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vendredi 29 octobre 2021

Egalité femmes-hommes : les pères nordiques incités à pouponner

Par   Publié le 28 octobre 2021

Dans les pays nordiques, les femmes continuent de prendre la plus grande part des congés parentaux. Une tendance considérée comme un frein à l’égalité en entreprise, et que les gouvernements tentent de corriger.

Jonas Jarl a pris six mois de congé paternité pour son troisième enfant, et huit mois pour ses deux premiers. A Malmö (Suède), en juillet 2015.

Responsable environnement et climat auprès du laboratoire danois Novo Nordisk, Emil Linnet a repris le travail mi-septembre, après quatre mois de congé paternité. Deux semaines plus tard, il s’absentait de nouveau : son fils de 14 mois est tombé malade et, avec sa femme, ils se sont relayés à la maison jusqu’à ce qu’il puisse retourner à la crèche. Rien de plus normal pour le trentenaire, qui se décrit comme « féministe » et explique : « Ma compagne et moi nous partagions les tâches avant d’avoir des enfants. Il n’y a pas de raisons que ça change maintenant. »

Comme d’autres entreprises danoises, Novo Nordisk complète les indemnités versées par l’Etat, pour permettre à ses salariés de partir douze semaines avec 100 % de leur revenu. Emil Linnet assure que même sans, il aurait pris quatre mois de congé parental : « Pour moi, c’était important de passer du temps avec mon bébé. J’ai fait la même chose avec ma fille, qui a 3 ans. » Mais il reconnaît que si le dispositif n’avait pas existé, il aurait « eu des doutes sur l’entreprise » et peut-être même « hésité à y travailler ».

Autour de lui, les hommes – surtout quand ils sont diplômés, avec de hauts salaires et de bons postes – conçoivent de plus en plus le congé paternité comme une évidence. Les Danois, pourtant, ne prennent toujours qu’une petite partie des trente-deux semaines que les couples peuvent se partager (en plus des quatorze semaines réservées à la mère et deux semaines au père après la naissance). En 2019, les pères ne sont restés en moyenne que 34,2 jours à la maison avec leur bébé, contre 280,3 pour les mères.

Système de quotas

C’est pour tenter de réduire le déséquilibre – et parce qu’une directive européenne, votée par le parlement, à Strasbourg, en avril 2019, impose aux Etats membres de réserver deux mois de congé parental aux pères à compter de 2022 – que les partenaires sociaux ont présenté un projet de réforme, le 13 septembre, instaurant l’individualisation des congés. En plus des deux semaines à la naissance de l’enfant, ils proposent que les deux parents aient droit à vingt-deux semaines de congé parental chacun, dont treize qu’ils pourront transférer à l’autre.

La Confédération des employeurs danois (Dansk Arbejdsgiverforening) s’est longtemps opposée à ce système de quotas, avant de changer d’avis. Sa vice-présidente, Pernille Knudsen, explique : « Nous pensions pouvoir transformer les mentalités en faisant de l’information, mais nous avons réalisé que cela ne fonctionnait pas. La preuve : même quand ils peuvent partir avec 100 % de leur salaire, certains pères ne le font pas. » Pour les entreprises, poursuit-elle, c’est un problème : « Elles embauchent des femmes compétentes et celles-ci disparaissent presque un an à chaque maternité, quand les hommes ne sont absents que quelques semaines, ce qui constitue une perte considérable pour les compagnies. »

L’organisation Lederne, qui représente 111 000 cadres au Danemark, aurait voulu aller encore plus loin et instituer un congé non transférable de dix-huit semaines pour chacun des parents, le double de ce que prévoit la réforme : « Toutes les études montrent qu’il s’agit de l’outil le plus efficace dont nous disposons pour atteindre l’égalité à la maison et sur le marché du travail », défend Bodil Nordestgaard Ismiris, la présidente de Lederne. Or le Danemark est à la traîne, constate-t-elle : « Vingt pour cent seulement des cadres sont des femmes, ce qui est nuisible à la compétitivité du pays. »

Dans les pays nordiques, souvent cités comme exemples en matière d’égalité des sexes, le Danemark n’est pas le seul à prendre des mesures pour garantir une répartition plus juste du congé parental. En Islande, depuis le 1er janvier, chacun des parents dispose de six mois, dont quatre mois et demi ne peuvent être cédés à l’autre parent. En Finlande, si la réforme présentée par le gouvernement de centre-gauche en septembre est adoptée au Parlement, les parents auront droit à cent soixante jours de congé chacun, dont soixante-trois seulement peuvent être transférés à l’autre.

En 1993, la Norvège avait été le premier pays au monde à accorder quatre semaines de congé parental au père, devenues quinze semaines aujourd’hui. La Suède a suivi, deux ans plus tard, en instaurant un premier « pappamanad » – « mois du papa » –, puis un second en 2002, et un troisième en 2016. Trois mois sont également réservés à la mère, tandis que les parents peuvent se partager les trois cents jours restants.

« Moment critique de la carrière »

Si les systèmes varient en fonction des pays, ils ont un point commun : « Quand les congés parentaux ont été instaurés dans les années 1970, l’objectif était de permettre aux femmes de continuer à travailler après la maternité », constate la sociologue suédoise Ann-Zofie Duvander. Autre mesure mise en place alors : des structures d’accueil de la petite enfance, qui permettent aujourd’hui d’accueillir la majorité des petits Nordiques entre leur premier et leur deuxième anniversaire.

Pari réussi : ces pays affichent les taux d’emploi des femmes les plus élevés en Europe. Les Islandaises arrivent en tête, avec un taux d’emploi de 83,2 % (selon Eurostat), devant les Suédoises (80,2 %), contre 66,5 % pour la moyenne européenne et 68,1 % en France. Les Norvégiennes sont à 76,5 %, les Finlandaises à 74,5 % et les Danoises à 73,9 %.

Mais ces chiffres ne disent pas tout : car si les femmes travaillent, elles gagnent toujours moins que les hommes et occupent moins souvent des postes à responsabilité. Ce n’est pourtant pas le cas quand elles entrent sur le marché du travail. Le fossé se creuse quelques années plus tard, avec la maternité, qui reste encore ce qui peut être de plus préjudiciable pour leur carrière.

« Plus de 80 % des différences de salaires entre les hommes et les femmes peuvent être imputées à la parentalité, ce qui constitue la raison principale des inégalités de genre », constate l’économiste Philip Rosenbaum, professeur adjoint à l’Ecole de commerce de Copenhague. Directrice adjointe de l’organisation patronale danoise Dansk Industri, Mette Fjord Sorensen abonde : « Les femmes ayant des enfants gagnent en moyenne 20 % de moins que celles qui n’en ont pas. »

Le congé maternité est le premier responsable : « Les femmes s’absentent à un moment critique de leur carrière en termes de promotion au sein de l’entreprise », remarque la présidente de Lederne, Bodil Nordestgaard Ismiris. Le problème est d’autant plus important dans les pays nordiques que les congés parentaux sont longs : en Suède, par exemple, le système permet de prendre des congés sans solde pendant les dix-huit premiers mois de l’enfant et de conserver les indemnités jusqu’au douzième anniversaire de l’enfant.

Résultat : selon une enquête réalisée par l’Organisation centrale des employés (Tjänstemännens centralorganisation, TCO), les Suédoises ayant accouché en 2015 se sont absentées en moyenne 14,5 mois durant les deux premières années de leur enfant contre 3,8 mois pour les pères. « Or les hommes ont plus tendance que les femmes à prendre des congés à temps partiel, ce qui leur permet de garder des contacts avec leurs collègues et leur travail, contrairement aux femmes, qui partent à plein temps », note Asa Forsell, chargée des questions d’égalité femmes-hommes à la TCO.

Changements et résistances

Ce qui se passe ensuite est « encore plus problématique » pour l’égalité sur le marché du travail, selon Philip Rosenbaum, qui a compilé des centaines d’études sur le sujet : « Après la maternité, les femmes, bien plus que les hommes, ont tendance à réduire leur temps de travail et se mettre à temps partiel. Elles quittent aussi des emplois exigeants dans le privé pour des postes avec des horaires plus flexibles dans le public, mais souvent moins rémunérés. »

Or les habitudes s’installent souvent pendant les premiers mois de l’enfant, souligne Joa Bergold, responsable des questions d’égalité auprès de la centrale syndicale suédoise LO (Landsorganisationen), qui représente 1,4 million de Suédois et plaide pour réserver la moitié du congé parental aux pères : « Les études montrent que plus les hommes sont impliqués à la maison après la naissance, plus ils ont tendance à adapter leur temps de travail après et à partager les tâches avec la mère. » 

En Islande, où les pères prennent désormais un tiers des congés parentaux, Sigridur Hrund Pétursdottir, présidente de l’Association des femmes chefs d’entreprise, constate déjà des changements : « Il y a vingt ans, quand vous alliez chercher les enfants au sport, il n’y avait que des mamans. Aujourd’hui, les pères sont là. » Et quand les enfants sont malades, « les parents alternent ». Dans les entreprises aussi, c’est devenu une évidence, assure Mme Pétursdottir, qui dirige avec son mari une petite société dans le secteur de la construction : « Deux de nos salariés vont prendre un congé parental cette année. L’un part le minimum de temps, soit quatre mois et demi ; l’autre va prendre six mois. »

Sans la loi, elle est convaincue que les transformations ne seraient pas aussi rapides : « Cela dépendrait encore du bon vouloir des patrons et des normes dans l’entreprise et le secteur d’activité. » Les résistances sont d’ailleurs importantes : au Danemark, un sondage publié fin septembre par l’agence Ritzau révélait que 45 % des personnes interrogées s’opposaient à la réforme proposée par les partenaires sociaux.

L’ancienne ministre (2014-2018) suédoise de l’enfance, des personnes âgées et de l’égalité, la sociale-démocrate Asa Regner – aujourd’hui directrice adjointe du programme ONU femmes – résumait auprès du Monde en 2018 : l’enjeu est de « faire en sorte que l’homme soit considéré par son employeur comme un “risque”, au même titre que les femmes », sachant, ajoutait-elle, que « lui peut avoir des enfants jusqu’à 85 ans ».


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