Publié le : 05/10/2021
Simple, accessible, évitant les déplacements et l’attente… D’un coup d’un seul, la consultation à distance s’est parée de toutes les vertus, s’imposant dans le paysage médical français. Mais à quel prix ?
La crise du Covid, et avec elle la peur d’être contaminé dans les salles d’attente des professionnels de santé, a fait émerger la téléconsultation. De même que les mesures dérogatoires, inimaginables jusqu’alors, décidées par les pouvoirs publics, comme la prise en charge intégrale par l’Assurance maladie de chaque téléconsultation d’un généraliste ou d’un spécialiste, effectuée ou non dans le cadre du parcours de soins coordonnés (cette mesure exceptionnelle a d’ailleurs été reconduite jusqu’au 31 décembre 2021, mais uniquement pour les personnes présentant des symptômes du Covid). Résultat : 4,5 millions d’actes de téléconsultation ont été remboursés lors du premier confinement, en avril 2020, contre une centaine de fois moins deux mois plus tôt (1). Pour autant, ce succès soudain et massif de la téléconsultation ne va pas sans quelques interrogations. Pour commencer, il existe une foule d’acteurs sur ce marché, et il est difficile de s’y retrouver.
UN POSITIONNEMENT QUI S’INSCRIT DANS LE PARCOURS DE SOINS
Parmi les enseignes numériques les plus connues en la matière, on trouve d’abord Doctolib.fr, et dans une moindre mesure, Maiia.com. Leur spécificité est d’avoir proposé aux professionnels de santé une sorte d’agenda intelligent, qui donne la possibilité aux patients de programmer un rendez-vous en ligne avec leur médecin traitant ou un autre praticien, évitant ainsi toute attente auprès des secrétariats médicaux. Durant la crise du Covid, ces plateformes ont rapidement mis à la disposition de leurs clients docteurs des logiciels leur permettant de réaliser des téléconsultations, de partager documents et ordonnances de façon sécurisée, et de recevoir le règlement de leurs honoraires. Côté remboursements, si le parcours de soins est respecté, rien ne change pour les patients par rapport à une consultation en présentiel.
L’IMAGE RASSURANTE D’UNE CLINIQUE VIRTUELLE
On trouve ensuite de nombreux sites de téléconsultation affichant fièrement la possibilité de joindre un professionnel de santé 24 heures sur 24, avec un temps d’attente réduit : Allodocteur.fr, Concilio.com, Hellocare.com, Lemedecin.fr, Livi.fr, Medadom.com, Medaviz.com, Medecindirect.fr, Mesdocteurs.com ou encore Qare.fr, pour ne citer que les principaux. Visuellement, de façon plus ou moins travaillée et donc plus ou moins réussie, ces plateformes veulent donner l’image rassurante d’une clinique virtuelle, composée de généralistes, de spécialistes et parfois même de kinésithérapeutes ou de psychologues. Quoi qu’il en soit, elles ont clairement une vocation commerciale. Presque toutes font de leur simplicité d’accès (via un smartphone, une tablette ou un ordinateur, sans installation préalable d’un logiciel spécifique) et de leur rapidité dans la mise en relation du patient avec un généraliste (ou un spécialiste) des arguments phares. Par exemple, Medadom.com promet une réponse à toute demande de vidéoconsultation « en moins de neuf minutes ». Sans oublier, évidemment, la possibilité de recevoir, à l’issue du rendez-vous à distance, ordonnances ou feuilles de soins en ligne, dans un espace sécurisé préalablement créé.
Sur Qare.fr ou Hellocare.com, les disponibilités immédiates des différents praticiens (généralistes, psychiatres, dermatologues…) sont affichées. De même que leur « fiche signalétique », qui fait office d’élément rassurant, avec leurs nom, prénom, lieu d’exercice, téléphone, honoraires, expertises… Certains acteurs, toutefois, semblent vouloir se démarquer des autres par un langage moins accrocheur : c’est le cas de Lemedecin.fr, qui se définit « comme une plateforme de débordement pour prendre en charge de façon ponctuelle tous les patients », et rejette l’idée d’être « le résultat d’une opportunité commerciale ».
AVANCE DE FRAIS : DES ALLÉGATIONS PAS TOUJOURS VRAIES
Côté remboursements, les informations délivrées sont, hélas, plus floues. En effet, pour trouver une réponse sans ambiguïté, il faut souvent parcourir plusieurs pages web, ou aller dans l’onglet « FAQ » (foire aux questions) lorsqu’il existe. Le site Medadom.com affirme ainsi qu’il n’y a (à la mi-avril 2021) « aucune avance de frais (reste à charge 0 €) pendant toute la période Covid-19 », alors que cela est faux : hors cas de coronavirus supposé ou avéré, les téléconsultations doivent s’inscrire dans le respect du parcours de soins coordonné (2). À défaut, l’intervention de l’Assurance maladie est systématiquement réduite, puisque son taux de remboursement passe de 70 % à 30 %, et celle de l’assureur complémentaire santé l’est aussi (lire sur ce point l’encadré). Résultat : le reste à charge pour le patient est nettement plus important. Seules exceptions notables à cette obligation de respect du parcours de soins – qui donnent d’ailleurs lieu à interprétation : les cas d’urgence ; les situations où les personnes n’ont pas désigné de médecin traitant ; celles où ce dernier n’est pas disponible dans un délai compatible avec leur état de santé ; celles où le patient est « territorialement » éloigné des offreurs de soins.
ZÉRO RESTE À CHARGE SUR CERTAINES PLATEFORMES
À ce manque de clarté ou à ces « défauts d’information sur les tarifs et les honoraires », comme la Direction générale de concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) les a pointés dans son rapport 2020, il faut ajouter, pour quelques sites, des messages spécifiques. À y regarder de plus près, on peut lire en effet que la téléconsultation est prise en charge sans avance de frais ni reste à charge, « via votre complémentaire santé » (Mesdocteurs.com) ou « grâce à votre couverture mutuelle ou votre entreprise » (Medaviz.com). Est-ce vraiment possible ? Oui, et cela mérite un petit éclairage. Afin de sortir du cadre très réglementé du contrat santé responsable et de se distinguer les uns des autres pour séduire leurs futurs clients, les assureurs sont en recherche permanente d’éléments commerciaux différenciateurs.
Or, en 2018, la réglementation sur la télémédecine a été assouplie. Des partenariats se sont concrétisés et certains acteurs vont désormais plus loin. Mesdocteurs.com est ainsi devenue une filiale du groupe mutualiste VYV (qui réunit, entre autres, les enseignes MGEN ou Harmonie mutuelle), ce qui explique l’apparition de propositions de téléconsultation, d’abord dans les contrats santé collectifs d’entreprise, puis dans les individuels. Aujourd’hui, un assuré avec une offre Swiss Life peut bénéficier d’un nombre illimité de téléconsultations sur Medecindirect.fr. Pareil chez AXA France, via Bonjourdocteur.com (plateforme dédiée et propriété d’AXA assistance). Au Crédit agricole assurances, en revanche, seules 10 téléconsultations par an sont possibles. « Ce service n’a été mis en œuvre qu’en juillet 2020, car les chiffres dont nous disposions montraient qu’il était peu utilisé, avant que tout ne bascule au moment du premier confinement », explique Lionel Feraud, directeur du marché des particuliers. À la Macif, le nombre de rendez-vous médicaux ne peut pas, quant à lui, dépasser cinq, pris sur Mesdocteurs.com.
IMPACT D’UNE UTILISATION À GRANDE ÉCHELLE
À ces différences de forfaits s’ajoute la façon dont les assureurs mettent en avant cette prestation de téléconsultation : certains en font vraiment beaucoup, d’autres bien moins, préférant qu’elle reste cantonnée « à un formidable argument commercial », selon le Dr Alexandre Maisonneuve, directeur médical de Qare.fr. En effet, s’il venait à être trop utilisé, ce service coûterait davantage à l’assureur, ce qui aurait pour impact évident d’augmenter les cotisations réclamées aux assurés, puisque la facturation est fonction du taux d’incidence. « Le coût va ainsi de quelques dizaines de centimes d’euros par an et par personne, lorsque le recours à la téléconsultation reste faible, jusqu’à un peu moins de 1 € quand cet usage est élevé », reconnaît François Lescure, président de Teladoc Health (qui possède la marque Medecindirect.fr).
On peut également s’inquiéter des dérives potentielles de la téléconsultation. Un récent rapport de l’ordre des médecins (3) est sévère à cet égard, pointant, entre autres, un « bien consommable que le patient peut “acquérir” sur le Net et non plus un acte médical proposé par son médecin de proximité ». Car même si la téléconsultation représente un progrès indéniable, elle interroge aussi sur de multiples points : médecin inconnu, risque de perte du contact humain, de diagnostic incomplet, voire de fuites des données personnelles… Une chose est sûre : à la faveur de la crise sanitaire, la téléconsultation s’est inscrite comme un élément à part entière de l’offre de soins. Parallèlement, elle a aussi entamé sa mue, et ce n’est donc pas par hasard si des consolidations entre acteurs de ce secteur sont en cours. Reste à savoir si les assureurs vont ou non continuer à prendre en charge cet acte de télémédecine dès le premier euro, ou s’ils vont préférer, à terme, réinscrire cette proposition dans le parcours de soins coordonnés, ce qui pourrait, là encore, changer la donne.
L’Assurance maladie ne rembourse pas tout
Pour une consultation avec un généraliste de secteur 1, l’Assurance maladie financera 16,50 € (soit 70 % du tarif conventionnel de 25 €, déduction faite de la participation forfaitaire de 1 €), et l’assureur santé, 7,50 € dans le cadre d’un contrat responsable. Pour un rendez-vous avec un spécialiste en accès direct (psychiatre, ophtalmologiste…) ou au sein du parcours de soins coordonnés, le remboursement de l’Assurance maladie est de 70 % sur la base d’un tarif de convention variable selon les spécialités (par exemple, 46,70 € pour un psychiatre de secteur 1, sans aucun dépassement d’honoraires autorisé ; 51 € pour un cardiologue également de secteur 1), et celui de l’assureur santé correspond au ticket modérateur.
La télémédecine, c’est quoi ?
Dès lors qu’il y a utilisation de technologies numériques pour des soins, on parle de télémédecine. D’un point de vue juridique, cette terminologie recouvre cinq actes définis par la réglementation (décret n° 2010-1229 du 19-10-2010) :
- téléconsultation ;
- télésurveillance médicale (le professionnel de santé interprète à distance des données cliniques ou biologiques nécessaires au suivi d’un patient) ;
- téléassistance médicale (un professionnel de santé en assiste un autre à distance, au cours d’un acte médical ou chirurgical) ;
- téléexpertise (un professionnel de santé sollicite à distance l’avis d’un ou de plusieurs confrères en raison de leur formation ou de leurs compétences particulières pour déterminer une stratégie médicale – cf. la plateforme Omnidoc.fr) ;
- régulation (réponse médicale de première intention apportée par le Samu).
Pourquoi pas un deuxième avis médical ?
Toute personne qui le souhaite peut recourir à la téléconsultation d’un spécialiste pour confirmer ou, au contraire, retarder ou s’opposer à une décision médicale importante (traitement médicamenteux lourd, opération…). Cela à une seule condition : accepter de transmettre son dossier médical complet (avec comptes rendus d’examens, bilans, radios…). Certaines plateformes, comme Omnidoc.fr, communiquent sur ce point de façon très explicite. Pour sa part, le site Deuxiemeavis.fr va plus loin : il s’est positionné sur ce créneau spécifique et vante même les mérites d’un « service gratuit » (dans le cadre de contrats santé ou prévoyance) grâce auquel il est désormais possible d’obtenir l’avis d’un médecin expert « en moins de sept jours »… Qui dit mieux ?
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