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lundi 27 septembre 2021

Sous une dune normande, des traces de pas vieilles de 80 000 ans

Par  Publié le 26 septembre 2021

La plage du Rozel, dans la Manche, livre lors de chaque fouille archéologique estivale de nouvelles empreintes de pieds, témoins du passage de probables jeunes Néandertaliens.

Les découvertes archéologiques sont souvent le fruit du hasard. C’est le cas du site du Rozel, une dune au lieu-dit Le Pou, dans l’ouest du Cotentin. On y a mis au jour quantité de silex taillés et d’os d’animaux ainsi que des foyers. Mais ce qui distingue ce gisement et lui donne un intérêt exceptionnel, c’est la découverte depuis 2012 de 2 200 empreintes de pieds d’hommes préhistoriques et de 35 autres de mains, conservées dans le sable durci.

Avant cette découverte, on n’avait recensé pour tout le paléolithique moyen (de − 300 000 à − 40 000) que neuf empreintes de pieds réparties sur trois sites : Vartop (Roumanie), Theopetra (Grèce) et Biache-Saint-Vaast (Pas-de-Calais). Depuis, on en aurait découvert une centaine à Matalascanas, dans le sud de l’Espagne, dont l’étude est en cours.

De son côté, Le Rozel livre constamment de nouvelles traces. Cette année, en juin et juillet, les équipes d’archéologues qui se sont succédé sur le site, sous la direction de Dominique Cliquet, spécialiste du paléolithique ancien et moyen, conservateur du service régional d’archéologie de Caen, coordinateur du projet, en ont relevé 200, soit autant que lors de la campagne 2020, du 1er juillet au 31 août. C’est dire l’importance de ce site comparable, dans son domaine, aux grottes de Lascaux ou de Cosquer.

Fouille du sable dunaire sur le site du Rozel (Manche), le 30 juillet 2021.

Tout a commencé en 1967. Un technicien travaillant dans le nucléaire, Yves Roupin, prospecteur bénévole, signale la découverte du site à la direction des antiquités préhistoriques de Normandie. Deux opérations, un sondage et une brève fouille, menées en 1969 et en 1970-1971 par Frédéric Scuvée, révèlent la richesse de ce site qui s’inscrit dans une dune du début la dernière époque glaciaire, le weichselien (de − 115 000 à − 11 700).

Entre 2006 et 2012, environ 1 000 mètres carrés du site disparaissent sous les effets de l’érosion. Un plan de fouilles pluriannuel est alors engagé avec Dominique Cliquet. Dès 2012, après avoir enlevé 10 000 m3 de sédiments pour atteindre les niveaux archéologiques, on découvre cinq empreintes de pieds, beaucoup d’autres suivront, et un an plus tard ce sont celles de mains conservées dans le sable durci, une première mondiale. Ces traces sont particulièrement émouvantes car, plus que toutes autres, en prise directe avec la vie quotidienne de nos très lointains ancêtres. Ainsi on a retrouvé l’empreinte d’une main d’enfant, qui a dû tomber puis se relever, et d’un pied de 8 cm, probablement un bébé de 8 mois. A cela pourrait très bien s’ajouter des traces de fesses d’un autre tout-petit. Mais là, il faudra patienter pour avoir la réponse.

Découvrir ces traces n’est pas chose aisée. « Il est difficile de lire dans le sable. Certains volontaires peuvent ne rien voir en quinze jours [la durée moyenne des stages sur le site] et d’autres trouver tout de suite », constate Marie-Anne Julien, ichnologue et spécialiste de taphonomie, la manière dont évoluent les sols et les vestiges entre le moment de leur occupation et leur remise au jour. C’est le cas de Jean Guériel, que tous appellent Petit Jean, un robuste retraité du BTP, habitué des lieux depuis les premières fouilles.

Chaque empreinte, d’une extrême friabilité, fait l’objet d’une documentation détaillée et d’une étude approfondie. Stabilisée avec un durcisseur, elle est géolocalisée avec son orientation, enregistrée en photogrammétrie, ce qui permet d’accentuer les profondeurs et les détails.

Une empreinte de Néandertal découverte sur le site archéologique du Rozel (Manche).

A ce jour, plus de 800 traces ont été analysées. Ces empreintes s’apparentent à des films. « On suit l’individu dans l’espace. Ces traces de pieds et de mains, replacées dans leur contexte, nous permettent de faire de la paléo-ethnographie », explique le conservateur. Elles nous apprennent, entre autres, que nous avons affaire à des groupes de dix à quinze personnes mais, curieusement, ceux-ci auraient été constitués de 80 % d’enfants, ce qui laisse Dominique Cliquet dubitatif. En effet, cette hypothèse s’appuie sur le nombre de traces recensées. Or, les enfants effectuent davantage de pas qu’un adulte, ne serait-ce que pour parcourir la même distance. Aussi va-t-il organiser une randonnée en famille avec enfants et petits-enfants équipés de podomètres.

Cerf, aurochs, cheval et morse

Le Rozel n’est pas qu’un simple lieu de passage. Site de boucherie et non d’habitat, il nous livre un matériel osseux exceptionnel (les fouilleurs récupèrent toutes les traces de débitage jusqu’à 0,5 mm) qui nous éclaire sur certaines habitudes des anciens occupants. Le cerf, l’aurochs et le cheval y sont dominants, viennent ensuite le chevreuil et le rhinocéros de prairie. Curieusement, on n’a retrouvé qu’une mandibule de morse, le seul élément marin attesté, alors que la mer, plus basse qu’aujourd’hui, n’est qu’à 2 ou 2,5 km. La viande était cuite sur des pierres plates ou fumée pour la conservation. Les plus gros animaux étaient apportés par quartiers, contrairement aux autres comme un poulain retrouvé entier. Les hommes n’étaient présents sur le site que de la mi-automne au début du printemps. Après leur départ, des animaux prenaient le relais, comme le prouvent des empreintes de lions des cavernes, de loups, de sangliers, de blaireaux, de chats sauvages et de lynx.

Au paléolithique moyen, la mer était éloignée de 2 à 2,5 km. Sur le site du Rozel (Manche), le 30 juillet 2021.

Etonnament, on n’a retrouvé aucun reste humain, pas même une dent qui permettrait de savoir qui est venu là. Une datation des sables par luminescence optique, réalisée en 2000, a confirmé la création de cette dune par le vent entre − 115 000 et − 70 000, avec une principale période d’occupation aux environs de − 80 000. Tout laisse penser qu’elle fut fréquentée par les Néandertaliens mais en l’absence d’indices, le responsable des fouilles se refuse à toute affirmation. « Quand je ne sais pas, je ne sais pas. Le site a pu être également visité par Homo sapiens. Cette dune est un livre dont chaque niveau de sable est une page », et aucune n’est complète. Le Rozel nous réserve encore bien des surprises.

Les silex taillés selon une technique originale (qui s’apparente à celle qu’utilisera l’homme moderne au paléolithique supérieur), la récupération de plumes d’oiseaux qui laissent soupçonner qu’elles étaient utilisées pour des parures et non pour des empennages (l’arc n’ayant pas encore été inventé)… ont encore des choses à nous apprendre. Dominique Cliquet n’entend pas agrandir le périmètre d’investigation, laissant à ses successeurs le soin d’écrire la suite de la saga rozélienne.

Prolongement de ses recherches, il travaille sur la création d’un musée en Normandie qui couvrirait toute la période des chasseurs-cueilleurs, entre − 550 000 et − 5 100 : « Il n’y a pas que la Dordogne. Nous avons des sites tout aussi fabuleux. Pour le paléolithique moyen, nous en avons un tous les kilomètres de Barneville-Carteret à Cherbourg puis de Cherbourg à Saint-Vaast-la-Hougue. »


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