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vendredi 22 octobre 2021

« Aux bons soins du capitalisme » : le coaching, une religion libérale

Par   Publié le 22 octobre 2021

Dans son nouvel ouvrage, issu d’une longue enquête, la sociologue Scarlett Salman interroge ce que le développement des pratiques de « coaching » dit du management des entreprises modernes.

Le livre. Réconcilier capitalisme et humanisme, rien de moins : les promesses du coaching sont séduisantes. Resté longtemps discret, d’abord exercé par des consultants à l’image aussi énigmatique que charismatique, associé aux élites, le coaching fait l’objet d’une fascination tenace en France, à la fois laudative et critique.

Les uns vantent les mérites de cette pratique hybride, qui emprunte ses techniques à la psychothérapie mais se déploie dans le champ du conseil et de la formation. Les autres dénoncent l’empire des coachs et l’injonction au bonheur toute-puissante. Le coaching est-il le fer de lance d’une instrumentalisation de la subjectivité par le capitalisme ? Ou, à l’inverse, dans un étrange renversement de miroir, le signe que la société, et plus précisément le travail, va mal ? Dans Aux bons soins du capitalisme(Les Presses de Sciences Po), Scarlett Salman s’interroge.

Depuis son émergence dans les années 1990, le coaching a conforté sa place dans le monde de l’entreprise et contribué à deux figures majeures du néocapitalisme : celle, interne, du manageur-coach ou du leader, et celle qui se prolonge à l’extérieur des organisations, de l’entrepreneur de soi. « La promesse du coaching est de développer le potentiel d’individus réputés autonomes, tout en les invitant à entretenir des relations harmonieuses aux autres et un rapport sain au travail », rappelle la sociologue, maîtresse de conférences à l’Université Gustave Eiffel.

Métamorphoses des relations

Ce dispositif individualiste-libéral postule que l’individu au travail n’est pas seulement mû par des critères économiques, mais que ses relations de travail ont un impact sur son engagement et sur sa performance. « Le coaching est la version la plus individualisée et la plus personnalisée des dispositifs de gestion qui ont pris la dimension humaine comme objet. Il s’adresse résolument aux cadres, ces salariés de confiance auxquels est demandé un investissement extensif dans le travail et auxquels est promise en retour la plus grande des récompenses, cette fameuse réalisation de soi. »

Ce discours accompagne un renouveau de l’indépendance et de l’entrepreneuriat. Les coachs exercent eux-mêmes leur activité sous des formes diverses d’indépendance. Fruit d’une enquête au long cours, engagée au début des années 2000 et combinant ethnographie et statistiques, l’ouvrage s’intéresse aux métamorphoses des relations entre management et psychologie, et à l’essor d’une hygiène psychique au travail porteuse d’une responsabilisation individuelle accrue.

Une partie des coachings visent à amener les cadres à mieux gérer leurs temporalités de travail, avec des pratiques tournées vers la planification et l’optimisation individuelle… Ce qui va à l’encontre de la rhétorique originelle du coaching, qui critique la bureaucratisation. La lecture psychologique des rapports au travail portée par le coaching occulte tant la dimension productive que hiérarchique, ce qui tend à reporter les responsabilités des épreuves professionnelles sur le seul cadre coaché.

« Si une responsabilité extérieure à l’individu peut être reconnue lors du coaching, c’est à ce dernier que le coach enjoint in fine de se responsabiliser au moyen d’un travail sur soi. » La responsabilisation fait de l’individu une variable d’ajustement des contraintes organisationnelles, qu’il ne peut pourtant pas changer. « La fonction palliative exercée par le coaching opère un détournement du regard de l’organisation vers l’individu et défausse l’entreprise de ses responsabilités propres et organisationnelles », conclut l’autrice.

« Aux bons soins du capitalisme. Le coaching en entreprise », de Scarlett Salman. Les Presses de Sciences Po, 320 pages


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