrompu lors d’une consultation spécialisée en milieu hospitalier. « J’ai 10 minutes par patient sur le logiciel de rendez-vous et il n’y a rien à faire, il faut que je remplisse tous les créneaux. Alors, je n’écoute pas, j’ai trop de choses à expliquer, des papiers à faire signer. Faut vraiment être psychiatre pour croire que les médecins peuvent écouter » a répondu un chef de service au docteur Révah-Lévy, effectivement pédopsychiatre, lorsqu’elle tentait de lui faire valoir l’importance de l’écoute.

Anne Révah-Lévy et Laurence Verneuil - Docteur, écoutez !.Confiance aveugle dans les machines

Sans aucun doute, le manque de temps est aujourd’hui un obstacle à la mise en place d’une écoute de bonne qualité par les praticiens. Beaucoup sont ceux qui ne peuvent aujourd’hui souscrire à la formule simple énoncée par Des Spence, médecin généraliste britannique dans une de ses récentes chroniques publiées par le BMJ 2 : « Soigner, c’est d’abord écouter ».  Mais les cadences "frénétiques" ne sont pas seules en cause. Peu à peu, face à la technicisation de la médecine, le "récit" du patient n’a plus été considéré comme potentiellement informatif sur la pathologie. Après avoir exposé un exemple répondant à ce thème, le docteur Cécile Bour pour la Lettre d’expression médicale remarque qu’il « illustre fort bien la tendance actuelle de la médecine vers une croyance et une confiance démesurées en la technologie, considérée comme infaillible. Il y a une course en avant pour traquer la plus petite lésion, "prévenir" le plus vite possible la maladie, plutôt que de prendre le problème en amont, ce que déjà un bon interrogatoire minutieux et patient peut faire. Nos formateurs d'antan ne juraient que par l'écoute et l'observation. Comment avons-nous pu évoluer aussi vite vers une telle précipitation dans nos consultations, vers une confiance aveugle en nos machines, nos tests, nos "préventions", nos dépistages, ruineux, inadaptés, passant au-dessus de la tête du malade, qui ne se sent plus du tout pris en compte ? » s’interroge-t-elle. Pour Céline Bour, cet aveuglement de la médecine actuelle ne peut que favoriser la tentation des patients à trouver sur le net l’écoute (voire les réponses ?) qu’ils ont pas obtenue des médecins. Optimiste, elle considère néanmoins possible « d’allier les deux visions de la pensée médicale », l’une centrée sur le vécu du patient et l’autre concentrée sur l’Evidence Based Medecine. Et elle juge même qu’internet pourrait être un outil permettant de renouer le dialogue entre patients et praticiens.

Récit à plusieurs voix

En écho à la position de Céline Bour, toujours sur le site de la Lettre d’expression médicale, le docteur François Marie-Michaut revient sur cette notion de "médecine narrative". Il constate ainsi tout d’abord « qu’au cours du dressage médical, il est (…) classique d’apprendre à considérer ce que le malade a à dire de son état comme de peu de valeur diagnostique. Seuls demeurent crédibles les constatations cliniques et plus encore les résultats des investigations complémentaires des imageries, endoscopies, et examens de laboratoire » remarque-t-il. Et pourtant, le docteur Marie-Michaut en est convaincu : « toute médecine est un récit ». « Chacun se raconte sa propre maladie. (…) Il est capital que le médecin tienne le plus grand compte de cette réalité en sachant ne pas museler ses patients avec sa parole si facilement donneuse de doctes leçons et de savants conseils. Il est non moins indispensable que, comme tout soignant, il ait lui-même conscience de ce qu'il construit sa propre histoire de la pathologie de son malade» observe-t-il.

Le théâtre dans les amphithéâtres

Narration ou jeu de rôle, comme au théâtre ? Cette seconde analogie était préférée par Jacques Blais, cité par François Marie-Michaut. « Pour lui, toute consultation médicale est à l’image de ce qui se passe au théâtre. C'est-à-dire modelée, modulée, par les différents acteurs concernés », explique le praticien. L’image du théâtre est également celle retenue par le médecin et journaliste Jean-Yves Nau dans un récent post dédié à ce thème et au-delà à "l’humanité" dans la relation médicale. « Enseigne-t-on, dans les facultés de médecine, qu’il existe "plusieurs modèles de la relation médecin-malade" ? Que chacun de ces modèles repose sur quelques présupposés fondamentaux "qui déterminent les rôles spécifiques attribués aux interlocuteurs impliqués" ? Que chacun comporte "des avantages et des risques particuliers" ? Et, surtout, qu’il n’est pas interdit d’en changer ? Enseigne-t-on le théâtre dans les amphithéâtres ?  Quel rôle préféreriez-vous jouer ? » interroge-t-il en faisant référence à un article récent du psychiatre Adela Abella dans la Revue de Médecine Suisse sur les différents types de relation médecin malade.

Derrière les maux

Qu’il s’agisse d’une narration ou d’une pièce, les paroles échangées sont toujours à double sens, ou plus. C’est ce que rappelle Des Spence dans le BMJ, également cité par Jean-Yves Nau : « Ce qui est compris, explique-t-il, n’a que très lointainement à voir avec ce qui est dit. Exemples : « le médecin : “ je pense que nous devrions faire quelques tests ” (le patient : il pense que j’ai un cancer) ; “ vos tests sont en gros normaux mais il faut en répéter un ” (j’ai un cancer, c’est sûr) ; “ votre cholestérol / pression artérielle est un peu trop élevé ” (je vais avoir un AVC ou être amputé, ou les deux) ». De la même façon, les paroles des patients cachent souvent des peurs inavouées : « le patient : “ j’ai lu cela sur internet ” (je pense que j’ai un cancer) ; “ je l’ai lu dans le journal ” (je pense que j’ai un cancer) ; “ je tousse, j’ai un refroidissement, une angine ” (j’ai besoin d’antibiotiques maintenant et je me moque de ce que vous pensez) ; “ un ami médecin me l’a suggéré ” (c’est ce que je veux que vous fassiez) ».
Dans la vraie vie, rappelle Des Spence, « c’est au sein de ce désordre que circule l’information malades-médecins. Et toutes les théories qui cherchent à la décrire d’une manière sérieuse (ou rationnelle) ne sont que des leurres. (…) » analyse le praticien britannique.
Sur ces leurres, pourtant, la glose est prolixe, notamment sur les blogs médicaux, témoignant s’il en était besoin que l’enfermement de la médecine dans une attitude mécanique n’est pas encore la règle.
Pour relire ces différentes histoires, vous pouvez aller sur le site de la Lettre d’expression médicale
http://www.exmed.org/exmed/circu.html
http://www.exmed.org/archives16/circu955.html
et le blog de Jean-Yves Nau : https://jeanyvesnau.com/2016/03/26/le-medecin-doit-il-etre-humain-fantasmes-robots-et-jaddo-dans-la-revue-medicale-suisse/
* Éditions Albin Michel, 162 pages, 13 €
Aurélie Haroche

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