par Gurvan Kristanadjaja publié le 22 octobre 2021
Ce sont des villages ruraux auxquels il était prédit un inexorable déclin. Ces cinquante dernières années, les jeunes sont partis étudier à la ville et n’en sont pas revenus. Restent leurs parents ou grands-parents, têtes grisonnantes et hanches qui se font la malle, et que ce vide attriste. Ils récitent avec nostalgie le nom des commerçants qui ont mis la clef sous la porte : M. Bouillet, le boulanger, Mme Petit, la coiffeuse, M. et Mme Loton, les charcutiers. Ils s’inquiètent : quand les anciens mourront, qui pour prendre leur place ?
Cette question, les maires de Luzy (2 000 habitants, Nièvre), Ferrette (800 habitants, Haut-Rhin), Notre-Dame-de-l’Osier (500 habitants, Isère) et Pessat-Villeneuve (650 habitants, Puy-de-Dôme) ont été forcés de se la poser. Au gré des départs et des décès, du foncier s’est libéré et il a fallu agir vite, au risque de voir les bâtiments se décrépir. A Pessat-Villeneuve, l’imposant château du XVIIe siècle et les locaux d’un centre de vacances Air France tout près de l’église ont été mis en vente en 2015. L’édile propose au conseil municipal de les racheter. «Dans le même temps, j’ai vu sur les réseaux sociaux la photo du petit Aylan, l’enfant syrien mort sur une plage. C’était violent, ça m’a frappé comme un coup de poing au foie, ce fut un véritable déclencheur», se souvient Gérard Dubois (DVG).
A Notre-Dame-de-l’Osier, bourgade coincée entre les cimes et les noiseraies, son homologue acquiesce. Encore en bleu de travail, il pointe du doigt un élégant bâtiment en pierres : «La commune a récupéré cet ancien couvent à l’époque où la Méditerranée devenait un cimetière. On s’est simplement dit qu’on était une ville avec de grands bâtiments d’une part et qu’il y avait des gens qui quittaient leurs pays de l’autre», explique Alex Brichet-Billet (sans étiquette) derrière ses lunettes rondes − il est aussi, à 60 ans, le dernier agriculteur de la commune. A Ferrette, cité historique alsacienne, c’est l’immense caserne de gendarmes qui était à l’abandon. «Avec sa fermeture, on avait perdu les familles de gendarmes, qui représentaient tout de même 25 % de la population. Pour une ville de 800 habitants, c’est dommageable pour la vie économique, sociale et pour l’attractivité. C’était à l’époque de la guerre en Syrie, ça nous a fait réfléchir», se souvient François Cohendet, 77 ans, ancien édile (sans étiquette).
A Luzy, dans le Morvan, une barre d’immeuble en béton des années 50 avec vue sur les vaches peine à trouver de nouveaux résidents quand Jocelyne Guérin (DVG) est marquée par les images du démantèlement de la jungle de Calais. «Quand on dit qu’on fait une politique d’accueil, c’est dans la globalité, pas que des riches, des beaux et des jeunes», affirme la retraitée pour justifier son initiative. Comme ses trois autres homologues, elle a pris une décision forte : autoriser et accompagner l’accueil de migrants, demandeurs d’asile ou réfugiés dans ces bâtiments vides, avec l’espoir que leur présence redynamise la vie locale. Bien loin des discours anxiogènes de l’extrême droite et de la théorie du grand remplacement des identitaires, ces expériences ont contribué au renouveau de ces bourgades. Libération est allée à la rencontre de leurs résidents dans ces quatre coins de France.
Etape 1, le débat : «Ils vont venir pisser dans nos piscines !»
Dans ces zones rurales, le Rassemblement national a gagné du terrain ces vingt dernières années. Le parti d’extrême droite surfe à plein tubes sur les thèmes de la désertification et du «c’était mieux avant». Ça fonctionne : tous les villages autour des quatre communes visitées ont majoritairement voté pour Marine Le Pen en 2017. L’immigration y est d’autant plus un sujet sensible que la population est en grande partie née ici, «on avait peu l’habitude d’y croiser des personnes à la peau foncée, selon le maire de Pessat-Villeneuve. Et nous, on a amené 48 noirs dans le village, soit près de 10 % de la population», ironise-t-il. Ces élus ont une certitude : il faut débattre, prendre le temps d’échanger, car «ce ne sont que des peurs».
François Cohendet, l’ancien maire de Ferrette en Alsace, garde en mémoire un conseil que lui avait délivré un homologue, peu avant l’ouverture du centre d’accueil pour demandeurs d’asile dans sa commune en 2016. «Faites-en un non-événement», clame-t-il encore aujourd’hui. «C’est un acte politique au départ, il faut l’affirmer. Il ne faut pas qu’il y ait de failles», précise Jocelyne Guérin à Luzy, en serrant les poings. Au moment d’annoncer l’initiative à la population, Gérard Dubois fait, lui, glisser un communiqué, sobre, dans toutes les boîtes aux lettres le 2 novembre 2015 : «La commune de Pessat-Villeneuve va accueillir des migrants volontaires, souhaitant demander l’asile en France, issus du campement de Calais […]. Fuyant la guerre qui ravage leurs pays, ces jeunes gens trouveront chez nous enfin un moment de répit dans leur parcours.» La réunion publique prévue quelques jours plus tard devait dissiper les doutes.
Les quatre élus décrivent cette première présentation à la population de la même manière : une salle pleine à craquer et des militants locaux d’extrême droite venus pour en découdre. La pression médiatique a clivé les positions. Le petit village de Pessat-Villeneuve est cité dix fois de suite en une de la Montagne et le maire reçoit des menaces de mort. Dans ces réunions, les premières prises de parole sont d’une violence inouïe, calquées sur les missives reçues. A Notre-Dame-de-l’Osier, un riverain dit «ils vont venir pisser dans nos piscines. On a des armes, on n’hésitera pas à s’en servir». A Pessat-Villeneuve, une femme se lève et s’adresse à l’assemblée : «Ils vont violer mes enfants !» A Ferrette, on craint qu’ils «ne répandent la gale». A Luzy, face à la violence des propos tenus, la salle finit par demander aux militants du Rassemblement national de sortir.
Mais ces propos, plutôt que de diviser, suscitent un sursaut de solidarité. Au milieu de la réunion, une habitante de Pessat-Villeneuve demande au maire : «Comment vont-ils ?» «On s’intéressait enfin à l’humain. Certains avaient des marques de torture, vivaient dans des conditions déplorables. Les toubibs ont pu parler et ça a apaisé un peu les choses.» Des groupes de 20, 30 voire 40 bénévoles se constituent dans les communes à l’issue des discussions : ils vont être un relais important entre la mairie, sous le feu des critiques, et les exilés. Ils permettent aux projets de prendre une dimension plus citoyenne que politique. «Avec du recul, c’est ce que je trouve génial dans cette initiative : ça a mobilisé des bénévoles, des gens qu’on ne voyait pas participer aux fêtes et aux cérémonies ou qui sortaient rarement de chez eux. Rien que pour ça, ça valait le coup», se satisfait Alex Brichet-Billet, dans l’Isère. Après ces épisodes, aucune de ces communes n’a connu de contestations d’ampleur. «S’il existe sans doute encore des indécrottables, ils ne s’expriment plus car ça se passe très bien. Ils n’ont rien à se mettre sous la dent. Il y a dix étrangers au village et personne ne les remarque, ils sont super sympas», assure le maire de Notre-Dame-de-l’Osier. Yves Nivot, un bénévole à Luzy abonde : «Ces gens-là quand ils voient Zemmour parler des migrants, ils le croient. Mais quand ils en voient chez eux, dans leurs communes, ils finissent par dire que ce ne sont pas tout à fait les mêmes que ceux dont on parle à la télé.»
Etape 2, l’accueil : «La rue était toujours vide d’habitude. Ça a mis de la vie»
A Ferrette, les premiers exilés s’installent dans l’ancienne caserne réhabilitée en centre d’accueil pour demandeurs d’asile à l’hiver 2016. Deux Soudanais débarquent en tongs et en short alors que dehors, il neige. «Ils avaient aussi peur de nous que nous avions eu peur d’eux. Ils n’osaient pas sortir», se remémore Michèle Cohendet, présidente de l’association Voisins d’ailleurs et épouse de l’ancien maire. «Au bout d’une semaine, ils étaient en paix ici. Ils ne voulaient plus partir»,complète l’élu, désormais premier adjoint.
Les migrants nourrissent parfois des craintes quand ils apprennent leur destination : le petit village alsacien est éloigné en tout point de ce qu’ils avaient imaginé de la France. «Quand j’étais en Gambie, je regardais les photos de Paris, je trouvais ça beau. Ici c’est la catastrophe», se marre Ebrima Darboe, 19 ans, assis sur un banc en face de l’ancienne caserne de gendarmerie. Il est arrivé en France le 9 mars 2020 et a été transféré à Ferrette le temps que l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) traite sa demande d’asile. Sur Instagram, le jeune homme publie des stories sur ses démarches, suivies par 16 000 followers. «C’est un petit village, il n’y a qu’un magasin. Parfois on s’ennuie…»marmonne celui qui vient d’obtenir le statut de réfugié et voudrait devenir électricien à Mulhouse, la grande ville la plus proche. «Dans leurs pays d’origine, certains percevaient la ruralité comme un danger. Pour eux, dans la brousse, il y a des difficultés d’accès aux soins, de mobilité, d’accès aux commerces», commente Alexandre Reynaud, chef de service du centre provisoire d’hébergement de Pessat-Villeneuve. En pratique pourtant, être placé hors des grandes villes peut être un atout. 50 % des demandes d’asile sont déposées en Ile-de-France. Dans des départements moins saturés, ils ont plus de chances d’obtenir gain de cause.
L’action des bénévoles est primordiale dès les premiers instants de l’accueil : ils font en sorte que les exilés ne manquent de rien à leur arrivée. Ils distribuent de la nourriture, organisent des cours de français, font la navette vers les grandes villes pour les démarches. Au fil des mois, ils forment comme une seconde famille. «C’est un peu comme dans le film Bienvenue chez les Chtis : les demandeurs d’asile pleurent en arrivant et ils pleurent en partant. La solidarité est très importante ici, ils ne veulent pas quitter ça», assure Abdel Amira, un travailleur social du Adoma, à Ferrette. Les riverains ont observé en retour un changement symbolique : «La rue qui traverse le village était toujours vide d’habitude, il n’y avait que des voitures qui passaient. Là, les enfants des demandeurs d’asile rentraient à pied de l’école. Ça a mis de la vie et, depuis, les petits Français en font de même», s’émeut Michèle Cohendet.
Dans l’une des maisonnettes de Pessat-Villeneuve, deux petites filles rient aux éclats sous des posters d’Avengers.Mariam et Moursal, 5 et 4 ans, sont voisines de chambre et amies pour la vie. L’une est Sénégalaise et l’autre Afghane. Elles se baladent bras dessus bras dessous en robe de princesse blanche, un téléphone à la main qui crache de la musique dansante. Leurs parents doivent cohabiter dans l’unité de vie qui accueille huit personnes et les fillettes n’en sont que plus heureuses. Eux aussi parlent d’une nouvelle «famille» reconstituée sous ce toit : c’est l’un des avantages de ces hébergements situés dans des communes isolées, on y recrée un esprit de collectivité et ils permettent aux exilés de découvrir leurs points communs. «Ici, toutes les ethnies, cultures, nationalités, religions se côtoient. Parfois, des personnes qui se seraient fait la guerre dans le même pays. Pourtant, ça se passe toujours bien», assure le chef de service.
Selon les communes, l’accueil se fait sous différentes modalités et il n’est jamais définitif. Ces lieux servent de période de transition pour quelques mois, qu’ils soient demandeurs d’asile ou réfugiés. Leur prise en charge s’organise aussi en fonction des capacités du village. Pour le bon équilibre de la vie collective, l’effectif des établissements ne dépasse jamais 10 % du total de la population. A Notre-Dame-de-l’Osier, le maire et son conseil ont fait le choix de ne pas prendre en charge plus de dix réfugiés en même temps depuis le printemps 2019. «On voulait un projet à notre taille et une mixité de personnes en insertion et de réfugiés»,explique-t-il. Avec un projet bien précis : reprendre en main la boulangerie et les activités de maraîchage, délaissées depuis plusieurs années. Par le biais de l’association Tero Loko, à l’initiative du projet, l’idée est de les faire travailler en CDI d’insertion, mais pas forcément de les loger sur place. «Il n’y a rien pour se déplacer, ce n’est pas forcément facile de vivre dans le village. Ils préfèrent habiter dans les villes environnantes, plus accessibles», décrit Lucie Brunet, cofondatrice de Tero Loko. Leur activité a permis d’ouvrir un nouveau fournil et d’organiser un marché, le mardi soir, au cours duquel les réfugiés vendent les légumes qu’ils cultivent. Les habitants assurent qu’ils n’ont pas connu pareille animation depuis plus vingt ans. Ils hébergent tout de même ponctuellement les réfugiés chez eux. Isalia, bénévole de 41 ans, reçoit par exemple Joy, une discrète Nigériane de 31 ans arrivée en France en 2017. «Elle vient une fois toutes les deux semaines. Mes enfants de 9 et 11 ans sont contents, c’est une ouverture sur d’autres cultures.» Comme le dit le maire de Ferrette : «Dans les communes rurales, certains n’ont pas beaucoup voyagé dans leur vie. En les accueillant, on amène de la diversité chez eux.»
Etape 3, l’intégration : «Je commence à me faire des nouveaux amis, des Français»
De la fenêtre de son appartement de Luzy, mis à disposition par la Fédération des œuvres laïques de la Nièvre, Moussa, un Malien de 22 ans, observe le pré au loin, où broutent trois vaches. Il était éleveur au pays, souhaiterait devenir électricien s’il obtient l’asile. Mais depuis trois mois qu’il est à Luzy, Moussa est perplexe : comment s’y prendre pour se faire de nouveaux amis dans un si petit village ? C’est vers le club de foot local que ce fan de Mbappé s’est tourné. «Je m’entraîne trois fois par semaine. Là-bas, je commence à me faire des nouveaux amis, des Français», raconte-t-il d’un sourire fier. Assis sur un banc dans le jardin du centre, Temmam, un Syrien de 31 ans, est un de ses coéquipiers. Ça a permis à cet ancien prisonnier politique de retrouver le goût de taper dans un ballon, chambrer ses camarades… Il a transmis le virus à son aîné, 6 ans, qui porte fièrement le maillot de l’équipe de France. Avec l’arrivée régulière de migrants dans la commune, le club a grimpé de nombreuses divisions. L’attaquant vedette est même un modèle d’intégration : Hassan, un Soudanais de 30 ans, fut l’un des premiers pensionnaires du centre en mai 2018. Le numéro 9 contribue aujourd’hui au renouveau de Luzy, qui a perdu des centaines d’habitants en cinquante ans : il loue un appartement dans le bourg et il est cuisinier au café de l’église. Dans cette commune rurale, on prévient tout de même : «Ça a l’air magique, mais ce que l’on fait n’est possible que s’ils veulent vraiment s’intégrer.»
Dans chacune des quatre communes, les exilés passent plus de la moitié de la semaine à étudier la langue française. Dans une salle de classe de Pessat-Villeneuve, juste à côté de l’école maternelle, une dizaine de réfugiés sont en cours. Ils étudient les symboles de la République. Sur son cahier, l’un des élèves, un Afghan, a écrit : «Les symboles de la France, la Marseillaise, le drapeau, la devise. Liberté, égalité, fraternité.» La professeure interroge : «Ça veut dire quoi pour vous la Liberté ?» Il répond : «Libre, c’est la démocratie comme en France. En Afghanistan, la burqa ce n’est pas la liberté.»Elle poursuit : «Et la fraternité ?» L’élève joint ses deux mains : «On est tous frères : Somaliens, Afghans, Français…» A Notre-Dame-de-l’Osier, Atef, un longiligne Soudanais de 47 ans, prend la parole. Il devait écrire un texte avec des expressions typiquement françaises. Le réfugié le lit à haute voix :«Pendant le confinement j’étais tout seul. Tout le temps. Dans la même chambre. Je voyais tout en noir. Mais grâce à Internet j’ai communiqué aux réseaux sociaux avec la famille et mes amis. Et j’ai recommencé à voir la vie en rose.» L’une de ses professeures, une voisine bénévole, commente en aparté : «Ils font des efforts pour parler français et s’investir.»
Dans la salle des fêtes de Luzy, pour se faire connaître des habitants, six demandeurs d’asile afghans ont proposé d’organiser une soirée de présentation de leur pays. Dans l’assistance, la moyenne d’âge est de 70 ans. Les six hommes diffusent des images des villes qu’ils ont dû quitter ces derniers mois après l’arrivée des talibans. On y voit des montagnes enneigées, des taxis jaunes dans le centre de Kaboul et de somptueux édifices datant de plusieurs siècles. Dans la foule, Bernard, un voisin rencontré un peu plus tôt et farouchement opposé à leur présence à Luzy, scrute attentivement chaque cliché.
Etape 4, la pérennisation : «Qu’ils trouvent un emploi, c’est un pas très important»
Saydulla Zamankhil, un Afghan de 29 ans, cheveux courts et barbe de trois jours, a obtenu le statut de réfugié il y a quelques jours. Il a pu louer son premier studio avec l’aide de l’association CeCler, qui l’accompagnait à Pessat-Villeneuve. Le jeune homme se dit heureux au grand air dans le Puy-de-Dôme, loin des grands centres, à la recherche d’un boulot dans le bâtiment. Au pays déjà, il vivait dans un petit village. Il a imprimé son CV, rangé avec soin dans une pochette plastique et s’apprête à faire le tour des entreprises. On lit : «Ouvrier de restauration dans le bâtiment en Afghanistan. Laveur de vitres en Grèce. Serveur à Clermont-Ferrand.» La travailleuse sociale qui l’accompagne le rassure : «Ce qui est bien, c’est que le secteur du BTP est plutôt en tension, ils recherchent de la main-d’œuvre.» Elle se tourne vers nous et précise : «On noue des partenariats avec des entreprises qu’on identifie et avec lesquelles on sait qu’on peut travailler. Qu’ils trouvent un emploi, c’est un pas très important vers l’autonomie.»
A quelques kilomètres de là, Alain Capella, exploitant forestier, vient de recruter deux Afghans issus du même centre d’hébergement de Pessat-Villeneuve. «La France assistée, j’en ai ras le bol, dit-il en s’allumant une cigarette. On donne les aides, et les Français ne veulent plus travailler. Ils me disent “c’est pas assez payé, c’est trop difficile ce métier, je gagne plus au chômage.” Alors moi je préfère donner leur chance à des gens comme ça qui ont mangé de la vache enragée et qui en veulent.» Ces recrutements lui demandent de s’adapter et de les former un peu plus que les autres. «Mais au moins, je n’ai qu’à leur dire les choses qu’une fois pour qu’ils comprennent. Et ils sont ponctuels !» Dans le chantier à l’extérieur, les deux réfugiés viennent de faire démarrer un tracteur qui était en panne. «Et bah vous voyez ce que je vous dis ! Ils sont débrouillards», se réjouit le patron. «Quand ils trouvent un métier ici, ils font tout pour le garder», note-t-on au sein de l’association CeCler. A l’issue de leur passage au centre, 64 % des réfugiés s’installent dans le Puy-de-Dôme.
Les élus et bénévoles des quatre communes sont persuadés que leurs expériences peuvent être déclinées ailleurs. «On n’a pas été assez sollicités par l’Etat et les gouvernements pour donner notre retour sur ces expériences», regrette Gérard Dubois. Selon eux, chacun peut y trouver un intérêt : certains secteurs comme la restauration, le BTP ou l’agriculture sont en tension et les exilés prêts à travailler. Les enfants de ces familles remplissent les classes et offrent une mixité au sein des écoles. Et les communes endormies retrouvent un goût pour la vie collective. «A chaque fois que je croise un ancien migrant dans la commune, bien installé et heureux, je me dis que ça valait le coup», sourit une bénévole à Ferrette. Les exemples sont nombreux, comme Abel Yosef Abraham, un Erythréen de 30 ans, résidant à Pessat-Villeneuve, qui va bientôt s’installer en tant qu’apiculteur à son compte. Ou encore Djoe Kabuka, 36 ans, originaire de la république démocratique du Congo, établi à Ferrette avec sa femme et ses quatre enfants. Ce passionné d’avion fait le service à la cantine, mais il projette bientôt de réaliser son rêve : travailler pour l’aéroport, à quelques kilomètres de là. D’autres exilés, comme Seydou, souhaiteraient rester dans ces villages. Ce Sénégalais de 31 ans envisage de s’établir à Luzy s’il obtient l’asile et trouve un boulot de chauffeur routier.
Bien sûr, il y aura toujours des voisins que ces initiatives ulcèrent, comme Hervé (1), 66 ans, pour qui «on ne peut pas accueillir la misère du monde» : «Je ne suis pas raciste mais il faut qu’on les choisisse, on ne peut pas accueillir n’importe qui», regrette-t-il, affirmant que l’insécurité est en hausse dans la commune. «Ils prennent les sens interdits à vélo…»Mais dans l’ensemble, l’accueil de migrants en milieu rural fait plutôt l’unanimité. Ce ne sont pas les doyens de Luzy qui diront le contraire : on les a quittés en plein débat avec trois Afghans sur le régime taliban, eux qui n’avaient jamais vu jusqu’à présent d’autres paysages que les collines de leur Morvan natal.
(1) Le prénom a été modifié.
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