par Alexandra Pichard. publié le 28 octobre 2021
publié le 28 octobre 2021 à 7h00
Carole Damiani, 61 ans, est docteure en psychologie et présidente de l’association Paris Aide aux victimes. Depuis trente ans, elle accompagne des parties civiles touchées par le terrorisme. Elle suit des victimes des attentats du 13 Novembre depuis six ans. Pendant ce procès, elle coordonne une cellule psychologique à quelques pas de la salle d’audience. Pour Libération, elle raconte ses neuf mois d’audience.
«Après presque deux mois de témoignages des parties civiles, il y a eu près de 500 entretiens avec la cellule psychologique mise à disposition des victimes. La preuve que le dispositif répond à un réel besoin. Certaines personnes avaient besoin de faire des pauses, étaient envahies par les émotions, revivaient ce qu’elles avaient entendu. Certaines parties civiles ont eu des entretiens réguliers avec les psychologues. La force des groupes m’a marquée : beaucoup de victimes sont venues avec leurs proches, leur famille et sont très entourées. En tant que psychologue, on intervient en deuxième ligne si besoin.
«Ceux qui étaient sur les terrasses, au Stade de France, au Bataclan, avaient besoin de reconstituer un puzzle, d’avoir l’ensemble des témoignages pour avoir une meilleure représentation de ce qu’il s’est passé. A la fin de ces dépositions, il ressort que tout est quasiment mis en place désormais et c’est très satisfaisant pour eux. Les endeuillés, eux, avaient besoin de parler de ceux qui ne sont plus là, de nous dire qui ils étaient. Ils avaient besoin que les absents soient présents. Ils l’ont été par leur parole des familles, par les photos qu’elles ont montrées. Ces absents, on les a connus cette fois-ci, on les a vus vivre pour un moment. Pour les endeuillés, c’est important qu’il y ait une humanité derrière ces noms. Dans les entretiens psychologiques, beaucoup ont confié se sentir allégés, même si le traumatisme est toujours présent et l’absence toujours aussi difficile.
«Pourtant, certaines victimes ont parlé de “rouleau compresseur”tellement elles se sentaient submergées par le nombre des témoignages. Plusieurs centaines – environ une quinzaine par jour –, ce n’est pas rien. C’était très lourd pour certaines parties civiles. Elles ont été tiraillées entre le fait de ne pas venir car elles n’en pouvaient plus et le fait de se sentir coupable de ne pas venir car elles voulaient soutenir les autres. Malgré tout, si parler et écouter le témoignage des autres ravive le traumatisme, elles l’ont globalement vécu comme un mal nécessaire.
«On a vu des douleurs très fortes exprimées à la barre, parce que c’est le lieu pour les exposer, c’est le moment de les dire. Cela ne veut pas dire qu’entre-temps, les traumatismes ne se sont pas apaisés. C’est dans le cadre du témoignage que toute la souffrance ressort, mais quand on a eu des entretiens avec ces personnes un autre jour que celui de leur déposition, on a vu que du chemin avait quand même été parcouru.
«Il y a eu des émotions qui sont revenues souvent à la barre. Comme la culpabilité, la honte, qui font partie inhérente du trauma et du deuil. Tous ne culpabilisent pas pour les mêmes raisons cependant, et notre travail en tant que psychologue a été de trouver les causes profondes de ces culpabilités. Certaines appartiennent à tous et sont communes aux victimes, d’autres cachent des histoires plus personnelles et c’est ce qu’il convient de faire ressortir.
«On a vu de la colère aussi. Certains ont dit qu’ils s’étaient retenus, d’autres ont même dit en entretien psy qu’ils avaient peur de ne pas réussir à le faire à la barre. Il y a une juste colère qui s’exprime. Si elle ne se transforme pas en passage à l’acte ou en une haine envers tout, elle peut tout à fait s’entendre. L’important est ensuite de savoir ce qu’on peut faire de cette colère, comment elle peut servir de moteur à certaines victimes pour former des jeunes, faire de la sensibilisation dans les écoles par exemple. Si la sollicitation de la cellule psychologique a été constante, on s’attend désormais, avec la fin des témoignages de parties civiles et le début des interrogatoires des accusés, à une diminution des sollicitations. Du moins c’est ce qu’on estime.»
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