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vendredi 29 octobre 2021

Recherche L’éco-anxiété au cœur d’études internationales pour comprendre la détresse climatique des jeunes

par Margaux Lacroux.  publié le 28 octobre 2021

De plus en plus de chercheurs étudient comment les bouleversements climatiques pèsent sur la santé mentale de la nouvelle génération. Des connaissances indispensables pour aider à mieux prévenir et gérer cette anxiété.

«J’ai une peur très importante du monde de demain et de la situation dans laquelle on est en train de vivre climatiquement parlant», confie Olive. A 17 ans, elle est loin d’être la seule. Mi-septembre, un chiffre est venu éclairer et légitimer ce ressenti : près de 60 % des jeunes souffriraient de détresse liée aux crises climatiques et écologiques, appelée éco-anxiété. La conclusion est tirée de la plus grande étude jamais réalisée par des spécialistes de la santé mentale afin de mesurer l’ampleur de ce nouveau mal, plus précisément chez les 16-25 ans. Un travail robuste d’analyse basé sur un formulaire rempli par 10 000 jeunes dans dix pays différents. La publication de ces résultats marque un tournant dans la recherche sur l’éco-anxiété, un sujet encore peu étudié, surtout à grande échelle.

Grâce à la publication de mi-septembre, on sait que plus de 50 % de la nouvelle génération se sent triste, anxieuse, en colère, impuissante et coupable face à la menace environnementale. Cette détresse est amplifiée par le sentiment des jeunes d’être ignorés et abandonnés par des gouvernements dont les actions ne leur semblent pas à la hauteur des enjeux. Le pessimisme dominant concerne l’avenir : trois quarts des sondés pensent que le futur est effrayant et plus de la moitié estime que l’humanité est condamnée. En conséquence, pas moins de 39 % hésitent même à faire des enfants. Dans ce travail piloté par Caroline Hickman, chercheuse en psychologie climatique, une précision s’impose : «Bien que douloureuse et pénible, l’anxiété climatique est rationnelle et n’implique pas de maladie mentale.»

«Réaction naturelle et légitime»

Cette forme stress pré-traumatique est «une réaction naturelle et légitime», renchérit la docteure Laelia Benoit, pédopsychiatre : «Le rôle des psychiatres et psychologues n’est pas ici de soigner des individus mais plutôt de faire de l’éducation.» Chercheuse associée à l’Inserm, elle s’est expatriée pour mener son étude transnationale «Earth Emotions» à l’université américaine de Yale : au cœur de ses recherches, une tranche d’âge encore plus jeune, les 6-17 ans, en France, aux Etats-Unis et au Brésil. Son travail, qui a débuté au printemps et va durer deux ans, vise à mieux comprendre les émotions et les actions des jeunes face au changement climatique. Cette fois, la méthode n’est pas quantitative (donc pas de chiffres à la clé) mais qualitative.

Pour l’heure, la docteure Benoit a mené des entretiens poussés avec une soixantaine d’enfants et ados, ce qui lui a permis de détailler comment les émotions évoluent et se cumulent au fil du temps. Chez les moins de 10 ans, la tristesse et l’anxiété concernant des choses concrètes apparaissent en premier. «C’est surtout l’idée que les animaux qu’ils aiment vont mourir», résume la pédopsychiatre. L’acquisition de la pensée abstraite amène les jeunes à comprendre de mieux en mieux les enjeux à grande échelle : ils regrettent le fait que la planète soit abîmée. Pour les 12 ans et plus, peut s’ajouter la colère, provoquée «par l’indifférence des autres, soit des ados de leur âge, soit des adultes». Et à partir de 14 ans, les sentiments se rapprochent de ceux ressentis par les adultes, avec la honte de ne pas faire assez.

En parler et agir

Autre constat intéressant : moins le changement climatique est abordé tôt en famille, plus la colère sera exacerbée plus tard. Eviter le sujet pour épargner les enfants n’est donc pas le bon réflexe. «Comme la sexualité, c’est un sujet tabou. Il ne suffit pas de faire des écogestes en se disant que les enfants vont copier. Il faut leur expliquer le contexte. Sinon quand les enfants deviennent ados, ils s’étonnent que personne ne leur ait parlé du changement climatique en dehors de l’école. Ils concluent que ça n’intéresse pas leurs parents et ils se sentent seuls avec ce problème-là. Cela génère plus d’anxiété et de colère», développe Laelia Benoit.

A tous les âges, le sentiment d’impuissance est présent si l’on ne passe pas à l’action. Les plus petits peuvent contribuer à l’effort collectif au travers «d’activités à leur échelle telles que ramasser des déchets, planter un arbre, faire du compost, donner ou échanger les vêtements…», propose la docteure Benoit. Les ados, eux, ont besoin de porter des initiatives, souvent dans leur établissement scolaire. D’où la nécessité de valoriser et d’encourager ceux qui font aboutir des projets collectifs.

Selon les pays, les choix individuels varient cependant en fonction de la culture du pays. Aux Etats-Unis, les jeunes deviennent plus facilement végans, alimentation moins soumise aux moqueries qu’en France. En revanche, là-bas, se déplacer à vélo ou en transports en commun est beaucoup moins prisé que dans l’Hexagone, ce qui s’explique en partie par des réseaux quasi inexistants dans les grandes métropoles américaines. Les ados américains sont donc encore très attachés à la voiture, signe de richesse, et appréhendent de transpirer à vélo en dehors des cours de sport. Globalement, insistent les auteurs de l’étude sur la santé mentale des 16-25 ans, les gouvernements devraient avoir «une plus grande réactivité à l’égard des enfants et des préoccupations des jeunes». Et, évidemment, «des mesures immédiates sur le changement climatique».


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