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samedi 12 juin 2021

« Ni bradés, ni soumis » : les psychologues et les psychothérapeutes manifestent contre la « précarisation » de leur métier

Par   Publié le 10 juin 2021 

L’annonce d’un dispositif de remboursement de consultations de trente minutes à 22 euros est notamment visée par les professionnels mobilisés, jeudi, dans une vingtaine de villes.

Manifestations des psychologues et psychothérapeutes, à Paris, le 10 juin 2021.

« Bon, allez, on va leur montrer qu’on n’est pas juste des gentils Bisounours ! », lance une jeune femme rousse en rejoignant le rassemblement. Jeudi 10 juin, ils étaient environ quatre cents (selon la police) psychologues et psychothérapeutes à manifester devant le ministère de la santé, place Pierre-Laroque, dans le 7e arrondissement de Paris. D’autres rassemblements ont eu lieu dans près d’une vingtaine de villes françaises, à Bordeaux, à Nice, à Lyon ou encore à Rennes. Leur mot d’ordre : « Ni bradés, ni soumis ».

Les grèves de « psys » sont rares. Habitués à écouter, les membres de cette profession veulent cette fois-ci faire entendre leur « fatigue », leur « ras-le-bol » et leur « colère », répondant à l’appel de plusieurs syndicats et organisations, dont Force ouvrière (FO), l’Union nationale des syndicats autonomes (UNSA), la Fédération française des psychologues et de psychologie (FFPP) et le Syndicat national des psychologues (SNP).

En cause, notamment, le protocole annoncé en mars pour proposer le remboursement des consultations de psychothérapie (seules les séances chez les psychiatres sont déjà en partie remboursées par l’Assurance-maladie). Sur le principe, toutes les personnes interrogées y sont favorables. Ce que les thérapeutes critiquent, ce sont les modalités, comme l’explique Lucas, lunettes de soleil sur le nez et pancarte « Uber psy » à la main :

« Concrètement, le patient devra d’abord se rendre chez un médecin généraliste qui pourra lui prescrire dix séances de trente minutes. Ensuite, le patient devra retourner chez le médecin pour demander dix séances supplémentaires. »

« 22 % des Français évoquent un état dépressif »

Pour ce jeune psychologue, qui exerce depuis huit ans, « rien ne va » dans cet énoncé. « C’est à nous d’évaluer les besoins d’un suivi psychologique, pas aux généralistes. C’est infantilisant. On connaît notre métier, enfin ! », peste-t-il. Ensuite, l’obligation de passer par un médecin peut être « intimidante »« Faire appel à un psy est une démarche qui n’est pas toujours évidente. Si en plus il faut passer par un tiers… Pour le patient, ça peut virer au parcours du combattant. C’est complètement contre-productif », estime Lucas.

« Mes consultations durent une heure, parfois plus. Qu’est-ce que vous voulez faire en seulement trente minutes ? Le patient n’a pas le temps de s’ouvrir, d’aller vraiment au fond des choses. Ce n’est pas une façon humaine de traiter les gens », s’agace Karine. Psychologue depuis quinze ans, elle insiste sur le fait que « chaque soin est différent » :

« Un suivi psychologique, ça ne se protocolise pas. Qu’est-ce que je suis censée dire à mon patient au bout des vingt séances ? “Vous êtes toujours déprimé ? C’est ballot, vous n’aviez droit qu’à vingt consultations remboursées…” »

« Et puis ce n’est pas comme si tout le monde avait un moral du feu de Dieu en ce moment », ironise une jeune femme à proximité de Karine, qui hoche la tête pour confirmer. Dépression, troubles du sommeil, troubles alimentaires, anxiété… après plus d’un an de pandémie de Covid-19 et de restrictions, toujours présentes, la santé mentale des Françaises et des Français est fortement touchée « Vingt-deux pour cent évoquent un état dépressif », alerte le collectif Manifeste Psy dans un communiqué.

Les populations les plus précaires sont particulièrement vulnérables. A titre de comparaison avec la période antérieure à l’apparition du Covid-19, une enquête nationale de Santé publique France menée en 2017 estimait que 10 % de la population avait alors vécu un épisode dépressif en 2016.

Après plus d’un an de pandémie de Covid-19 et de restrictions, la santé mentale des Françaises et des Français est fortement touchée.

« A aucun moment on n’a été consulté »

Outre des « conditions de travail inadmissibles », comme le souligne Karine, c’est aussi le tarif « dérisoire » et « honteux » des consultations remboursées qui est montré du doigt : 22 euros. « Une fois les charges retirées – le loyer, les formations, la supervision [le fait pour un thérapeute d’être aidé et encadré par un confrère] –, il me reste 7 euros. Economiquement, ce n’est pas tenable, ça précarise encore plus notre métier », résume Anna, psychologue depuis douze ans.

Le résultat, explique-t-elle, « c’est qu’on va devoir multiplier les rendez-vous pour compenser. Mais un psy qui fait vingt consultations par jour, c’est un psy fatigué, et un psy fatigué, c’est un psy pas disponible pour ses patients. Ce sont eux qui vont en pâtir ».

L’amertume est d’autant plus forte que, comparativement à leur niveau d’études, les psychologues et psychothérapeutes s’estiment déjà insuffisamment rémunérés. « J’ai un bac + 5 et je gagne 1 400 euros net à mi-temps par mois. C’est minable », lâche Nathalie, diplômée depuis vingt ans. Albéric, Rebecca et Catalina travaillent, eux, à l’hôpital. Sous une grande pancarte « Black Freud Day », ces jeunes psychologues détaillent leur grille de salaire : 1 600 euros en début de carrière – « le même niveau qu’un infirmier qui doit suivre une formation de trois ans » – et 1 800 euros après quatre ans d’exercice.

« On exerce une profession qui n’est clairement pas assez valorisée », expose en soupirant Claire, psychologue depuis une vingtaine d’années. Cette quadragénaire gagne « autour de 1 900 euros ». La preuve d’un « mépris généralisé » envers sa profession, selon elle.

« Beaucoup d’entre nous réclament le remboursement des consultations depuis des années. Le problème, c’est qu’à aucun moment, on n’a été consulté. Je ne suis pas surprise. Ignorer les psys et les problèmes de santé mentale, c’est une habitude. »


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