par Fabien Leboucq publié le 9 juin 2021
Question posée par Frédéric, le 8 juin
Bonjour,
Vous nous demandez si «les policiers se suicident plus en France que les autres catégories socioprofessionnelles», et donc de revenir sur un précédent article que nous avions écrit sur les statistiques du suicide dans la police et la gendarmerie nationale à la fin de l’année 2019.
Votre question survient après un papier du Monde au titre évocateur : «24 % des policiers se disent confrontés à des pensées suicidaires». Il s’appuie sur les résultats d’une étude du cabinet YCE Partners, au nom de la Mutuelle générale de la police (MGP), aussi relayée par France Info. Les 6 000 policiers interrogés constitueraient «une photographie représentative du policier moyen», selon le quotidien, qui expose notamment le résultat suivant : «24 % des répondants expliquent avoir eu des pensées suicidaires ou entendu leurs collègues évoquer des pensées suicidaires au cours des douze derniers mois. C’est, d’après les données collectées dans un bulletin épidémiologique de Santé publique France en 2019, 6,3 fois plus que les actifs occupés.»
Si l’on divise les 24 % par 6,3, on obtient 3,8. Il existe bien un bulletin épidémiologique de Santé publique France (SPF), publié en 2019 et intitulé «Pensées suicidaires dans la population active occupée en France en 2017», qui comporte ce chiffre. On y lit en conclusion : «En 2017, 3,8 % des actifs occupés déclaraient avoir eu des pensées suicidaires au cours des douze derniers mois.»
D’un côté, l’étude de la MGP compte les policiers qui ont eu des pensées suicidaires, ou qui ont connu des collègues ayant eu de telles pensées (24 % des interrogés). De l’autre, SPF compte seulement les actifs qui ont eu ces pensées (3,8 % des interrogés). La comparaison entre les deux indicateurs semble donc en réalité impossible car ils ne mesurent pas la même chose. MGP nous indique qu’il n’y a pas de distinction, au sein de son étude entre policiers qui ont des pensées suicidaires (chiffre qu’on pourrait comparer à celui de SPF) et policiers qui ont seulement entendu leur collègue en faire mention.
45 suicides par an en moyenne
«Les policiers se suicident-ils davantage que le reste de la population ? Et si oui, pour quelles raisons ?» demande Le Monde en introduction. Des questions auxquelles nous répondions dans notre précédent article sur le sujet, que nous actualisons ici.
Le Service d’information et de communication de la police (Sicop) a donné à CheckNews des chiffres actualisés du nombre d’agents qui se suicident chaque année : 45 en moyenne, entre 1993 et 2020. ils étaient 59 en 2019, une année particulièrement noire pour la profession (la pire étant 1996, avec 71 agents suicidés). A ce jour, en 2021, 18 agents se sont déjà donné la mort (si le graphique ci-dessous ne s’affiche pas, cliquez ici).
Les chiffres absolus donnent des tendances (ici une relative stabilité), mais ne permettent pas de comparer avec le reste de la population. Il faut pour cela rapporter les suicides au nombre total d’agents. Un rapport sénatorial de 2018 relevait un «taux de suicide anormalement élevé au sein [de] la police nationale et la gendarmerie nationale» : s’il «oscille autour de 14 suicides pour 100 000 habitants pour l’ensemble de la population, ce taux s’élève en moyenne, sur les dix dernières années, à 25 pour la gendarmerie nationale et à 29 pour la police nationale», écrivaient les auteurs.
Ce chiffre de 29 correspond à ceux que l’on obtient en rapportant les suicides comptabilisés par le Sicop aux effectifs de la police nationale, évoqués dans les bilans sociaux de l’institution (des documents internes que Libération s’est procurés au cours d’une enquête sur les sanctions internes à la police). Sur la période, la moyenne de ce taux de suicide atteint presque les 30 pour 100 000 agents (si le graphique ci-dessous ne s’affiche pas, cliquez ici).
On pourrait de prime abord conclure que le taux de suicide des policiers est deux fois plus élevé que celui du reste de la population. Car selon le ministère de la Santé, le taux de suicide français s’élève bien à 14 pour 100 000 habitants.
«Sursuicidité»
La composition sociologique de la police nationale pousse à relativiser cet écart du simple au double. Car plus des deux tiers des policiers sont des hommes, et comme le rappelle le ministère de la Santé, «le suicide en France concerne en premier lieu les hommes, avec un taux de suicide de 22 pour 100 000 habitants, et dans une moindre mesure les femmes avec un taux de suicide de 5,9 pour 100 000 habitants.»
Une étude de 2010 réalisée par l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) s’est penchée sur le phénomène du suicide dans la police nationale. Elle était notamment menée par l’épidémiologiste Gaëlle Encrenaz, qui donne l’une de ses conclusions devant les sénateurs : «En tenant compte des différences de structures sociodémographiques par âge et sexe, on estime […] que le taux de suicide dans la police est supérieur de 36 % à celui de la population générale.»
Ce chiffre a été calculé sur les années 2005-2009, précise Gaëlle Encrenaz à CheckNews, et il n’en existe pas de plus récent. Il y en a par contre un plus ancien : en 1997, une étude sur «le suicide dans la police nationale» notait que «les taux policiers semblent osciller autour d’une moyenne proche du taux national – en tout cas dans les limites de son intervalle de confiance – à structure par sexe et âge égale. Il n’y a donc pas, à proprement parler, de sursuicidité dans la police». Explication possible à ces conclusions contradictoires avec celles de l’étude de 2015, selon Gaëlle Encrenaz : «Le suicide reste un événement rare. Donc la moindre variation entraîne une variation absolue très rapide du taux.»
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