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lundi 18 octobre 2021

Des neuroscientifiques lyonnais auscultent la méditation

Par   Publié le 11 octobre 2021 

Une équipe de l’Inserm conduit une expérience ambitieuse d’analyse du fonctionnement cérébral de méditants expérimentés, afin de tenter de cerner ce processus mental.

Un des membres de l’équipe de recherche teste son dispositif d’évaluation de la perception tactile en posture de méditation.

Une équipe lyonnaise de scientifiques de l’Inserm mène une expérience consacrée aux effets de la méditation sur le cerveau, à partir d’un protocole aux proportions inédites. Nommée Longimed, simplification d’« évolution longitudinale de la perception et de la cognition lors d’une retraite de méditation », cette étude neuroscientifique vise à identifier les changements comportementaux et cérébraux intervenant lors de la pratique intensive de la méditation, plus précisément dans une phase maximale d’expérience méditative.

Les chercheurs ont accumulé des données à partir d’une cohorte de volontaires, recrutés pour leur pratique poussée de la méditation, placés en retraite complète d’une durée ininterrompue de dix jours. En tout, 54 personnes réparties en plusieurs groupes se sont prêtées à l’expérience. Trois retraites se sont déroulées entre octobre 2020 et mars 2021, dans un centre d’accueil du Poizat, près de Nantua (Ain). A l’issue d’un calendrier perturbé par les épisodes de confinement sanitaire, les dernières mesures ont été effectuées en juin, dans le laboratoire du centre de recherche en neurosciences basé dans le parc de l’hôpital Le Vinatier, à Bron (Rhône). L’équipe, constituée d’une dizaine de chercheurs et assistants, se donne désormais un an pour livrer les résultats complets de l’étude financée par le Conseil européen de la recherche.

Exercice intensif

« Un tel format expérimental manquait à la littérature scientifique. La durée des retraites que nous avons organisées nous permet d’aller plus loin dans la connaissance des ressorts de la méditation sur les schémas perceptifs, cognitifs et affectifs du cerveau », expose Antoine Lutz, 48 ans, du Centre de recherche en neurosciences de Lyon. Auteur d’une thèse soutenue en 2002 à la Pitié-Salpêtrière (AP-HP) et chercheur durant dix ans à l’université du Wisconsin, le directeur de recherche s’inscrit dans la filiation scientifique qui a démarré en 1983 par la rencontre fondatrice entre le neurobiologiste Francisco Varela et le dalaï-lama. Antoine Lutz a aussi participé aux premières études en imagerie cérébrale sur les méditations réalisées avec des méditants chevronnés, comme en 2015 avec le moine bouddhiste Matthieu Ricard.

Certaines ondes et zones du cerveau sont directement touchées par l’exercice de la méditation, comme si la plasticité du cerveau bénéficiait de l’exercice mental

« Ce champ d’étude n’a pas été pris au sérieux à ses débuts. On me disait que je quittais la science ! Depuis vingt ans, les neurosciences cognitives sont en pleine expansion et le sujet de la méditation nous apporte beaucoup d’enseignements sur la manière dont le cerveau fonctionne », explique Antoine Lutz. Des études précédentes ont montré qu’il existe des principes neurocomputationnels spécifiques de fonctionnement du cerveau lors de pratiques méditatives intenses. Certaines ondes et zones du cerveau sont directement touchées par l’exercice intensif de la méditation, comme si la plasticité du cerveau bénéficiait de l’exercice mental qui consiste à accueillir pensées et sensations dans l’immobilité et le silence. Avec l’observation de hautes doses de méditation, l’équipe de l’Inserm cherche à identifier les marqueurs comportementaux et neurophysiologiques de l’effet des situations dites « de pleine conscience ». L’étude lyonnaise veut confirmer, modéliser et tester ces principes, afin de tenter d’établir une théorie neurocognitive complète de la méditation.

« On n’arrête pas l’esprit »

Selon le protocole de Longimed, les participants ont suivi huit sessions de méditation par jour, pilotées par un professionnel. Pas d’autres loisirs, peu de conversations, les téléphones proscrits, des repas en commun : tous les groupes ont connu des conditions similaires, avec le minimum de perturbations extérieures. Chaque participant était invité à remplir sur une tablette un questionnaire quotidien d’une vingtaine d’items, afin de décrire ses sensations.

« Nous observons nous-mêmes comment notre cerveau fonctionne, c’est l’essence de la méditation », Corinne Forquez, participante

Trois types de mesure physique ont été menées sur place : auditives, avec différents sons dans des écouteurs ; tactiles, avec un appareil fixé sur le doigt, permettant de répliquer une force donnée ; et sensitives, à partir de légères stimulations électriques. L’ensemble de ces mesures a été effectué à trois reprises : avant, pendant et après le stage de méditation. Un groupe témoin a fait l’objet de relevés similaires, sans méditation, afin d’évaluer les différences. Des mesures complémentaires ont été réalisées par électroencéphalogramme et imagerie par résonance magnétique (IRM). D’une durée d’une heure et demie, les examens d’IRM ont été effectués à trois reprises, avant la retraite, à la fin de celle-ci, puis trois semaines après.

« L’IRM est le seul appareil que nous n’avons pas pu transporter dans le centre de retraite du Jura ! Sinon, le laboratoire a été déployé sur place. Le fait d’étudier et de prendre des mesures pendant les stages dans des conditions stables sur d’aussi longues durées, c’est ce qui a donné son caractère exceptionnel à cette étude », déclare Arnaud Poublan-Couzardot, 26 ans, membre de l’équipe lyonnaise, doctorant en troisième année à l’université Claude-Bernard Lyon-I. « Cette expérience a été très intense, même pour un public qui pratique souvent la méditation. Au fil du temps, nous observons nous-mêmes comment notre cerveau fonctionne, c’est l’essence de la méditation. On n’arrête pas l’esprit ! », confie Corinne Forquez, 52 ans, participante de l’expérience Longimed.

Mieux gérer la souffrance

« La méditation permet de prendre conscience de sa vie mentale. Cette observation détachée opère une sorte de décentrage cognitif. Vous accueillez la colère, la peur, l’ennui, la douleur, sans être gêné, sans être happé et sans vouloir changer les pensées et les émotions. Ce faisant, vous gagnez un peu d’espace, qui permet de voir sans être dans le réactif. C’est ce que nous venons d’établir expérimentalement », résume Antoine Lutz. En étudiant l’observation volontaire et la régulation des schémas perceptifs et affectifs du cerveau, l’expérience Longimed cherche notamment à mieux cerner le phénomène d’amplification cognitive de la douleur.

« Cette présence non réactive permet de mieux gérer la souffrance, car elle réduit la composante affective de la douleur tout en laissant inchangée sa composante sensorielle », explique le chercheur. Les premiers résultats semblent très prometteurs. « La méditation ne modifie pas l’intensité de la douleur, mais plutôt sa composante affective. Nous identifions les effets de la méditation dans ce processus », indique Arnaud Poublan-Couzardot. Ce qui ouvre des perspectives cliniques. A Lyon, comme dans d’autres villes, un diplôme universitaire (DU) propose d’intégrer la méditation dans les parcours de santé. « Ce type de DU s’inscrit dans une médecine plus humaniste qui inclut davantage le patient dans sa propre prise en charge et qui focalise sur les capacités naturelles de prendre soin de soi », soutient Antoine Lutz.


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