par Estelle Aubin publié le 14 décembre 2021
Ce sont des piliers de l’école, ils font manger les enfants entre midi et deux, les accompagnent aux toilettes, les accueillent docilement matin et soir. Et pourtant les animateurs périscolaires, qui entament ce mardi et mercredi une grève nationale, entrent dans la case des professions oubliées, négligées. Des emplois de troisième ligne, aux horaires hachés, aux salaires précaires.
Une première. Jusqu’ici peu syndiqués et mal représentés, ils avaient servi de variable d’ajustement lors de la réforme des rythmes scolaires : recrutés en nombre lors de la mise en place de la semaine de quatre jours et demi sous le quinquennat Hollande, puis évincés lorsque Jean-Michel Blanquer laissa aux communes le choix de revenir à la semaine de quatre jours. «On n’en peut plus de passer pour les clowns de service. Y a personne pour nous prendre au sérieux», s’insurge Axel Le Page, animateur de loisirs dans l’extrascolaire à Rennes et délégué syndical SUD.
Ce sera leur deuxième grève en un mois. La précédente avait eu lieu le 19 novembre, dans plusieurs grandes villes de France. «Un tour de chauffe» pour l’intersyndicale de l’animation et de l’éducation populaire, qui appelle à la mobilisation ce mardi. Snuter-FSU, la CGT, le CNT, SUD et le collectif France animation en lutte seront au rendez-vous. Tous espèrent cette fois créer un «large mouvement national qui réunira, deux jours durant, l’intégralité du secteur de l’animation, qu’il relève du public ou du privé». Sur leur tract, les mots «bas salaires», «précarité», «mauvaises conditions de travail»et «sous-effectifs» se juxtaposent. «On est à bout. On n’a plus les moyens de prendre soin de l’enfant», dénonce Axel Le Page.
«23,06 euros minimum bruts par jour»
Chaque semaine, l’animateur oscille entre 30 et 52 heures de travail, quand pointent les vacances. En période scolaire, il est de mission matin, midi et soir, pendant environ deux heures à chaque reprise. Des «horaires hachés et éclatés» donc, qui «compliquent souvent la vie personnelle» et empêchent nombre de ses camarades de prendre un job complémentaire. Lui empoche 1 350 euros par mois et se sent «parmi les mieux lotis». En moyenne, le salaire des animateurs, souvent vacataires ou contractuels, varie «entre 800 et 900 euros par mois», souligne Samuel Delor, responsable de la Fédération de l’éducation, de la recherche et de la culture de la CGT.
En cause, des contrats précaires, qui vont du temps partiel imposé au contrat d’engagement éducatif (CEE), ni plus ni moins qu’un «bénévolat indemnisé», raille le cégétiste. «Avec un CEE, on gagne au minimum 23,06 euros brut par jour, et rarement plus de 27 euros. Et pourtant, on peut travailler jusqu’à 48 heures par semaine, sans vraie protection sociale et sans cotiser pour la retraite, ni pour le chômage», explique-t-il. Sont souvent concernés les jeunes animateurs des colonies de vacances, mais aussi ceux des centres de loisirs. Sans parler du salaire conventionnel de 1 561 euros brut par mois, inférieur à la barre des 1 589 euros du smic.
Difficile néanmoins de négocier un revenu supérieur quand l’un des seuls diplômes requis, le Bafa (brevet d’aptitude aux fonctions d’animateur), est accessible dès 17 ans. «Le fléau, c’est que le métier reste souvent considéré comme un hobby, ou un job d’appoint pour les étudiants», grommelle Samuel Delor. «Non ce n’est pas de l’argent de poche, c’est du pognon nécessaire», renchérit son camarade du SUD. En ligne de mire, une revalorisation de la formation et un recrutement massif de personnel.
Pénurie d’animateurs
Car, pour l’heure, le problème le plus sensible reste «la pénurie d’animateurs», aux dires d’Axel Le Page. Turn-over et sous-effectifs : la crise sanitaire a accentué des problèmes déjà relevés lors de la mise en œuvre de la semaine de quatre jours et demi sous le quinquennat Hollande. Une enquête menée par l’organisation professionnelle Hexopée en octobre montre que les trois quarts des acteurs de l’éducation populaire – à savoir du privé – peinent à recruter des animateurs. «Les collectivités territoriales sont elles aussi concernées, au point de devoir parfois fermer certains centres de loisirs», explique la Croix.
De moins en moins de personnel, beaucoup d’enfants à charge, des journées éreintantes. Résultat : les animateurs sont nombreux à déserter leur poste. «Nos conditions de travail ne nous permettent plus de bien faire notre job, confie Axel Le Page. On tombe peu à peu dans la maltraitance institutionnelle. De la violence douce à l’égard des enfants…» Comme laisser un enfant la couche souillée pendant de longues minutes, le temps de gérer un conflit entre deux élèves. «Notre métier s’est vidé de son sens. On en vient à faire du temps de garderie. Et non plus de l’éducation extrascolaire». Il faut que «les pouvoirs publics augmentent nos moyens, s’exclame Axel Le Page. D’autant plus quand on entend, à côté, que l’Etat renforce sans cesse les rangs des fonctionnaires de police.» Deux poids, deux mesures.
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