par Maïté Darnault, envoyée spéciale à Millery (Rhône) et photos Bruno Amsellem publié le 21 octobre 2021
Après avoir délaissé un BEP de sténodactylo, elle a «multiplié les boulots». «Serveuse, téléprospectrice, factrice – on disait préposée –, vendeuse, ouvrière…» égrène Sylviane Tourre, 58 ans. Puis elle est devenue conductrice-accompagnatrice de personnes handicapées durant onze ans. Celle qui aime «le contact» a voulu pousser son expérience pour «être au plus près», en obtenant ses diplômes d’aide médico-psychologique et d’auxiliaire de vie sociale. Silhouette menue, coupe courte, yeux marron soulignés d’un trait d’eye-liner pailleté et lunettes à fine monture, Sylviane Tourre est plus qu’une technicienne du soin auprès de la dizaine de personnes âgées chez qui elle se rend chaque semaine.
Au-delà de l’entretien du logis et des corps, elle est un bras sûr pour cheminer jusqu’à la boîte aux lettres ou la boulangerie, une oreille qui accueille petits tracas et mélancolie sourde, une présence bienveillante pour partager un café ou une émission de télé. «Faire du domicile, explique-t-elle, c’est un vrai métier, de l’humain, on ne rentre pas chez les gens comme dans une usine.» Depuis 2013, Sylviane Tourre est employée de l’antenne de Millery (Rhône) de l’Aide à domicile en milieu rural (ADMR). Premier réseau français privé associatif de services à la personne, dont les membres dispensent chaque année plus de 100 millions d’heures d’intervention, l’ADMR pâtit d’une pénurie de main-d’œuvre que la crise du Covid a renforcée.
«J’angoisse souvent»
Après l’instauration du pass sanitaire, «certains salariés refusant de se faire vacciner ont été suspendus et les associations ont dû prioriser leurs interventions, ne pouvant plus prendre toutes les demandes des bénéficiaires par manque de personnel», détaille la structure. A ce jour, 70 postes sont à pourvoir à l’ADMR Rhône et Métropole de Lyon, qui emploie 1 834 salariés et 755 bénévoles. La hantise de Sylviane Tourre : la mauvaise chute ou la dégradation subite de l’état de l’un de ses protégés lorsqu’elle est en congés. «J’angoisse souvent quand je pars en vacances, beaucoup de personnes ont peur du changement et préfèrent ne pas avoir de remplaçante, c’est de toute façon compliqué d’en trouver, rappelle-t-elle. Ça m’est arrivé plusieurs fois qu’il y ait des décès pendant mes absences, on ne peut pas ne pas s’attacher même si on sait que c’est dans l’ordre des choses, qu’il faut accepter de ne plus les revoir.»
L’ADMR met à disposition de ses employés un psychologue, et un carnet de liaison permet de communiquer avec les infirmières à domicile et les familles. «Il est important de ne pas être seule en cas de problème», salue Sylviane Tourre. L’auxiliaire de vie sociale avale près de 400 kilomètres chaque mois entre Millery, Grigny, Montagny et Givors, en sillonnant ces 5 kilomètres carrés de campagne au sud de Lyon, où les seniors sont d’anciens agriculteurs, ouvriers ou employés. L’ADMR couvre ses frais de trajet, y compris ceux de son domicile à sa première ou dernière visite. Ce n’est pas le cas de tous les employeurs en France.
«Le personnel manque»
Depuis le 1er octobre, son salaire est passé de 1 386 à près de 1 600 euros net mensuels, après la renégociation des accords de branche, à laquelle le gouvernement a veillé dans la lignée du Ségur de la santé. Une revalorisation bienvenue pour Sylviane Tourre, à quatre ans de la retraite : «J’espère bien que l’âge ne va pas reculer.»Ses journées démarrent à 8 heures et peuvent s’étirer jusqu’à 20 heures, avec «un temps pour déjeuner parfois très serré». Ses semaines comptent trente-cinq à quarante heures, «à cause des remplacements de dernière minute», et peuvent comprendre des week-ends d’astreinte qui donnent droit à un paiement majoré des heures, une prime et des jours de récupération.
Ce vendredi matin, elle commence sa tournée chez Paule Miosotti, 72 ans. Asthmatique et victime d’un AVC l’an passé, cette dame solide au regard clair souffre de vertiges et s’essouffle vite. Ancienne «travailleuse familiale», elle a passé sa vie à aider d’autres femmes à s’occuper de leur intérieur et de leurs enfants. L’aînée brandit fièrement la tablette dont l’a équipée sa caisse de retraite, après l’avoir formée à son maniement. Fan de Pinterest, tendances couture, travaux manuels et cuisine, Paule Miosotti excelle encore dans le tricot et la pâtisserie. Sa spécialité : les rochers coco, dont elle a confié la recette à Sylviane Tourre.
L’auxiliaire de vie passe, elle, son temps libre à s’aérer «dans la nature», en Bretagne si possible, en lisant, en marchant, en s’occupant de ses cinq petits-enfants. Le 5 octobre, elle serait «bien allée manifester» aux côtés des soignants mais, comme «le personnel manque de partout», elle a préféré ne pas quitter son poste. «Les personnes âgées ont besoin de parler, elles nous attendent souvent avec impatience, souligne Sylviane Tourre. Il faut se mettre à leur portée, la priorité, c’est le partage. On est aussi des confidentes, on peut parler de mort mais on n’aborde pas ça tragiquement. Chacun a son histoire, on est là pour les accompagner jusqu’au bout.»
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