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samedi 18 décembre 2021

David Elbaz : «La plus belle ruse de la lumière pour se multiplier, c’est la vie !»

par Erwan Cario  publié le 17 décembre 2021

Dans son dernier essai, l’astrophysicien s’attaque à ce paradoxe qui veut que l’univers aille vers plus de désordre alors qu’on ne cesse de s’émerveiller de la beauté des formes complexes qui le structurent.

Astrophysicien, directeur de recherches au Commissariat à l’énergie atomique (CEA) et vulgarisateur passionné, David Elbaz a ces jours-ci une actualité un peu chargée. Il y a son livre, la Plus Belle Ruse de la lumière. Et si l’univers avait un sens… (Odile Jacob), mais il a aussi travaillé sur l’imageur Mirim, qui équipe le télescope spatial James-Webb, dont la mise en orbite est prévue pour le 22 décembre. C’est autour du premier que nous avons échangé. Quelques notions utiles avant de débuter.

Nous avons beaucoup parlé d’entropie, qui est en quelque sorte le désordre global. Une des règles principales de notre univers, établie par le deuxième principe de la thermodynamique, explique que l’entropie ne peut que croître au cours d’une transformation. L’image la plus triviale pour comprendre cette règle, c’est que si un verre se brise en tombant, on ne voit jamais les morceaux se recomposer d’eux-mêmes. Cette règle fondamentale, c’est aussi ce qui explique la flèche du temps, le fait qu’il ne fait qu’avancer sans retour en arrière possible. Maintenant que c’est clarifié (si si !), nous pouvons glisser avec David Elbaz sur la grande pente de l’histoire de l’univers.

Vous commencez votre livre par une réflexion sur la beauté des structures de l’univers. Peut-on mettre la beauté en équations ?

Nous n’avons pas de définition scientifique et objective de la beauté. Et pourtant, on entend souvent parler de beauté en sciences. On parle même de la beauté de certaines équations. Quand on essaie, par l’abstraction mathématique, d’unifier une multiplicité de phénomènes complexes en des règles simples, on cherche finalement une harmonie cachée. Mais la beauté dont je parle, elle est plus visuelle. En effet, malgré les innombrables découvertes permises par le télescope Hubble, comme les trous noirs au centre des galaxies ou la présence d’eau sur d’autres planètes, ce qui a le plus marqué les profanes et les scientifiques, c’est la beauté de ses images.

Cette beauté nous émerveille et, comme disait Emmanuel Kant, elle pousse la raison à se dépasser. Il n’y a pas de définition objective, mais cette beauté reste une énigme : comment, au bout de 13,8 milliards d’années, un monde qui a commencé par une explosion, avec des lois imposant l’augmentation du désordre, peut-il engendrer des formes complexes, particulières ? Dans ce cadre, l’existence même d’une seule nébuleuse ressemble à un paradoxe.

Vous expliquez que ce mouvement de complexification de la matière est encore d’actualité. L’univers crée 10 000 étoiles par seconde…

Le chiffre précis c’est 9 774, dans l’univers observable. Au moment où on parle, le monde est en train de se structurer, de s’organiser, de former des étoiles, des planètes…

On arrive au propos de votre livre : les «photons», qui composent la lumière, servent de monnaie à l’univers pour se structurer.

Einstein s’est aperçu en 1905 que de la matière qui était agitée pouvait se libérer de son agitation avec un coût en quantas d’énergie. Ce n’est qu’en 1920, quinze plus tard, que le mot «photon» a été introduit. La particule de lumière que je reçois sur mon télescope quand j’observe le ciel, elle a donc emporté avec elle l’agitation de la matière dont elle est issue. La molécule qui a vibré, elle s’est calmée. Avec moins d’énergie pour résister à la gravité, elle s’est rapprochée des autres…

Ainsi, la matière s’est mise à donner forme et a engendré cette fameuse beauté. C’est un peu comme si on avait filmé Rodin face à un gros bloc de pierre. On verrait des morceaux jaillir de tous les côtés, et progressivement, le bloc de pierre se transformerait. A la place des éclats de pierre, nous avons des photons.

Modeler la matière, ce n’est pas le boulot de la gravité ?

Je n’ai rien inventé, mais c’est l’angle qui est un peu original. Ce que j’explique, c’est que la gravité crée le bloc de pierre, et la lumière, c’est Rodin.

La pente naturelle de l’univers, c’est la création d’entropie, de désordre, et donc la création de lumière…

L’univers a deux manières de créer de l’entropie : créer du désordre dans la matière, et subdiviser l’énergie en petits morceaux. Et ces petits morceaux, on peut en créer autant qu’on veut. C’est un peu comme si on avait une pente avec un chemin plus marqué qu’un autre. L’eau qui coule choisit toujours naturellement la pente la plus forte. Dans le cas de l’entropie, la pente la plus forte, c’est celle de la lumière. C’est la clé.

Et la façon la plus efficace de faire de la lumière, c’est quand la matière se structure en formes complexes, qui semblent être l’exact opposé du désordre. On se rend compte qu’à chaque étape de son histoire, l’univers n’a fait que donner à la matière des moyens de plus en plus efficaces de produire de la lumière. Et la plus belle ruse de la lumière pour se multiplier, c’est la vie ! C’est ça qui est dingue.

C’est quand même compliqué, de penser la vie comme faisant partie d’une pente naturelle de l’univers. Notre raison résiste à cette idée-là…

Je comprends. C’est comme si on retrouvait encore une fois cette position de centre du monde, d’aboutissement de l’évolution… Pendant longtemps, on a expliqué que si, globalement, le système univers augmentait d’entropie, localement, elle pouvait diminuer. Mais ce n’est pas du tout satisfaisant. C’est comme si localement, on pouvait se libérer totalement d’une partie des lois de la physique.

Mais si on regarde vraiment, un gramme d’être vivant produit 200 000 fois plus de lumière qu’un gramme de soleil ! Au moment où on parle, on est donc en train de répondre aux lois de la physique… Pour moi, ce serait plus troublant que la vie soit une rupture dans l’histoire de l’univers, provoquée par un comportement anormal de la matière, que de dire que ça répond à une propension naturelle.

Dans votre livre, vous faites souvent de l’univers un personnage avec son histoire…

L’univers est né il y a 13,8 milliards d’années, il a grandi, puis, à un moment, il a formé les étoiles avec une efficacité prodigieuse, puis avec le temps, c’est devenu moins efficace. Les étoiles ont pris des rides, parce que les raies d’absorption dans leur spectre lumineux sont plus nombreuses, l’univers vieillit, et il aura bientôt une certaine mort…

Je ne peux pas m’empêcher de penser qu’on est en train de raconter notre histoire, et qu’on a du mal à voir la réalité telle qu’elle est. Un peu comme quand je regarde mon jardin par la fenêtre à la tombée de la nuit, quand mon reflet se superpose à celle de l’extérieur. Je ne peux pas voir mon jardin sans voir une partie de moi. Finalement, j’ai fini par l’accepter. Je reconnais que j’ai un peu perdu la prétention de croire que j’arriverais à me sortir de cette illusion.

En tant qu’êtres vivants, nous sommes tout en bas de la pente de l’entropie que vous décrivez. Est-ce que ce n’est pas un peu biaisé de vouloir chercher une pente qui mène jusqu’à nous ?

Si. Je pense que ce serait malhonnête de dire qu’on ne cherche pas à donner sens à notre existence, même si ce n’est pas un sens mystique. Essayer de comprendre si ça répond à quelque chose. Donc oui, nous avons cette quête. Avoir une approche biaisée de nos observations, c’est fondamental, et ça peut être utile. Parce que si on essayait de chercher dans toutes les directions, on n’avancerait pas beaucoup. C’est pour ça qu’on cherche de la vie qui nous ressemble sur d’autres planètes ; c’est pour ça qu’on cherche de la matière noire qui ressemble à celle qui est présente dans nos théories… On ne sait pas trop faire autrement. Mais une fois qu’on a cet a priori biaisé, on fait des observations, on écrit des équations, et on peut ensuite les extraire et voir si elles résistent bien, si elles sont pertinentes.

Cette histoire de l’entropie, elle s’écrit mathématiquement, elle répond bien à des équations qui étaient préexistantes à la question même… En ce sens, elle se justifie a posteriori. Par contre, dire qu’il existe peut-être une autre interprétation plus pertinente et qu’on a favorisé celle-ci parce qu’elle est plus séduisante, c’est une question qu’on doit toujours avoir à l’esprit, comme une mise en garde permanente.

On sent bien, dans votre livre, qu’il vous fallait vous distinguer d’un livre mystique. Affirmer explicitement le caractère scientifique de votre démarche…

En écrivant Et si l’univers avait un sens… je sais que je prends un risque. Mais j’essaie simplement de souligner une forme de tension, de la même manière que la tension d’un ressort va impliquer une direction, mais pas une intention. La science ne nous parle pas de l’intention, elle nous parle de la tension. Et le fait qu’on ait négligé cette forme de propension de l’univers à s’organiser a conduit à une certaine confusion.

Pour autant, je dois reconnaître que la question mystique n’est pas interdite par la science. Ma préoccupation, c’est juste l’honnêteté qui consiste à dire que la science, c’est comme une machette qui nous permet d’avancer dans la jungle, mais que lorsqu’on est face à l’océan, notre machette ne va pas nous aider. La science ne fournit simplement pas d’outils pour répondre à ces questions-là.

Le 22 décembre, c’est le lancement du télescope spatial James-Webb. Est-ce que ses observations vont permettre d’enrichir cette réflexion ?

Ça va compléter les pièces du puzzle. On ne connaît pas par exemple les premières étoiles, les premières galaxies, on ne sait pas non plus si sur les autres planètes, la complexité est à l’œuvre. Le James-Webb va avoir la capacité de répondre à ces questions. C’est le satellite de la quête de nos origines. L’origine des premières lumières aux confins de l’univers, et l’origine de la vie avec la recherche de signaux montrant sa présence sur d’autres planètes.

Ce sont des briques qui vont s’inscrire dans cette histoire, avec des possibles contradictions. Par exemple, on s’attend à ce que cette structuration de l’univers commence par des petites galaxies très nombreuses qui auraient été provoquées par la matière noire. Si jamais on ne les trouve pas ou qu’elles sont dix fois moins nombreuses, ça voudra dire que le contexte théorique dans lequel on travaille se révèle être faux. On s’attend, on espère même, des surprises, qui vont venir nous questionner.

En couverture de votre livre, on retrouve cette magnifique photo de Hubble intitulée la Montagne mystique… Ces images nous ont accompagnés ces dernières années. James-Webb va-t-il produire une nouvelle forme de beauté cosmologique ?

Oui, il y aura une forme de beauté. James-Webb va regarder dans l’invisible. Il va pouvoir voir, à travers la poussière interstellaire, les étoiles qui naissent. Il va révéler des faces de l’univers que nous n’avons pas encore vues. Mais comme son ambition, c’est d’aller chercher ce qui se passe dans les confins de l’univers, ce sera moins joli, parce que ce qu’on va voir, ce sont les fœtus des galaxies, qui sont conceptuellement troublants, mais qui seront peut-être moins beaux que les structures plus proches.

Plus on regarde loin, moins c’est beau ?

C’est pour ça que j’ai peur que les gens soient un peu déçus. On va regarder les moments où la beauté n’avait pas encore eu le temps de prendre forme. Ce sera peut-être moins satisfaisant pour les yeux. Mais pas pour l’esprit.


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