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mercredi 15 décembre 2021

Les salariés neuroatypiques sont un vivier de talents pour l’entreprise

Par   Publié le 15 décembre 2021

Les formations de développeurs s’intéressent aux personnes à haut potentiel intellectuel (HPI), Asperger, DYS et souffrant d’autres troubles déficit de l’attention.

Stigmatisées pour leur manque de sociabilité ou leurs différences comportementales, les personnes neuroatypiques, haut potentiel intellectuel (HPI), Asperger, DYS et souffrant d’autres troubles déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) sont des candidats que les recruteurs accueillent avec une certaine frilosité. Elles constituent pourtant un vivier de talents pour les entreprises, à condition que ces dernières s’adaptent à elles et les emploient aux postes dans lesquels elles excellent.

Après des études d’ingénieur à l’Institut national des sciences appliquées de Rouen, Arnaud Khun a commencé à travailler sur la sécurité et l’environnement pour une entreprise du bâtiment. Cette première expérience professionnelle s’est terminée au bout d’un an. « J’avais beaucoup de difficultés de communication avec mes collègues, on m’a dit que je ne montrais pas assez mes émotions », explique-t-il.

Pendant qu’il recherche un nouvel emploi, il est diagnostiqué Asperger, un trouble du spectre de l’autisme. Il a également un handicap auditif depuis sa naissance, pour lequel il est appareillé. Sa vie prend un nouvel élan lorsque Pôle emploi lui parle d’une formation de développeur en intelligence artificielle (IA) un peu particulière. Un cursus développé dans le cadre des formations gratuites et professionnalisantes à l’IA organisées par les Ecoles IA Microsoft by Simplon en sept mois de cours et un an d’alternance en entreprise, destinées à des demandeurs d’emploi en formation initiale ou en reconversion. « En 2019, nous réfléchissions à comment engager des personnes Asperger dans l’entreprise après leurs études, dans le prolongement d’Aspie Friendly, le programme d’inclusion des autistes dans les universités », raconte Philippe Trotin, directeur de la mission Handicap et accessibilité numérique de Microsoft.

Complications avec le confinement

« Nous avons imaginé de faire une promotion pour les “intelligences atypiques”, incluant les Asperger, les HPI, les TDAH et les DYS, atteints de troubles de l’attention, de dyspraxie ou de dyslexie, etc. »De la promotion 2020, huit personnes ont finalement obtenu leur diplôme et travaillent aujourd’hui comme développeurs IA dans des entreprises du numérique. Un neuvième a abandonné.

Leur parcours n’a pas été des plus faciles, car la formation, commencée début mars 2020, a été brutalement transposée en distanciel au bout de quinze jours, à cause du confinement. Pour certaines personnes neuroatypiques, se retrouver isolés chez elles a compliqué l’exercice ; pour d’autres, cela a été un soulagement de participer au groupe par écran interposé.

Quel que soit leur trouble, les personnes neuroatypiques ont du mal à s’adapter à l’entreprise. Les interactions sociales, l’environnement, les rythmes, tout les perturbe, voire les agresse. « C’est tout le fonctionnement du monde du travail qui pose problème », affirme Lali Dugelay, spécialiste de la communication et créatrice du site Aspie at Work, récemment diagnostiquée autiste Asperger et HPI. « Je ne comprends pas l’implicite, quand on me dit “il fait beau”, je réponds “oui” et ça s’arrête là. Quand les gens discutent à la machine à café, je suis souvent à côté de la plaque, je n’en vois pas l’intérêt. Je respecte les règles, la ponctualité. Le moindre retard à une réunion ou un rendez-vous me rend fébrile. »

Adaptation des bureaux

Les salariés neuroatypiques ont besoin que les entreprises connaissent leurs troubles et s’y adaptent. Pour cela, ils doivent pouvoir en parler librement à leurs collègues et se sentir en sécurité. L’environnement professionnel, surtout l’open space, et les transports en commun sont difficiles à vivre pour les hypersensibles ; trop de bruit, de couleurs, d’odeurs, de lumière créent un état d’anxiété.

« Nous avons adapté les locaux pour accueillir la formation IA, avec un éclairage plus doux, une salle conviviale en couleurs pastel, avec peu de passage mais proche d’un espace cafétéria et d’un lieu de repos », explique Philippe Trotin. Des horaires aménagés permettent d’éviter les heures de pointe dans les transports ou les moments d’affluence dans les bureaux. Désormais salarié en CDI, Arnaud Khun travaille deux jours par semaine en présentiel. « Je me sens privilégié, car il y a peu de monde, donc plus de place et moins d’interactions. »

Les entreprises qui recrutent ces profils atypiques s’en félicitent, et pas seulement dans le numérique ou l’ingénierie, où ils excellent. « Ils sont précieux pour beaucoup de métiers où ils peuvent exprimer leurs qualités et leurs talents, surtout dans le domaine des jeux vidéo », reconnaît Pierre Escaich, directeur du développement de Massive, une filiale d’Ubisoft, père de deux garçons diagnostiqués TDAH et HPI, et lui-même TDAH.

« Ils font preuve d’une très grande créativité, de beaucoup d’imagination, poursuit-il. Leur capacité de visualisation en 3D est supérieure à la moyenne, ils voient avec des scènes, des couleurs, des filtres différents. Les autistes surtout sont capables d’intégrer beaucoup d’informations et de détecter des patterns [modèles], des schémas. C’est tout sauf un handicap ! »

Fort de ces convictions, Pierre Escaich a créé un groupe d’échange sur la neurodiversité au sein d’Ubisoft. Lancé début 2021, ce groupe rassemble à présent 220 personnes dans une quinzaine de pays où l’éditeur de jeux est présent. Des forums de discussion permettent de parler de ses troubles, de partager et de s’entraider, « car il existe encore de grandes différences d’un pays à l’autre dans le diagnostic, le statut et la reconnaissance de ces maladies dites “mentales” », conclut Pierre Escaich.

Quelques chiffres

600 000 adultes en France ont un trouble du spectre de l’autisme, dont la moitié seraient des autistes Asperger, indique le secrétariat d’Etat chargé des personnes handicapées.

De 10 % à 20 % environ des salariés seraient neuroatypiques, c’est-à-dire présentant des troubles cognitifs tels que DYS (dyslexie, dyspraxie, dyscalculie…) ou trouble déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité, selon l’ONG Dyslexia International.

11% des salariès du secteur des jeux vidéos au Royaume-Uni se disent « neuro-divergents »

1 % seulement des adultes Asperger sans retard mental, en France, ont une activité professionnelle, alors qu’ils sont 18 % en Grande-Bretagne, d’après l’association Autisme Europe.


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