par Olivier Monod publié le 5 juin 2021
Les terrasses rouvrent, les cinémas aussi. Les hôpitaux voient leurs chambres désemplir et la vaccination va bon train. Emmanuel Macron lance sa campagne présidentielle et les polémiques d’extrême droite fleurissent. Bref, la France (presque) telle qu’on la connaissait avant la crise sanitaire.
Mais cet avant-goût de normalité est remis en question par les nouvelles inquiétantes venues du Royaume-Uni. Là-bas, le variant delta (il ne faut plus dire «indien» maintenant, rappelle l’OMS), semble faire repartir le nombre de cas de Covid-19 à la hausse. N’en finira-t-on jamais de cette crise ? Il n’existe pas de réponse définitive à cette question, tant les incertitudes sont grandes et les scénarios possibles nombreux.
L’éradication par la vaccination
Dans un premier temps, sauf catastrophe, la pandémie devrait largement reculer, en Occident, grâce à l’effort vaccinal. Malheureusement, une suppression complète à l’échelle mondiale est peu probable. A ce jour, la variole est la seule maladie éradiquée grâce au vaccin. Celle de la poliomyélite est en bonne voie, après avoir disparu d’Afrique en 2020. Mais ces deux maladies font l’objet de campagnes internationales soutenues depuis plusieurs dizaines d’années.
Ceci dit, le vaccin peut protéger d’une vague comme les trois que nous avons traversées, en permettant d’atteindre plus vite la désormais fameuse immunité de groupe. En fonction du nombre de personnes qu’un patient infecté contamine en moyenne, les scientifiques calculent le pourcentage de membres d’une population à vacciner pour atteindre ce seuil au-delà duquel une épidémie est impossible. Pour le Covid, ce chiffre tournait autour de 60-70% pour la souche historique. Mais la plus haute contagiosité des variants alpha, apparus en Angleterre, et delta, en Inde, fait monter la proportion à atteindre au-delà de 80%.
La maladie «ne peut alors plus donner lieu à une épidémie de large échelle. Ceci dit, cela ne signifie pas que le virus disparaît dès ce seuil atteint. Il peut toujours y avoir des contaminations et des clusters dans des populations non vaccinées», explique à Libération Samuel Alizon, biologiste spécialiste de la modélisation des maladies infectieuses.
Vers un virus endémique ?
Le Covid est donc parti pour rester. Cela semble l’hypothèse la plus probable. D’ailleurs, 89% des 100 immunologistes, spécialistes des maladies infectieuses et virologues interrogés par le magazine scientifique Nature estiment probable ou très probable que le Sars-cov-2 continue de circuler à l’avenir dans certaines parties de la population. Bref, il est appelé à s’installer dans la durée et à devenir endémique.
Dès lors, la question de la durée de l’immunité acquise après un vaccin ou une infection est primordiale. Faudra-t-il se faire vacciner tous les ans, comme pour la grippe ? Ou avant de partir en voyage dans certaines zones ? Peut-on envisager de voir ressurgir un variant qui échappe totalement aux défenses immunitaires ?
«A court terme, l’apparition d’un variant échappant complètement au système immunitaire d’une personne vaccinée est extrêmement improbable. La réponse immunitaire repose sur la reconnaissance de plusieurs épitopes [caractéristiques] du virus», estime Marco Vignuzzi, spécialiste de l’évolution des virus à l’Institut Pasteur, joint par téléphone.
En clair, le système immunitaire repère plusieurs cibles à la surface du virus. Il faudrait donc que plusieurs mutations se produisent sur toutes «ces cibles» – sans perte de la capacité infectieuse – pour arriver à échapper aux défenses naturelles. Pas impossible en théorie, mais peu probable dans un temps court. Et dans un temps long ?
Les coronavirus déjà présents chez l’humain
Pour répondre à ces questions, les chercheurs se penchent sur les quatre autres coronavirus déjà endémiques dans la population humaine, pour certains depuis plusieurs siècles. Ils se nomment OC43, 229E, NL63 ou encore HKU1. Ils n’ont pas le droit à des noms prononçables car ils sont simplement responsables de rhumes ou de syndromes grippaux. Rien de suffisamment méchant pour justifier un baptême en bonne et due forme.
Jesse Bloom et son équipe du centre de recherche sur le cancer de Seattle ont eu une remarquable idée. Ils ont récupéré des vieux échantillons de sang de malade du 229E et des vieux échantillons de virus datant des années 80, 90, 2000…
Il a ensuite regardé si les anticorps des patients étaient toujours capables de neutraliser le virus 229E in vitro. Mais surtout s’ils étaient capables de neutraliser les virus plus anciens. Résultat : dans le pire des cas, cela prend plusieurs années pour arriver à un échappement immunitaire total. Ainsi, un sérum collecté en 1985 a conservé son action sur les virus de 1984 mais son activité est divisée par dix sur un virus de 1992 et passe à zéro face à un virus de 2000.
Jesse Bloom explique à Nature qu’il s’attend plus ou moins au même mécanisme pour le Sars-cov-2, sans toutefois être capable de dire à quelle vitesse le virus parviendra à échapper aux anticorps. Lui reste prudemment optimiste, estimant que le virus deviendra«un problème moins grave», proche de la grippe.
Une autre étude, de Jennie Lavine, infectiologue de l’université d’Atlanta, dessine aussi un avenir du Covid-19 «pas plus virulent que le rhume commun». Son analyse des quatre coronavirus endémiques chez l’humain suggère que tous les enfants les rencontrent avant l’âge de six ans. Ensuite, «l’immunité protégeant contre l’infection décline rapidement, mais l’immunité réduisant les symptômes dure plus longtemps», écrit-elle. C’est pourquoi on peut refaire des rhumes de temps en temps mais ils ne dégénèrent pas en pneumonie.
Goulet d’étranglement évolutif
Cette vision d’un virus endémique, qui infecterait les enfants plusieurs fois et les protégeant ainsi de formes graves une fois adultes, présuppose deux choses. D’une part, il faut que tous les adultes soient effectivement immunisés. Plusieurs scientifiques pensent qu’à moyen terme, tout le monde aura soit reçu un vaccin, soit connu une infection par le Sars-cov-2. D’autre part, cette hypothèse est viable si le virus n’évolue plus beaucoup par rapport aux variants en circulation.
C’est l’idée qu’exprime le conseil scientifique français, quand il écrit dans son avis du 11 mars que le Sars-cov-2 pourrait être dans un «goulet d’étranglement évolutif». En clair, le virus n’aurait pas des possibilités infinies de mutation lui permettant à la fois d’être capable d’infecter les cellules humaines mais d’échapper à notre système immunitaire.
D’ailleurs, beaucoup de variants actuels présentent des mutations similaires sans avoir été en contact. Ce fait est appelé la «convergence évolutive». Le conseil scientifique pense donc «que les solutions d’échappement et d’augmentation de transmission sont portées par un nombre restreint de mutations». En clair, le virus serait en train d’épuiser ses possibilités d’évolution.
La question des réservoirs
Cependant, cette position ne fait pas l’unanimité chez les scientifiques, une mutation ne devant pas être prise seule. Elle s’inscrit dans un contexte, avec d’autres mutations, ce qui lui confère une influence plus ou moins grande sur le comportement du virus.
«Si l’on sait que la combinaison de trois mutations est avantageuse [pour le virus], cela ne signifie pas que tous les chemins menant à cette combinaison le sont. Certains sont peut-être même délétères. Ici, intervient la notion de “paysage adaptatif”. En fonction des mutations déjà présentes, toutes les mutations futures n’apporteront pas le même avantage», expliquait à Libération en février Olivier Tenaillon, directeur de recherche à l’Inserm.
Le virologue Marco Vignuzzi propose une synthèse : «Le virus traverse un goulot d’étranglement évolutif. C’est classique chez les virus émergents. Maintenant, il est trop tôt pour savoir si ce goulet ressemble à cul-de-sac évolutif ou non.»
La question est d’autant plus ouverte qu’un facteur peut tout remettre en cause : les réservoirs animaux. On sait que le Sars-cov-2 provient de la chauve-souris. On sait qu’il est passé à plusieurs reprises chez d’autres animaux, notamment des furets ou des visons. Si le virus est capable de faire l’aller-retour entre différentes espèces, alors son évolution devient imprévisible.
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