Le Monde avec AFP Publié le 3 octobre 2021
Le président de la commission indépendante qui enquête sur la pédocriminalité dans l’Eglise depuis presque trois ans précise qu’il s’agit là d’une « estimation minimale ». Les conclusions de son rapport, long de 2 500 pages, seront dévoilées mardi.
Il y a eu « entre 2 900 et 3 200 pédocriminels », hommes – prêtres ou religieux – au sein de l’Eglise catholique en France depuis 1950, a déclaré à l’AFP Jean-Marc Sauvé, le président de la commission qui enquête sur la pédocriminalité dans l’Eglise.
« Il s’agit d’une estimation minimale », fondée sur le recensement et le dépouillement des archives (Eglise, justice, police judiciaire et presse) et sur les témoignages reçus par cette instance, a-t-il ajouté. C’est un chiffre à rapporter à une population générale de 115 000 prêtres ou religieux au total sur cette période de soixante-dix ans. « Les deux tiers sont des prêtres diocésains. Nous avons demandé aux évêques et supérieurs de relayer notre désir d’entendre les abuseurs. Finalement, onze auteurs ont accepté d’être auditionnés », a-t-il ajouté dans les colonnes du JDD ; trente-cinq profils ont aussi été analysés à partir des expertises psychiatriques réalisées par la justice.
S’il ne se prononce pas sur le chiffre avancé de 10 000 victimes potentielles, Jean-Marc Sauvé assure que son rapport fournira « une nouvelle évaluation ».
M. Sauvé a précisé que le parquet avait été saisi vingt-deux fois pour des faits non prescrits mis à jour par les travaux de la commission, et que des évêques et hauts responsables avaient été saisis sur plus de quarante dossiers dans lesquels l’auteur des faits est toujours vivant.
« Cela va être une déflagration »
Pour ses travaux, la Ciase a fait de la parole des victimes « la matrice de son travail », selon M. Sauvé. D’abord avec un appel à témoignages ouvert dix-sept mois, qui a recueilli 6 500 appels ou contacts de victimes ou proches. Puis en procédant à 250 auditions longues ou entretiens de recherche. Elle a aussi approfondi ses recherches avec une plongée dans de nombreuses archives (Eglise, ministères de la justice, et de l’intérieur, presse).
Après deux ans et demi de travaux, la commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Eglise (Ciase) rendra publiquement son rapport à la Conférence des évêques de France (CEF) et à la Conférence des religieux et religieuses de France (Corref), qui l’avaient commandé, dans un rapport qui, annexes comprises, montera finalement à « 2 500 pages », a-t-il précisé. Cela se déroulera lors d’une conférence de presse à laquelle ont été invités des représentants d’associations de victimes.
« Cela va être une déflagration », assure à l’AFP un membre de la Ciase, sous couvert d’anonymat. « Cela va faire l’effet d’une bombe », renchérit Olivier Savignac, du collectif Parler et revivre. « Il ne va pas être complaisant », assure le sociologue Philippe Portier, autre membre de la commission.
Mgr Eric de Moulins-Beaufort, le président de la CEF, a dit craindre que le rapport « ne rende des chiffres considérables, effrayants », lors d’une réunion avec des paroissiens de son diocèse. Sa publication « va être une épreuve de vérité et un moment rude et grave », peut-on aussi lire sur le message diffusé par l’épiscopat en direction des prêtres et des paroisses pour les messes du week-end. Un message qui appelle « à une attitude de vérité et de compassion ».
Le rapport donnera un état des lieux quantitatif du phénomène, et notamment du nombre de victimes. Il comparera la prévalence des violences sexuelles dans l’Eglise à celle identifiée dans d’autres institutions (associations sportives, école…) et dans le cercle familial. La commission évaluera également les « mécanismes, notamment institutionnels et culturels » qui ont pu favoriser la pédocriminalité et listera quarante-cinq propositions.
Le diagnostic fait, la commission doit énumérer 45 propositions qui toucheront à plusieurs domaines : écoute des victimes, prévention, formation des prêtres et religieux, droit canonique, transformation de la gouvernance de l’Eglise… Il préconisera aussi une politique de reconnaissance et de réparation.
La parole des victimes fait bouger les lignes
La Ciase a été créée en 2018, après que de nombreuses révélations ont été faites, et en réponse à la prise de parole de nombreuses victimes défendues par plusieurs associations.
La principale d’entre eux, La Parole libérée, apparaît au grand jour en janvier 2016 en soutenant deux victimes du père Preynat et en reprochant au cardinal Philippe Barbarin, à l’époque son supérieur en tant qu’archevêque de Lyon, de ne pas avoir informé la justice des agissements passés de ce religieux. « En France, La Parole libérée (…) a été pionnière dans l’interpellation de la hiérarchie catholique », souligne la sociologue Céline Béraud dans son livre Le catholicisme français à l’épreuve des scandales sexuels. Le combat de l’association a « permis de faire bouger les lignes », affirme à l’AFP l’un de ses membres, Pierre-Emmanuel Germain-Thill.
D’autres collectifs se créent. Plusieurs victimes témoignent à visage découvert dans un documentaire, « Pédophilie, un silence de cathédrale », diffusé au printemps 2018.
Le pape François publie, le 20 août 2018, une « lettre au peuple de Dieu » dans laquelle il reconnaît la « douleur des victimes » et appelle à la « solidarité » et à l’« engagement » en faveur « d’une culture de la protection et du “jamais plus” à tout type et forme d’abus ». La Conférence des évêques de France accueille la lettre du souverain pontife en se disant « triste et honteuse » de ces « actes atroces » et appelle à poursuivre « sans relâche (…) tout abus ».
Finalement, en novembre 2018, les cent vingt évêques réunis à Lourdes en présence de sept victimes votent la création d’une commission indépendante, une décision à laquelle adhèrent également les instituts et congrégations religieux.
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