par Elise Viniacourt publié le 23 octobre 2021
Sous la lumière blafarde de néons d’entreprise, deux hommes d’une trentaine d’années s’affairent, isolés dans leur bureau. Piles de livres et câbles électriques, entre eux ne trône qu’un seul ordinateur. Masahiro Hara et Takayuki Nagaya ont bien tenté de négocier pour en avoir deux mais, à la tête de Denso Wave, l’entreprise de production de pièces automobiles pour laquelle ils bossent, la direction s’est montrée intransigeante : pas de budget pour leur projet. La faute à l’explosion de la bulle spéculative japonaise qui, en cette année 1992, n’incite plus trop les patrons du pays à investir dans l’innovation. Plutôt ironique pour une invention qui, des années plus tard, se retrouve à tous les coins de rue.
Car ce que les deux ingénieurs mijotent, c’est le QR code, ou quick response code. Aujourd’hui, popularisé par la crise sanitaire, ce carré fait de noir et de blanc stocke les informations des vaccinés contre le Covid-19, fournit un lien renvoyant vers le menu dans les restaurants ou indique la provenance de certains produits au supermarché. Inimaginable pour cette création qui était perçue comme superficielle en France il y a quelques années encore. Avec quelques cheveux blancs en plus, Masahiro Hara raconte désormais volontiers l’histoire de cette invention, sur laquelle lui-même ne misait pas forcément : «Je pensais surtout à une utilisation professionnelle quand je l’ai créée», précise, un sourire aux lèvres, le Japonais, à Libération.
Loin d’imaginer que ce qu’ils sont en train de mettre au point servira un jour à certains de tatouage, Masahiro Hara et Takayuki Nagaya tentent alors surtout d’alléger (et d’accélérer) le travail des ouvriers dans les usines automobiles. Comme l’explique l’ingénieur, à l’époque, «toute la chaîne de production des voitures est gérée par des codes-barres». Par une alternance de traits, ces derniers stockent les informations d’un produit, comme son prix. Un simple scan suffit alors à les révéler et les numériser. Leur invention en 1949 visait à diminuer les problèmes de poignets des caissiers, alors forcés de tout reporter à l’écrit.
Sorte de super code-barres
Dans les années 90, de plus en plus d’informations doivent être associées aux pièces automobiles et les codes-barres ont une limite indépassable : leur taille. Seule une vingtaine de caractères alphanumériques (chiffres et lettres) y est stockable. Pour pallier, les emballages de pièces se couvrent donc d’une dizaine de codes-barres pour donner le maximum de données. Ce qui en fait autant à scanner pour les travailleurs.
Alors Masahiro Hara et son collègue réfléchissent. Comment créer une sorte de super code-barres, dans lequel tout rentrerait ? A ce moment, la passion de l’ingénieur pour le go, jeu de société d’origine chinoise, faisant intervenir des pions blancs et noirs sur un quadrillage, l’inspire. «Je me suis très vite aperçu qu’une structure en deux dimensions et non une comme le code-barres permettrait d’inclure plus d’informations», éclaire-t-il, en japonais, puisqu’il ne s’est jamais mis à l’anglais. Plus, c’est peu dire puisque les QR codes concentrent jusqu’à 4 296 caractères alphanumériques, soit 200 fois plus que les codes-barres.
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