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mercredi 20 octobre 2021

«Un enfant, ça dit tout et n’importe quoi» : que sait-on de cet appel d’une mère à la brigade des mineurs ?

par Elsa de La Roche Saint-André et Anaïs Condomines   publié le 19 octobre 2021 

Un enregistrement, publié par Karl Zéro sur les réseaux sociaux, illustre une mauvaise prise en charge par la brigade des mineurs. La préfecture de police de Paris indique qu’une saisine administrative de l’IGPN a été demandée. 
Question posée sur Twitter, le 13 octobre.

Le document est édifiant. Le 11 octobre, sur Twitter, l’animateur télé Karl Zéro diffuse un enregistrement, présenté comme une conversation entre un agent de «la brigade des mineurs» et une mère en détresse. Cette dernière «a besoin d’aide et de conseils au sujet de sa fille» qui lui a «parlé de choses à caractère sexuel qui se passent quand elle est chez son père». Les faits tels qu’ils sont énoncés sont graves et permettent de soupçonner des violences sexuelles sur l’enfant.

Pourtant, l’accueil réservé à la mère de famille par son interlocuteur, agent de police, est froid et fuyant. Pire, il lui est explicitement conseillé «d’arrêter avec ces histoires» : «Pour les enfants de 4 ans, c’est assez fréquent qu’il y ait ce genre de langage, c’est pas forcément qu’il y a quelque chose derrière, hein… A l’école aussi, ça raconte pas mal de choses, c’est pas forcément lié à son père… C’est pas à votre cerveau d’adulte de fantasmer sur le vocabulaire d’une enfant de 4 ans… Hein, d’accord ?» indique-t-on au bout du fil.

La voix du policier poursuit : «Je vous dis, vous allez plutôt voir un psychologue, faire un petit point avec votre enfant mais bon, c’est pas parce qu’elle parle de ça que c’est lié à un abus sexuel. […] Moi, je vous dis madame, un enfant de 4 ans et demi ça dit tout et n’importe quoi, faut pas du tout se fier à la parole. Parce que c’est pas parce que vous êtes séparée de cet homme-là que fatalement il fait du mal à votre fille.» Après avoir souhaité une bonne journée à la plaignante, il finit par lui raccrocher au nez.

Signalements

Le 15 octobre, une version plus longue de l’appel est mise en ligne sur YouTube. Elle cumule déjà plus de 24 000 vues. En légende, il est indiqué qu’il s’agit du document «intégral», «ni un fake» ni «un remontage mais un moment insupportable, vécu par une maman parmi tant d’autres, début 2021». On y apprend notamment que «l’école [de la petite fille] avait des inquiétudes et a déjà fait un signalement», de même qu’une «assistante sociale». Pourtant, l’agent assure durant l’appel qu’il ne retrouve «aucun dossier».

Vous nous demandez si cet enregistrement, diffusé dans le cadre de la promotion du prochain film de Karl Zéro sur la pédocriminalité (1 sur 5, sortie le 25 octobre) est authentique. D’autant que l’animateur s’est récemment fait remarquer, notamment sur le plateau de Cnews, par des propos aux accents complotistes concernant le meurtre de la petite Maëlys par Nordahl Lelandais. Une «commande par des gens», selon lui.

Après vérifications, il apparaît non seulement que cet appel a vraiment eu lieu, mais également qu’il ne s’agit pas d’une mise en scène dans le cadre du documentaire. L’animateur précise à CheckNews qu’il a eu accès à cet enregistrement par l’avocate de la mère de famille. «C’est un enregistrement authentique, enregistré par elle. Nous avons transformé la voix de la maman, à sa demande, et raccourci l’enregistrement pour Twitter qui n’accepte que deux minutes maximum [2 minutes 20 exactement, ndlr] L’avocate, contactée par nos soinsconfirme à CheckNews que l’appel entre un agent de la brigade des mineurs et sa cliente a bien eu lieu début 2021 et que la version publiée sur YouTube correspond à la conversation intégrale, dont seuls les noms et prénoms ont été coupés. En outre, sur le fond du dossier, elle nous indique que deux informations préoccupantes ont été délivrées par l’école et les services sociaux et qu’une enquête a été ouverte dans la foulée (et donc avant la diffusion de l’enregistrement sur les réseaux sociaux). Elle ignore aujourd’hui où en est cette procédure.

Saisine de l’IGPN

Concernant les conditions dans lesquelles sa cliente a été accueillie au téléphone, il semble que l’affaire soit en fait remontée assez loin au sein de la direction régionale de la police judiciaire (DRPJ) de la préfecture de police de Paris, dont dépend la brigade de protection des mineurs (BPM) – unique en son genre, les autres services en France s’intitulant «brigades de protection des familles» ou «brigades de protection de la famille».

La préfecture de police de Paris, sollicitée, nous apprend que, suite à la diffusion de cet enregistrement, «le préfet de police a demandé une saisine administrative de l’IGPN» et que par ailleurs «le fonctionnaire concerné n’exerce plus au sein de la brigade de protection des mineurs depuis plusieurs mois». Sans préciser toutefois, malgré nos relances, si le départ de l’agent est directement lié, ou non, à cette affaire. En clair, s’il s’agit, ou non, d’une sanction ou d’une mutation souhaitée. Une source policière nous affirme que «l’agent en question est parti début 2021 [au moment de l’appel, donc], mais sans rapport avec ça». Contactée, la direction générale de la police judiciaire (DGPN) ne s’exprime pas formellement sur le sujet et précise qu’elle n’a pas accès à un dossier de discipline de petite catégorie concernant cet agent. Comprendre : sur des faits ou sanctions peu graves, l’affaire reste gérée en interne, au niveau du service.

Par ailleurs, CheckNews a sollicité de nombreuses associations de défense des droits des enfants. Si aucune d’entre elles n’a été en contact direct avec cette mère de famille, toutes, unanimement, déplorent le fait que cet enregistrement dépeigne une réalité tristement banale. «Les personnes qui accueillent cette parole ne sont pas formées, constate la présidente de l’association Face à l’inceste, Isabelle Aubry. Il est courant que les allégations de violences sexuelles soient mises sur le dos d’un conflit parental. Par ailleurs, ce n’est pas la première fois qu’on a des retours négatifs au sujet de la BPM. J’ai personnellement entendu bien pire.»


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