Par Sandrine Cabut et Pascale Santi Publié le 27 septembre 2021
Les Assises de la santé mentale et de la psychiatrie se tiennent les 27 et 28 septembre et seront clôturées par Emmanuel Macron. Les professionnels alertent depuis longtemps sur un manque de moyens, rendu encore plus criant par la crise sanitaire.
Présentées par le ministère de la santé comme un « moment historique du débat national », les Assises de la santé mentale et de la psychiatrie, succession de tables rondes et de conférences avec des acteurs du secteur, sur deux jours, apporteront-elles des réponses concrètes aux maux psychiques des Français et à la détresse de ceux qui les soignent ? Annoncées par Emmanuel Macron le 14 janvier, d’abord prévues en juillet, elles se tiennent finalement ces 27 et 28 septembre, en visioconférence, et seront clôturées par le président de la République, une confirmation pour certains de l’attention portée au sujet par l’Elysée.
Révélés en ouverture, les résultats d’une consultation ouverte à tous, qui a recueilli près de 15 000 contributions, confirment de fortes attentes. Du côté des professionnels (dont 10 000 ont répondu), les priorités sont une valorisation des métiers (57 %), de nouveaux moyens humains ou financiers (54 %) et un renforcement des moyens existants (54 %). En revanche, ils ne sont que 10 % à juger prioritaire « une meilleure prise en compte des droits des personnes ayant des ou un handicap psychique ». Quant au grand public, une part de 60 % estime être mal informée sur l’accès aux soins et leur organisation.
Le contexte est d’autant plus périlleux que la pandémie de Covid-19, avec ses effets délétères sur la santé mentale de la population, a aggravé un état des lieux déjà critique.
Alors que les troubles psychiques (dépression, schizophrénie, troubles anxieux, addictions…) concernent des millions de Français et représentent le premier poste de dépenses du régime général de l’Assurance-maladie par pathologie, les rapports et tribunes s’accumulent depuis des années pour dénoncer une situation intenable, sur fond toutefois de fortes disparités sur le territoire. « Les conditions de travail et donc les conditions de soins n’ont cessé de se dégrader, engendrant de la souffrance pour les malades, leurs proches et les équipes médicales », indiquait déjà au Monde Pierre-Michel Llorca, chef de service au CHU de Clermont-Ferrand, en septembre 2018.
« On ne va pas dans le mur, nous sommes déjà dedans », résume désormais le psychiatre Antoine Pelissolo dans un texte coécrit avec le député Boris Vallaud (Parti socialiste), paru dans Le Mondele 6 septembre. « Comme il y eut des plans présidentiels très utiles pour le cancer ou la maladie d’Alzheimer, il est donc aujourd’hui urgent de faire de la santé mentale et de la psychiatrie une grande cause du prochain quinquennat », expliquent-ils.
La pédopsychiatrie, particulièrement sinistrée
La capacité d’accueil en psychiatrie dans les hôpitaux publics a chuté de 13 % entre 2013 et 2019, au profit du secteur privé. Les délais pour un premier rendez-vous dans les centres médico-psychologiques, premier maillon de prise en charge dans le secteur public, peuvent dépasser un an, notamment en pédopsychiatrie, particulièrement sinistrée. Ces derniers mois, certains jeunes ne trouvent pas de lit lorsqu’ils arrivent en urgence pour troubles anxieux et un fort risque suicidaire, alors que ces situations ont augmenté avec la pandémie.
« On se focalise toujours sur la question des urgences et la pénurie de lits en raison de situations critiques, et c’est dramatique, mais la psychiatrie devrait être là pour empêcher l’hospitalisation, prévenir les tentatives de suicide chez l’enfant, c’est une discipline de prévention, souligne le professeur Olivier Bonnot, chef du service universitaire de pédopsychiatrie du CHU de Nantes. Pour cela, il est nécessaire de renforcer l’attractivité, réorganiser les soins avec ambition, et distribuer les moyens. »
Les deux jours d’Assises et les annonces attendues d’Emmanuel Macron pourront-ils éclaircir l’horizon ? Pour le professeur de psychiatrie et d’addictologie Michel Lejoyeux, qui préside la Commission nationale de la psychiatrie, lancée en janvier pour la préparation de ces journées, « ces Assises sont importantes mais ne régleront évidemment pas à elles seules la crise majeure de [leur]discipline ». Le spécialiste espère toutefois « l’annonce de mesures structurantes et une reconnaissance, avec l’inscription de la psychiatrie et de la santé mentale comme “priorité nationale” ».
Parmi les urgences, le professeur Lejoyeux pointe la démographie en berne des professionnels et en particulier des psychiatres, et les tensions pour l’accès aux soins de santé mentale. « Face aux besoins considérables, la priorité n’est pas de mettre toute l’organisation par terre mais de renforcer l’existant. Pour sortir des prophéties autoréalisatrices, on doit trouver une attractivité pour les jeunes », insiste-t-il. Le manque d’appétence pour la psychiatrie s’est encore confirmé cette année. Au terme des épreuves classantes nationales, où les médecins en formation choisissent leur spécialité, 71 postes de psychiatrie (soit 13 % des postes proposés) n’ont pas trouvé preneur.
La crainte d’une occasion manquée
Nombre de professionnels, de familles, de patients restent dubitatifs sur l’issue de ces Assises. En lisant dans l’introduction du programme que « ce rendez-vous ambitionne de dresser un état des lieux partagé », le docteur Nicolas Rainteau a bondi. « Les intervenants et les thématiques sont déjà bien connus. Ce sont les mêmes qu’aux différents congrès. Peur de ne rien voir de concret »,s’est inquiété dans un tweet le jeune psychiatre, responsable du centre de rétablissement et de réhabilitation (C2R) Jean-Minvielle,à Montpellier, une structure d’accompagnement de jeunes avec une schizophrénie qui bouscule les codes.
« L’état des lieux, tout le monde le connaît. Le délégué ministériel qui a été nommé en 2019 [le psychiatre Frank Bellivier] l’a fait, sans compter les nombreux rapports ces dernières années, pointe le docteur Rainteau, médecin de terrain. Parler des outils de soins ou d’accompagnement, c’est bien, mais pourquoi n’y a-t-il jamais de discussion sur au service de quoi on met ces outils ? Je crains qu’une fois de plus on se contente de survoler les sujets, sans résoudre les questions concrètes telles qu’elles se posent à nous, en bout de chaîne : comment on accompagne le retour à l’emploi des patients, pourquoi des projets innovants ne trouvent pas d’appui au niveau des mairies, régions, agences régionales de santé… ? » Selon lui, ce n’est pas qu’une question de moyens financiers. « Des moyens il y en a, mais c’est tout un système à repenser », estime-t-il.
« Nous sommes étonnés que seul le point de vue de l’hôpital soit présenté, alors que l’une des problématiques concerne la santé des étudiants qui souffrent du contexte sanitaire et nécessite des approches décloisonnées », déplore de son côté Nathalie Latour, déléguée générale de la Fédération Addiction. Elle craint une occasion manquée, à l’instar d’autres structures, telle l’Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés sanitaires et sociaux (Uniopss), qui avaient dénoncé en juin l’absence de concertation.
« Cercle des initiés habituels »
Beaucoup d’acteurs, notamment associatifs, regrettent une orientation surtout sanitaire et l’absence des débats des acteurs de l’accompagnement social et médico-social. « Les personnes connaissant des troubles psychiatriques ont besoin tout autant de soins médicaux que de soutiens et d’accompagnements pour un accès à la vie sociale, à un logement autonome et à l’emploi », indiquait alors l’Uniopss.
Le Collectif Schizophrénies – qui regroupe des patients, des familles et les principales associations concernées par cette maladie – déplore aussi la surreprésentation des psychiatres dans ces Assises, tandis que la participation des usagers et des prochesreste limitée. « C’est un peu décevant et inquiétant qu’on ne cherche pas à ouvrir à d’autres acteurs », estime Corinne Oddoux, sa présidente.
Autre critique, la préparation de ces journées a été, selon elle, plutôt « minimaliste ». « En mai, la consultation a bien été mentionnée sur le site du ministère mais sans publicité ni communication auprès du public, écrit le collectif sur son site Internet. En fait de grande consultation nationale, c’est donc le cercle des initiés habituels, majoritairement des soignants, déjà auditionnés à l’occasion d’innombrables rapports sur la santé mentale, qui s’est exprimé. »
Déborah Sebbane, présidente de l’Association des jeunes psychiatres et des jeunes addictologues, qui interviendra dans une table ronde, et Marine Lardinois, vice-présidente de l’association, sont plus optimistes. « On espère que ces Assises permettront à la psychiatrie de se mettre vraiment en mouvement, en s’appuyant sur les acteurs qui agiront dans les trente à quarante ans à venir, les étudiants, les internes, les jeunes praticiens », avancent-elles.
Quant à la voix des familles et des patients, elle reste modeste dans ces journées où ils sont représentés essentiellement par deux acteurs historiques : l’Union nationale de familles et amis de personnes malades et/ou handicapées psychiques (Unafam) et la Fédération nationale des associations d’usagers en psychiatrie. S’y ajoute une patiente experte en addictologie. Marie-Jeanne Richard, présidente de l’Unafam, reste cependant positive : « Il faut considérer ces Assises comme un brouillon. Leur intérêt est de mettre la santé mentale et la psychiatrie au centre d’un débat de société, et pour nous, les familles, cela représente beaucoup. »
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