par Marie-Lys Lubrano publié le 18 octobre 2021
Les décrets d’application de la loi, votée fin juin, ont enfin été pris. Fin de l’histoire ? Non : des femmes célibataires et en couple lesbien racontent à quel point elles se heurtent à des refus de la part des services de PMA, qui, débordés, prétextent des limites d’âge inexistantes, invoquent de futurs décrets fantaisistes ou leur refusent l’accès à des listes d’attente.
Après bien des lenteurs, les décrets d’application de la loi ouvrant la procréation médicalement assistée (PMA) à toutes les femmes ont été pris fin septembre. Mais des femmes célibataires et en couple lesbien se voient toujours refuser l’accès à ce droit. Elles ont pourtant fait les choses dans les règles, et appelé un service PMA ou un Centre d’étude et de conservation des ovocytes et du sperme (Cecos) : il faut en effet obtenir l’accord du service hospitalier et s’inscrire sur la liste d’attente du Cecos afin de recevoir un don. Cette attente peut être très longue du fait de la pénurie de donneurs en France. Seulement, aujourd’hui, des dizaines de femmes racontent n’avoir même pas été autorisées à s’inscrire sur cette liste.
Aurore, célibataire de 35 ans, a appelé le service PMA du CHU de Lille le 29 septembre. «La secrétaire m’a demandé si mon conjoint était affilié à la Sécu. Quand j’ai dit que je n’avais pas de conjoint, elle a refusé de me donner un rendez-vous.» Alice, 28 ans, en couple lesbien, a elle aussi essuyé des refus, au Cecos comme au CHU de Lille. Victoria, 28 ans, en couple lesbien, les a appelés le 10 octobre.«Ils m’ont dit qu’ils n’étaient pas prêts et de rappeler en novembre»,raconte-t-elle. Elle a rappelé le 11 octobre en se faisant passer pour un couple hétéro : on lui a donné un rendez-vous. «Nous n’avons pas encore ouvert le planning pour les lesbiennes et les célibataires», confirme, gênée, une gynéco du CHU de Lille.
Charline, 32 ans, en couple lesbien, a contacté plusieurs fois depuis le 30 septembre l’hôpital de Mercy, à Metz, en vain. «Ils disent que les décrets ne sont pas sortis.» Même réponse pour Lydie, début octobre. «Le décret autorise la préservation des ovocytes et non la PMA pour les célibataires ou lesbiennes», prétend la docteure Olieric, gynécologue dans cet hôpital messin. Après consultation avec la direction de l’établissement, elle admet que le décret autorise bien la PMA, et assure que dorénavant on donnera des rendez-vous.
«Il faut du temps pour former le personnel»
Nolwenn, célibataire de 41 ans, a téléphoné le 13 octobre au Cecos de Nantes, qui lui a indiqué ne pas prendre sur liste d’attente les plus de 40 ans. Au service de PMA-Cecos de Rennes, on lui a dit attendre d’abord un «feu vert». Estelle, célibataire de 39 ans, et Lucie, célibataire de 35 ans, ont reçu la même réponse. «Pour l’instant on ne donne de rendez-vous qu’aux couples hétéros», confie une médecin du CHU de Rennes.
Même situation à l’Institut mutualiste Montsouris, à Paris et au CHU de Dijon… Partout, ça bloque. Que se passe-t-il ? «Tous les décrets ne sont pas pris», croit savoir une cheffe de service. «Il manque le décret sur le consentement au don à signer chez le notaire et le décret sur les “bonnes pratiques”, comme la façon dont on choisit le donneur, s’il faudra une enquête sociale pour accorder la PMA aux célibataires…» Contacté, le ministère de la Santé est formel : «Tous les textes nécessaires à l’entrée en vigueur de l’AMP [assistance médicale à la procréation, ndlr] pour toutes ont été publiés.» Le consentement chez le notaire est le même que pour les couples hétéros, aucune enquête sociale n’est prévue et les règles de choix du donneur ne sont pas modifiées. Concernant le «tri» des patientes, le ministère affirme n’avoir donné «aucune consigne de ce type» et qu’«aucune différence de traitement ne sera tolérée».
S’agit-il d’un problème de moyens ? Le ministère assure avoir déjà versé 3,3 millions en avril et juin ; 4 autres millions doivent arriver d’ici la fin de l’année. Seulement, «il faut du temps pour embaucher et former le personnel», confie un médecin à Tenon. Au CHU de Lille, la gynécologue précise que si l’hôpital a reçu l’argent, le service n’a encore rien vu. «On n’a pas les moyens de faire face à ces nouvelles demandes, alors on les refuse.» Pourquoi les hôpitaux n’ont-ils pas reçu cet argent plus tôt ? Plusieurs médecins pointent l’impréparation du gouvernement.
Limite d’âge arbitraire à 40 ans
Il faudra du temps, mais du temps, certaines femmes n’en ont plus. Surtout quand les services imposent des limites d’âge illégales. Au CHU de Besançon, le médecin qui la recevait a rendu ses examens médicaux à lsa, 42 ans, quand elle a annoncé n’avoir pas de conjoint : «Vous êtes trop âgée.» Au CHU de Lyon, comme à l’hôpital Jacques-Monod de Montivilliers, près du Havre, des femmes entre 39 et 41 ans ont été reçues, pour s’entendre dire d’aller à l’étranger. Aux Diaconesses, à Paris, on ne peut pas prendre de rendez-vous si on a 41 ans. «Ce n’est pas normal», admet la direction. A Cochin, la limite d’âge a été arbitrairement fixée à 40 ans. Contacté, le professeur Santulli, de Cochin, affirme ne pas exclure les femmes de plus de 40 ans, prétendant qu’elles «comprennent mal au téléphone».Quand on lui fait remarquer que juste après le vote de la loi, Doctolib bloquait les rendez-vous pour toute patiente ayant fêté ses 40 ans, il affirme que cela concerne le Cecos de Cochin et qu’il ignore tout de ce Cecos…
Or, les femmes peuvent bénéficier de la PMA jusqu’à 45 ans. «Il n’est plus licite que des patientes répondant aux conditions d’âge du décret se voient refuser l’évaluation de leur demande», commente le ministère de la Santé.
La promesse d’Olivier Véran, faite cet été, de donner naissance à un bébé issu de la loi «PMA pour toutes» avant la fin de ce quinquennat, paraît ainsi de plus en plus irréaliste.
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