par Cassandre Leray publié le 27 octobre 2021
Le constat a beau être alarmant, il n’a rien d’étonnant. Depuis des années déjà, les syndicats le rabâchent : les internes en médecine vont mal, et leur santé mentale ne fait que se dégrader avec les années. Dans l’enquête lancée par l’Intersyndicale nationale des internes (Isni), l’Association nationale des étudiants en médecine de France et l’Intersyndicale nationale autonome représentative des internes de médecine générale, les chiffres dévoilés ce mercredi sont clairs : 39 % des interrogés souffrent de symptômes dépressifs, 75 % de symptômes anxieux, contre 27,7 % et 62,2 % dans la première enquête datant de 2017. «Les problèmes de souffrance au travail des internes sont déjà connus. Mais le plus frappant dans cette enquête, c’est qu’on constate l’ampleur du phénomène et son aggravation dans le temps», note le président de l’Isni, Gaetan Casanova.
La crise sanitaire n’a pas arrangé les choses, bien au contraire. Elle a exacerbé des problématiques déjà présentes. Dans ce contexte de tension majeure, auquel s’ajoutent des années de réduction des moyens accordés au système de santé, les jeunes médecins ont dû encaisser pendant de longs mois.
Plus de 50 heures par semaine
Parmi les facteurs de risque associés à l’épisode dépressif caractérisé, l’enquête pointe sans surprise le temps de travail des internes en médecine, qui dépasse largement les 50 heures pour plus de la moitié des répondants. Depuis 2015, un décret impose pourtant une durée maximale de 48 heures hebdomadaires. Mais une enquête interne de l’Isni, réalisée en 2020, dépeignait une réalité bien différente. Le temps de travail moyen des internes est estimé à 58,4 heures, et certaines spécialités atteignent des sommets : 82 heures en neurochirurgie, 76 en urologie, 74 en chirurgie vasculaire, 69 pour la gynécologie obstétrique ou encore 61 en anesthésie-réanimation.
Au-delà des conséquences dramatiques que cette fatigue peut avoir sur la santé des jeunes médecins, les patients sont eux aussi concernés par cette situation. Epuisés et débordés, de nombreux internes redoutent l’erreur médicale. Pas surprenant, comme le souligne Gaetan Casanova : «Se retrouver au bloc opératoire avec un interne qui n’a pas dormi depuis vingt ou trente-six heures, est-ce que ça vous rassurerait ?»
Hors de question malgré tout d’abandonner les patients. Toutefois, face au manque de médecins dans les hôpitaux, «il faudrait commencer par diminuer la quantité de tâches administratives assignées aux internes et médecins, avance le président de l’Isni. Et surtout, former les directeurs de service au management».
Autre phénomène mis en lumière dans cette enquête : l’exposition aux violences, qu’elles aillent des humiliations au harcèlement, voire jusqu’aux violences sexuelles. Un quart des répondants rapportent d’ailleurs avoir été victimes de ce type de faits. Concernant les violences sexistes et sexuelles, elles ont lieu à l’hôpital dans 76 % des cas. Autre chiffre notable : 60 % des auteurs sont des médecins «thésés», et donc les supérieurs hiérarchiques des internes. Difficile, voire impossible, dans ces conditions, de dénoncer les faits. «Pour lutter contre cela, c’est simple : il faut arrêter de dire qu’on doit laver son linge sale en famille. Ce sont des faits graves, et les auteurs doivent être arrêtés, jugés et condamnés», martèle Gaetan Casanova, qui ne connaît que trop bien l’omerta qui règne dans les hôpitaux.
Lorsqu’il était interne dans un établissement parisien, il se souvient s’être retrouvé à gérer seul un patient atteint d’une péritonite – une inflammation aiguë du péritoine potentiellement mortelle. «Quand j’ai voulu aller poser une question à mon chef, il n’était pas là, il était allé se coucher. J’ai dû me débrouiller tout seul. Dans un monde normal, il aurait été mis à pied le lendemain. Mais quand j’en ai parlé, on m’a dit de ne rien dire car c’était mon supérieur.»
«Inertie et capacité à accepter»
Pour les syndicats à l’origine de cette enquête, il ne s’agit pas seulement de dresser un constat, mais d’être dans la prospective. C’est dans cette optique que plusieurs propositions sont dévoilées afin de secouer le microcosme de l’hôpital. Sanctionner les auteurs de maltraitance ou de violences infligées aux internes, introduire systématiquement des représentants d’étudiants dans les instances universitaires et hospitalières sanctionnant les établissements ou les auteurs de violences, mettre en place une commission nationale pour les étudiants en situation exceptionnelle… La liste est longue.
Face à l’urgence, Gaetan Casanova l’affirme, attendre sagement que les politiques se réveillent n’est pas une option envisageable :«Régler ces problèmes, qui sont le cœur des hôpitaux depuis plus de trente ans, demande d’exhumer des choses terribles, alors les pouvoirs publics ont peur de s’y attaquer. Il faut qu’on accélère le mouvement.»
Au-delà de la prise en charge, bien trop lente, des problèmes par les pouvoirs publics, ce qui inquiète le plus le président de l’Isni, c’est «l’inertie et la capacité à accepter» des étudiants et internes en médecine. La faute à une intériorisation des violences dans un système «élitiste, écrasant et individualiste» : «Les victimes elles-mêmes finissent par penser que c’est normal de pleurer sur son lieu de travail ou de subir des violences et minimisent les faits.»
Parmi les propositions listées dans l’enquête, justement : promouvoir la qualité de vie à travers des actions de formations aux risques psychosociaux à l’adresse des enseignants-référents de stage, des étudiants et des administratifs en lien avec ces derniers. Car pour Gaetan Casanova, la plus grande des urgences, c’est la prise de conscience des premiers concernés : «Si le ras-le-bol était à la hauteur de la situation, tous les internes seraient en grève aujourd’hui.»
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire