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mardi 19 octobre 2021

Rémunération des médecins : un répit pour les intérimaires «mercenaires» ?

par Nathalie Raulin  publié le 15 octobre 2021

Alerté d’un risque généralisé de fermeture d’unités hospitalières, le ministre de la Santé, Olivier Véran, envisage de repousser de quelques semaines la régulation stricte des rémunérations des médecins intérimaires à l’hôpital public, censée entrer en vigueur le 27 octobre.

Le gouvernement va-t-il accorder un sursis aux «médecins mercenaires» de l’hôpital public ? Depuis quelques jours, les échanges du cabinet du ministre de la Santé, Olivier Véran, avec les syndicats et les directions hospitalières s’intensifient. A tel point que ces derniers s’attendent à un «bougé imminent» du ministre, ce que confirme son cabinet : une décision devrait être annoncée en milieu de semaine. Au centre des discussions, un possible report de l’entrée en vigueur d’une disposition de la loi Rist aux allures de révolution pour l’hôpital. Laquelle prévoit qu’à compter du 27 octobre, tout établissement public de santé qui acceptera de verser aux médecins intérimaires des rémunérations supérieures au plafond légal ne sera plus remboursé par le comptable public. De quoi mettre un coup d’arrêt aux dérives ruineuses pour les hôpitaux et la Sécu. Il y a six mois, les praticiens hospitaliers avaient applaudi cette disposition des deux mains.

Mais à dix jours de la bascule, les mêmes sont debout sur le frein. Le stress est tel que des élus ne reculent pas devant le coup d’éclat pour «sauver» leur hôpital. Ainsi de Jean-Marc Nesmes, 78 ans, maire de Paray-le-Monial (Saône-et-Loire). Le 3 octobre, le président du conseil de surveillance de l’hôpital de la commune annonce urbi et orbi entamer une grève de la faim pour dénoncer une «décision de Paris qui s’applique aveuglément sur tout le territoire». Rassuré par son échange avec l’agence régionale de santé (ARS), l’ancien député LR suspend son jeûne quelques heures plus tard. Mais ne baisse pas la garde : «Je ne conteste pas qu’il faille réguler l’intérim médical, il y a des abus, concède Nesmes. Mais les hôpitaux de proximité comme le mien, éloignés des grands centres urbains, ne peuvent fonctionner sans les intérimaires, cardiologues, anesthésistes ou urgentistes. Il nous faut pouvoir les faire venir.» Pour assurer la permanence des soins aux 100 000 habitants de son bassin, l’hôpital de Paray-le-Monial, comme des dizaines d’autres établissements de proximité, payait ce qu’il fallait. Soit sensiblement plus que la rémunération maximale autorisée pour un médecin intérimaire – 1 170 euros brut pour les intérimaires (soit 900 euros net) pour 24 heures de garde quelle que soit la spécialité, contre de 500 à 700 euros net pour un praticien en poste. Vu la pénurie de médecins, les intérimaires jouent là sur du velours. Début 2019, le taux de vacance des praticiens hospitaliers à temps plein atteignait déjà 29,1 %, selon le Centre national de gestion de la fonction publique hospitalière, qui a depuis cessé de livrer la statistique. «On a véritablement besoin d’une régulation médicale plus forte, mais il faudrait aussi que le nombre de postes vacants de médecins titulaires soit moins importants, insiste Guillaume Laurent, directeur général du Centre hospitalier du Mans. Ici, on a une quarantaine de postes vacants en permanence, soit 10 % des effectifs médicaux. Pour faire face, il n’y a que deux solutions : les heures sup ou l’intérim…»

A Paray-le-Monial, le cauchemar est déjà une réalité. «On a commencé à respecter le plafond légal de rémunération des médecins intérimaires depuis fin juillet à la demande du directeur du Groupement hospitalier de territoire de Mâcon, indique un chef de service de l’hôpital. On a donc informé nos intervenants qu’on baissait leur rémunération de 30 %. Résultat : les médecins qui avaient signé un contrat sont allés au bout de leur mission, mais tous les autres se sont désistés. En l’espace de deux mois, on a perdu 60 % de nos effectifs en cardiologie, 30 % en pédiatrie, près de la moitié aux urgences. On a reçu un peu d’aide des établissements voisins, et les praticiens statutaires empilent les heures sup. Mais on est sur une corde raide. La situation est d’une extrême gravité.»

Coup de grâce

Paray-le-Monial n’est pas un cas isolé. Rien qu’en Bourgogne Franche-Comté, Autun, Sens, Nevers et même Chalon-sur-Saône sont sous tension. En réalité, un vent de panique souffle sur toute la France rurale et semi-rurale, de Dax à Marmande, de Troyes à Agen. Mardi, lors des questions d’actualité au gouvernement, la députée (PS) Sylvie Tolmont lance ainsi «un cri d’alarme» sur la situation du Pôle santé Sarthe et Loir à Bailleul, deuxième hôpital de la Sarthe, dont les blocs opératoires, la maternité et le service d’urgences sont menacés de fermetures d’ici fin octobre, faute de trouver des anesthésistes intérimaires. Les urgences de Saint-Calais et Château-du-Loir, deux autres établissements sarthois, sont aussi menacées. A une centaine de kilomètres à l’ouest, les urgences de Laval, déjà en sous-effectif médical chronique, craignent le coup de grâce : «Même si on a que deux médecins intérimaires, on ne peut pas tourner sans eux, estime la docteure Caroline Brémaud. On a déjà fait grève parce qu’en journée il n’y a que deux médecins aux urgences alors qu’il en faudrait trois, et un seul la nuit alors qu’il en faudrait deux. Ce décret sur l’intérim va finir de nous plomber.»

«Quand vous êtes praticien hospitalier statutaire, au bout d’un moment, vous vous sentez comme le dindon de la farce : vous êtes moins payé que les intérimaires, vous avez plus d’astreintes et c’est à vous de faire tourner la boutique. Du coup, la tentation peut devenir forte de passer de l’autre côté…»

—  Pierre Pribile, directeur général de l’ARS de Bourgogne-Franche-Comté

«On est dans une phase de transition, veut croire Pierre Pribile, directeur général de l’ARS de Bourgogne Franche-Comté. Tous les hôpitaux ne respectent pas encore le plafond de rémunération, ce qui pénalise forcément ceux qui s’y plient déjà, les intérimaires allant au plus offrant. Mais c’est une situation temporaire. A terme, la régulation de l’intérim va protéger les hôpitaux, surtout quand ils dépendent de l’intérim pour fonctionner au quotidien, d’un véritable chantage. Le mot n’est pas galvaudé : il est arrivé qu’un anesthésiste intérimaire, attendu pour faire une garde dans un établissement de ma région, appelle la veille pour dire que si sa rémunération n’était pas revalorisée de 500 euros, il ne venait pas ! Or un médecin qui manque, c’est un bloc, une maternité ou un service d’urgence qui ferme…» Pour Pierre Pribile, les rémunérations parfois exorbitantes réclamées par les médecins intérimaires – jusqu’à 2 000 euros les 24 heures – contribuent à grever, et parfois lourdement, les finances des hôpitaux, comme l’a par exemple relevé la Cour des comptes à Brest. Mais là n’est pas l’unique danger : «L’intérim médical est un cancer qui ronge l’hôpital public dans nos zones rurales parce qu’il a un effet centrifuge, insiste le directeur. Quand vous êtes praticien hospitalier statutaire, au bout d’un moment, vous vous sentez comme le dindon de la farce : vous êtes moins payé que les intérimaires, vous avez plus d’astreintes et c’est à vous de faire tourner la boutique. Du coup, la tentation peut devenir forte de passer de l’autre côté…»

«Timing désastreux»

Cette usure, Yasmina l’a ressentie. Début septembre, l’anesthésiste de 36 ans, installée en Provence, a quitté son poste à l’hôpital pour exercer en intérim : «L’hôpital public, j’en avais rêvé, j’y croyais. Mais ce n’était plus possible, se souvient la jeune mère. Pour 200 euros la journée, je devais faire mon métier mais aussi me coltiner les soucis organisationnels, les sous-effectifs à gérer et les doléances permanentes des paramédicaux en souffrance. Je n’en pouvais plus, je ne trouvais plus de solution. Aujourd’hui, je ne fais que ce que j’aime, payée jusqu’à présent 650 euros la journée !» Et l’anesthésiste n’entend pas baisser ses prétentions. «Avec la loi Rist, j’ai renoncé aux remplacements que j’avais prévu de faire à l’hôpital jusqu’à fin décembre, dit-elle. Je refuse de travailler pour 300 euros la journée vu les risques que comporte mon métier. Si je ne trouve pas un arrangement avec l’hôpital, je ferai des remplacements dans le privé, en clinique.» Urgentiste intérimaire à Laval depuis dix ans, le docteur Bikoko se dit tout aussi résolu à maintenir son niveau de vie. En deçà de 1 200 euros net pour 24 heures, il assure qu’il ne renouvellera pas son contrat : «Comme j’habite à 100 km, je resterai auprès de ma femme qui va accoucher ou je chercherai plus près de chez moi.»

«Vu le nombre de refus de mission, on a le sentiment que beaucoup d’intérimaires vont se désengager temporairement, soupire le docteur Thierry Godeau, qui préside la conférence nationale des présidents de commission médicale d’établissement de quelque 600 centres hospitaliers hors CHU. Ils peuvent se permettre de ne pas travailler deux ou trois semaines. Toute la question est de savoir si les hôpitaux pourront tenir si longtemps.» Pour les établissements périphériques, isolés ou mal cotés, les prochaines semaines risquent d’être à haut risque. «En Auvergne Rhône-Alpes, dans les Hauts-de-France et en Ile-de-France, l’inquiétude est vive, reconnaît le diabétologue, qui regrette que l’Etat n’ait pas déminé le terrain. Dans cette affaire, on commence par la finOn veut réglementer l’intérim alors qu’on attend toujours les décrets instaurant la prime de solidarité territoriale ou le nouveau statut de praticien hospitalier. Or c’est grâce à ces deux leviers que les hôpitaux de proximité devaient trouver la ressource médicale qui leur manque.»Du coup, même s’il est acquis à la réforme, le docteur Godeau plaide pour son report. «Chez Véran, ils voudraient tenir l’échéance du 27 octobre pour ne pas la décrédibiliser, indique le praticien. Mais on est en train de mettre beaucoup d’hôpitaux en difficulté. Entre la crise sanitaire et l’obligation vaccinale, les établissements n’ont pas eu le temps de préparer cette échéance. Si le ministère ne bouge pas, on n’évitera pas les fermetures de lits, de services et les déprogrammations.»

La présidente du Syndicat national des praticiens hospitaliers anesthésistes-réanimateurs élargi, la docteure Anne Geffroy-Wernet, dénonce aussi un «timing désastreux» : «On est en plein rattrapage chirurgical post-covid. Ce n’est vraiment pas le moment !»La Fédération hospitalière de France (FHF), qui a également plaidé pour un report à janvier 2022, attend désormais un bougé du ministre : «Olivier Véran a pris conscience de l’acuité du problème, estime-t-on à la FHF. Soit il maintient la bascule au 27 octobre, mais alors il fera en sorte que la responsabilité des agences d’intérim aussi soit engagée. Soit il repousse l’application de la réforme de quelques semaines, de sorte à se donner le temps de faire ce qui aurait dû être fait pour limiter les difficultés, à savoir le statut du praticien hospitalier et la prime de solidarité territoriale.» Reculer pour mieux sauter.


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