Ce 2 avril est dédié partout dans le monde à l’autisme. En France, cette manifestation est l’occasion de rappeler le retard de notre pays en matière de prise en charge, d’inclusion dans le système scolaire et de sensibilisation des professionnels de santé et du monde de l’éducation. Si ces critiques ont été corroborées par plusieurs condamnations du Conseil de l’Europe, certaines revendications continuent néanmoins à susciter la controverse. En effet, si beaucoup ont déploré, souvent à juste titre, la place accordée à la psychanalyse et se sont insurgés contre une psychiatrisation à outrance de la prise en charge, d’autres positions dogmatiques semblent parfois s'être fait jour. Prompts à dénoncer les effets délétères des anciennes approches, les militants des programmes comportementalistes parviennent en effet eux aussi difficilement à en accepter les limites. Or, il apparaît que tant dans le domaine de la prise en charge que du dépistage, aucune position préconçue ne semble pouvoir s’imposer. Ainsi, le dépistage systématique de tous les enfants, même en l’absence de signes d’alarmes, est présenté par de nombreuses associations comme la réponse au retard de diagnostic qui frappe de nombreuses familles. Pourtant, les experts sont très divisés et beaucoup tiennent à rappeler les inconvénients d’une telle attitude.
Pour le JIM, les professeurs Laurent Mottron et Baudoin Forgeot d’Arc de la clinique spécialisée de l’autisme de l’Hôpital rivière des prairies à Montréal reviennent sur les multiples failles du dépistage et sur l’absence de pertinence d’une systématisation. En filigrane, ils confirment, au-delà des problèmes posés par le dépistage, combien la question de l’autisme continue à être le terrain de débats mouvants, loin des certitudes scientifiques quant à sa prévalence, l’efficacité des méthodes utilisées pour le traiter et même sa définition.
Par Laurent Mottron*, MD, PhD et Baudoin Forgeot d’Arc*, MD, PhD.
L’United States preventive service task force (USPSTF) vient d'affirmer qu'il existait des preuves insuffisantes sur les avantages du dépistage systématique précoce de l'autisme. L’état des pratiques de diagnostic et d’intervention dans l’autisme, aussi bien que la nature de cette condition, suggèrent selon nous d'éviter un tel dépistage. En effet, il n'est pas clair que cette pratique détecte réellement l'autisme, ni qu'elle améliore la situation des enfants concernés. En revanche, elle créé une exception autistique qui peut être préjudiciable.
De quoi s'agit-il ? L'USPSTF est un panel américain indépendant d'experts, qui vise à faire des recommandations sur les pratiques en matière de prévention en santé qui soient fondées sur les données scientifiques. L'USPSTF a récemment évalué la pratique du dépistage systématique du TSA (Troubles du spectre autistique), en vigueur dans plusieurs pays. Il conclut en indiquant qu'il existe des preuves insuffisantes concernant le dépistage du TSA chez les jeunes enfants pour lesquels aucun problème n'a été soulevé par les parents ou par un clinicien.
Le dépistage précoce de marche pas
Dans l’état actuel des outils de dépistage et des outils diagnostiques, la spécificité et la sensibilité de ceux-ci sont si mauvaise que le dépistage systématique précoce entrainerait une proportion importante de faux positifs ou de faux négatifs. De plus, la variabilité des âges auquel l’autisme est détectable est telle qu’aucun âge préférentiel ne peut être choisi a priori qui combine adéquatement spécificité et sensitivité. Ceci annule l’intérêt d’un âge de dépistage fixé a priori, indépendamment des manifestations cliniques apparentes. En voici quelques exemples :
• Sternberg et al (2014), en utilisant le M-Chat, ont rapporté que seuls 35% des enfants diagnostiqués plus tard avaient des scores positifs à cet instrument. La majorité des enfants diagnostiqués TSA entre 3 et 7 ans n'étaient pas identifiés par l’instrument passé à 18 mois.
• L’instabilité dans le temps des diagnostics précoces de l’autisme (et on ne parle plus ici de dépistage, encore moins précis) a pour corollaire que plus le dépistage ou le diagnostic se fait tôt, plus sa valeur prédictive est faible. Turner et Stone (2006), à partir de réévaluations complètes d'enfants diagnostiqués autour de 2 ans, indiquent qu’entre 30 et 40% ont alors "perdu" le diagnostic. Les diagnostics non confirmés étaient d’autant plus nombreux que le diagnostic initial avait été posé jeune.
• Quand on procède de façon inverse, et que l’on examine la capacité des outils de dépistage de confirmer un diagnostic clinique, les résultats sont tout aussi mauvais : Charman et al. (2015) ont réévalué des enfants dépistés avec le SCQ et le M-Chat. La sensibilité et la spécificité étaient de 64 % et 75 % pour le SCQ, et de 82 % et 50 % pour le M-CHAT. Les auteurs concluent que le dépistage seul n’est pas un bon indicateur pour la référence spécialisée.
Le dépistage précoce ne détecte pas une situation nécessitant du support, détectable cliniquement, mais l’extrême infraclinique d’une distribution, ou des phénocopies
• Kim et al. ont fait un dépistage systématique chez des enfants d’âge scolaire (à un âge ou la spécificité des manifestations cliniques est sans doute meilleure) à l’aide d’outils diagnostiques. Ils ont conclu à une prévalence de 2,62 % - plus du double de la déjà tres généreuse prévalence admise actuellement aux États-Unis. Le dépistage systématique détecte des personnes ayant des particularités, mais pas nécessairement de besoins ou des difficultés adaptatives.
• Grey et al. ont réévalué les 13 enfants d’un groupe de 97 (13,4 %) extrêmes prématurés qui avaient été positifs pour le M-CHAT. Seul un d’entre eux confirmait le diagnostic dans une évaluation de suivi ultérieure.
Le dépistage systématique précoce ne fait pas de bien
Le diagnostic précoce n’amène pas à une intervention qui changerait le pronostic adaptatif.
Les instances qui recommandent le dépistage précoce (c’est le cas au Québec) le justifient généralement parce que le dépistage précoce permet la précocité de l’intervention. La notion de "plasticité neuronale" est souvent invoquée pour justifier l'intervention précoce intensive. Pourtant, l'USPSTF ou encore le NICE anglais ne préconisent pas l’intervention précoce intensive systématique pour l’autisme. La pauvreté des données en faveur du gain adaptatif à court terme aussi bien qu’à long terme de ces interventions, leur cout prohibitif (Mottron et al., 2016), laissent augurer des dépenses pharamineuses et inutiles, iniquement limitées à une catégorie de la population, en cas de dépistage systématique.
Pourquoi une "exception autistique" ?
Particulariser l’autisme par rapport à d’autres diagnostics neuro-développementaux ne se justifie ni par la décision qui en découlerait, ni par une sévérité additionnelle. Le dépistage systématique de la phénylcétonurie, au contraire, se justifiait par l’existence d’un traitement efficace.
Plutôt qu'un tel dépistage systématique précoce, le point de départ de l'évaluation devrait être selon nous un signe d'appel lancé par un proche ou un professionnel. L'évaluation se ferait alors par des références hiérarchisées selon l'expertise requise. Les évaluations devraient être répétées jusqu'à stabilisation du diagnostic.
La diversité des avis sur le dépistage systématique précoce, montre bien la difficulté de trancher certains des débats les plus chauds concernant l'autisme actuellement. Cela illustre aussi la difficulté pour les décideurs politiques de prendre des décisions de santé publique dans ces domaines, comme le montrent les divergences sur la question de l'augmentation de la prévalence (stable en grande Bretagne, augmentant en flèche aux USA), sur les recommandations ou non de l’intervention comportementale précoce (non recommandée en Grande Bretagne, fermement recommandée aux États-Unis), sur l'utilité du dépistage précoce (non recommandée par l’ USPSTF mais recommandée par l’académie de pédiatrie des USA).
Difficile, ou partial, de se retrancher derrière les "meilleures pratiques" pour justifier des mesures de santé publique en autisme du fait de la pauvreté des données et de l’incertitude quand à leur bénéfice à long terme. Reste l’application de standards identiques à ceux d’autre domaine des sciences, comme préconise Michelle Dawson, et le jugement…
Remerciements : Michelle Dawson, (http://autismcrisis.blogspot.ca/) & communication personnelle
*Clinique spécialisée de l’autisme, Hôpital Rivière des Prairies, CIUSS du nord, Université de Montréal
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