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jeudi 28 octobre 2021

L’espérance de vie à 48 ans des personnes à la rue, «la conséquence de l’errance»

par Margaret Oheneba  publié le 27 octobre 2021

Le Collectif des morts de la rue a dénombré, en 2020, la mort de 670 personnes «sans chez-soi» ou anciennement SDF. Pour empêcher ces drames, il demande aux autorités de permettre aux sans-abri d’accéder à des offres de logements pérennes.

Vivre à la rue tue toujours. Dans son enquête sur la «mortalité des personnes sans domicile en 2020» publiée ce mercredi, le Collectif des morts de la rue (CMDR) a recensé la mort de 587 personnes «sans chez soi» depuis plusieurs mois (à la rue, en hébergement d’urgence ou dans des lieux non prévus pour cela). En outre, 81 anciens SDF et 2 personnes qui étaient sans abri depuis moins de six semaines sont décédés l’an dernier, selon le CMDR, portant l’estimation totale à au moins 670 morts, contre 659 en 2019.

Un bilan élevé mais qui demeure loin de la réalité, concède le collectif. Bérangère Grisoni, présidente du CMDR, Cécile Rocca, coordinatrice, et Julien Ambard, épidémiologiste, insistent sur le fait que leur décompte «n’est pas exhaustif»«Selon l’étude effectuée en 2014 par des scientifiques extérieurs au CMDR, la réalité se tiendrait autour d’un peu plus de 2 000 décès par an (6 730 personnes sans domicile sont décédées entre 2008 et 2010).»

Pourquoi est-ce si difficile d’avoir des chiffres précis sur les décès des personnes à la rue ?

Julien Ambard : On reste une structure associative avec des moyens associatifs. Il y a également l’enjeu du parcours d’information : les associations qui accompagnent ces personnes peuvent avoir l’information du décès sans forcément partager les données avec d’autres acteurs. Et parmi les personnes SDF, il y en a qui sont très mobiles et donc moins connues des associations. Leur mort peut donc échapper à notre recensement.

Cécile Rocca : Notre décompte se fait au bon vouloir des associations et des médias, grâce auxquels on fait aussi nos recherches. C’est une cueillette d’informations que nous faisons de manière proactive, mais nous n’avons pas les moyens d’être exhaustifs.

De quoi meurent les SDF ?

J.A. : Il y a une proportion élevée de causes de décès que nous n’arrivons pas à définir, comme le montre notre étude. Ce qu’on peut constater c’est que la rue occasionne une certaine violence et un accès difficile à l’hygiène. Il y a aussi un phénomène de consommation [d’alcool et de drogues] pour essayer de pallier les souffrances. C’est un ensemble de causes qui peuvent dégrader l’état de santé des personnes sans domicile.

Où sont mortes les 670 personnes recensées en 2020 par votre collectif ?

J.A. : Les décès recensés sont survenus en majorité en Ile-de-France, mais ça ne veut pas dire que la mortalité des personnes sans domicile n’existe pas ailleurs. Elle est présente mais notre système ne permet pas de l’identifier. En termes de répartition sur les lieux de décès, ça peut être à la rue, en établissement de santé ou dans les structures d’hébergement.

L’épidémie de Covid-19 a-t-elle eu un impact sur le nombre de décès en 2020 ?

J.A. : Nous avons constaté plus de décès sur la période du premier confinement par rapport aux années précédentes. Mais on est pour le moment incapables d’établir un lien avec la pandémie. Sur le reste de l’année 2020, on a un nombre de morts plus faible qu’en 2019.

C.R. : Pendant le premier confinement, quelques sans-domicile nous ont téléphoné, pensant qu’ils allaient mourir parce que tout a été fermé d’un coup. Ils avaient l’impression d’être des survivants et de vivre un cauchemar. Beaucoup de personnes sans domicile ont connu un état de choc. Dans les temps qui ont suivi, les hébergements d’urgence ont été ouverts assez rapidement. Il y a eu énormément de déplacements de SDF en Ile-de-France dans des endroits où ils avaient plus ou moins de repères, où ils connaissaient mal les dispositifs pour se nourrir, où ils n’avaient plus leur réseau de manche et où les associations qui les suivaient ne pouvaient pas forcément les contacter.

D’après votre enquête, en 2020, les personnes à la rue sont mortes à 48 ans en moyenne. Comment l’expliquer ?

J.A. : Cette espérance de vie basse, c’est la conséquence de l’errance, de cette vulnérabilité qui s’exacerbe avec le temps passé à la rue ou en hébergement, avec les difficultés pour se stabiliser et le manque de suivi médical au long cours, etc. Aussi, d’après nos données, il y aurait 24 % de décès de causes externes, violentes.

Concernant les morts de mineurs [115 recensés par le CMDR entre 2012 et 2020, ndlr], les familles qui se retrouvent à la rue sont exposées à une certaine vulnérabilité. Pour les enfants en bas âge, cet impact va être d’autant plus fort. Il y a aussi le cas des femmes enceintes à la rue, qui ont des grossesses plus compliquées en raison de leurs conditions de vie. Et donc potentiellement des enfants qui naissent avec un état de santé déjà dégradé.

Que peuvent faire les autorités publiques face au constat que la rue tue ?

Bérangère Grisoni : Dans un premier temps, il faut empêcher que les personnes arrivent à la rue, avec notamment la question de la prise en charge des jeunes sortant de l’aide sociale à l’enfance (ASE). Elle s’arrête le plus souvent aux alentours de 18 ans. Nous ne ferions pas ça à nos enfants. Il y a les sorties sèches de détention ou d’hôpital psychiatrique. Toutes les fins de prise en charge par les pouvoirs publics sont souvent dramatiques. Il est indispensable de prévenir les expulsions locatives avec des mesures pour maintenir les personnes dans leur logement. Ainsi que développer plus de logements sociaux et très sociaux.

J.A. : Le développement et le renforcement du plan logement est une bonne chose.

C.R. : Les pensions de famille sont bien adaptées aux publics fragiles. Elles permettent une indépendance et un accompagnement vers une vie sociale. Il faudrait également aider les personnes ayant le droit de vivre en Ehpad ou en logement social à sortir des centres d’hébergement complètement engorgés. Cela libérerait de la place pour d’autres personnes. Ce travail a commencé, mais il faut l’intensifier. Les demandeurs d’asile ont également le droit d’être accueillis, ça fait partie de la loi, mais ils sont parfois contraints de vivre à la rue. Nous préconisons également d’arrêter de déplacer sans arrêt les personnes à la rue. Cela empêche le travail des associations et la scolarisation des enfants.


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