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samedi 23 octobre 2021

« D’où vient l’idée que les Français travailleraient moins que les autres ? »

Publié le 23 octobre 2021

Pour la sociologue Dominique Méda, « la France pourrait se donner pour objectif de faire converger la durée des emplois des hommes et des femmes autour de 32 heures ».

Dans un salon pour l’emploi, à Nantes, en 2015.

Chronique. Le président de la République Emmanuel Macron a profité de la présentation du grand plan d’investissement France 2030, le 12 octobre, pour renouveler ses critiques à l’encontre du modèle français de temps de travail. « Quand on se compare, a-t-il dit, nous sommes un pays qui travaille moins que les autres en quantité. » Et a conclu ainsi : « Il nous faut avoir un pays qui produise davantage. »

C’est à cette comparaison que s’était livrée, en 2018, la Direction statistique du ministère du travail (Dares), dans un document d’études intitulé « Comparaisons européennes des durées du travail : illustration pour huit pays ». Après avoir rappelé la très grande complexité de ce type de comparaisons, l’étude présentait un premier résultat, non concordant avec l’affirmation du chef de l’Etat : en 2016, la durée hebdomadaire de travail moyenne des salariés était plus élevée en France qu’en Allemagne, en Suède, en Italie, au Danemark et aux Pays-Bas...

D’où vient alors l’idée que les Français travailleraient moins que les autres ? Elle est soutenue, depuis des années, par certaines publications très médiatisées, qui ne s’intéressent qu’au temps de travail des seuls salariés à temps complet (en effet un peu inférieur en France à celui en vigueur dans d’autres pays) en oubliant complètement la contribution des travailleurs – en réalité des travailleuses – à temps partiel.

Or, nous devons d’autant moins négliger celle-ci que le modèle français est différent de beaucoup d’autres, notamment du modèle allemand : le temps partiel y est en effet à la fois d’une durée plus longue (23,7 heures en moyenne en France contre moins de 20 heures en Allemagne) et moins répandu (19 % en France contre 27 % en Allemagne). Les femmes supportent donc moins qu’ailleurs la fragmentation de l’emploi.

La garantie de l’indépendance

Il s’agit de formes d’emploi principalement féminines (47 % des Allemandes et un peu moins de 30 % des Françaises travaillent à temps partiel), qui vont souvent de pair avec de moindres responsabilités et des salaires moins élevés.

Elles sont pour partie subies – les personnes sont alors en sous-emploi et souhaiteraient travailler plus : en France, 44 % des personnes travaillant à temps partiel le font parce qu’elles n’ont pas trouvé de temps complet – et pour partie « choisies ». Mais ce dernier terme doit être utilisé avec précaution : ce « choix » est en effet souvent contraint, dans la mesure où il permet de prendre en charge des activités domestiques et familiales, qui restent extrêmement mal partagées entre les hommes et les femmes.

Faut-il en effet rappeler que, selon les résultats de la dernière enquête Insee « Emploi du temps » (2009-2010), si les hommes assurent en moyenne 4 heures de travail professionnel et de formation par jour et 2,5 heures de travail domestique (y compris le bricolage), c’est l’inverse pour les femmes : elles réalisent quotidiennement 4 heures de travail domestique et seulement 2,5 heures de travail professionnel et de formation. Même si les lois de réduction du temps de travail ont contribué à rendre un peu moins inégalitaire le partage du temps de travail entre les hommes et les femmes en préférant la réduction collective à cette forme de réduction individuelle qu’est le temps partiel, le chemin vers l’égalité est encore long.

Il passe sans nul doute par l’augmentation du temps de travail des personnes à temps partiel, mais aussi par celle du taux d’activité des femmes, qui présente encore une différence de huit points avec celui des hommes. Il n’y a en effet aucune raison que les unes accèdent moins au travail rémunéré que les autres : pour tous, celui-ci est la garantie de l’indépendance.

Mais cela ne pourra se faire que si un ensemble de conditions sont mises en œuvre : développement d’un service d’accueil des jeunes enfants capable de prendre en charge une grande partie des moins de 3 ans à un coût supportable ; implication réelle des pères dans la prise en charge des jeunes enfants ; prise en compte des nécessités de la vie familiale par les organisations de travail. Si l’on écarte le temps partiel, deux solutions existent, qui toutes deux consistent à réduire le temps de travail individuel sans diminuer, au contraire, le nombre total d’heures travaillées.

La convergence des durées

L’une est une réduction du temps de travail sur la journée ou la semaine, telle qu’elle a eu lieu en France au début des années 2000, qui pourrait être adaptée. Certaines entreprises, qui ont compris le lien fort entre conciliation des vies professionnelle et familiale et qualité du travail, s’intéressent actuellement à cette formule.

L’autre est une augmentation du nombre de congés à usage déterminé, d’une durée identique pour les hommes et les femmes, à utiliser à certains moments de la vie. Les débuts de la parentalité ou la fin de vie active apparaissent comme des moments privilégiés. Les deux solutions doivent permettre de partager le travail et de réintégrer des chômeurs dans l’emploi.

A la différence de l’Allemagne, qui était parvenue à créer quatre millions d’emplois entre 1994 et 2012, avec le même nombre d’heures de travail (58 milliards), en fragmentant l’emploi et en créant en particulier dans les services des emplois de très courte durée, mal rémunérés, souvent destinés aux femmes, la France pourrait poursuivre dans sa voie et se donner pour objectif de faire converger la durée des emplois des hommes et des femmes autour d’une norme glissante de 32 heures.

Cela permettrait non seulement de réintégrer de nombreux chômeurs dans l’emploi, mais aussi de corriger une évolution dénoncée par de plus en plus d’économistes : la déformation du partage des revenus en faveur des profits et au détriment des salaires.


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