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lundi 7 juin 2021

Enquête Marché noir de la PMA : «C’est limite de se faire du fric sur notre désespoir»

par Marie-Lys Lubrano   publié le 6 juin 2021

C’est un secret de polichinelle : la PMA est pratiquée en France, sous le manteau, pour des couples lesbiens et des femmes célibataires. Si certains gynécologues aident ces femmes par militantisme, d’autres le font par opportunisme.

Quand Adélie (1) a entamé les démarches pour une PMA clandestine en France, en novembre 2020, elle a suivi la procédure indiquée par des groupes Facebook : contacter une banque de sperme pour obtenir une liste de gynécologues acceptant de pratiquer des inséminations avec le sperme d’un donneur (IAD) dans leur cabinet. C’est qu’Adélie, 34 ans, avocate parisienne célibataire, n’est pas éligible à la PMA légale, ce qui pourrait changer avec le retour de la loi bioéthique à l’Assemblée ce lundi. «J’ai appelé le premier, spécialiste de la procréation, il a dit que l’insémination coûterait 500 euros en liquide». Les deux autres lui demandaient 300 et 400 euros en liquide aussi. «Je me suis dit que c’était pareil pour tous», conclut-elle.

Payer au noir prive la patiente de tout remboursement par la Sécurité sociale mais permet au gynécologue d’arrondir ses fins de mois grâce à un acte relativement simple qui consiste à introduire une petite quantité de sperme dans l’utérus à l’aide d’un cathéter. Durée de l’acte : 10 minutes. Le cathéter coûte dix euros en pharmacie. La «paillette» de sperme (un petit tube de 5 millilitres), avec la livraison dans son container d’azote pour la garder cryogénisée, coûte entre 900 et 1 500 euros, à la charge de la patiente. Adélie a choisi un donneur non anonyme pour que son futur enfant puisse le contacter à ses 18 ans, elle a donc payé 1 500 euros pour la paillette, auxquels s’ajoutent les 500 euros de l’IAD, et 300 euros de dépassement d’honoraires pour les consultations précédant l’acte. Coût : 2 300 euros. Sauf que le premier essai n’a pas marché. Ni le deuxième.

C’est pourtant le prix qui l’avait d’abord convaincue de le faire en France plutôt qu’à l’étranger : elle économisait le billet d’avion. Renseignements pris, les cliniques en Espagne et en Belgique disposent de leurs propres donneurs et ne facturent que 900 à 1 300 euros pour une IAD tout compris, auxquels il suffit d’ajouter le déplacement. On est loin des 2 300 euros. La fertilité en Europe est depuis quelques années un vrai business pour les cliniques ; elles sont maintenant concurrencées par des gynécos qui ont flairé le bon filon et proposent des IAD au noir, à des tarifs que même ces établissements spécialisés n’osent pas afficher. C’est tout un marché noir de la PMA qui s’est développé.

Risque considérable

Et elles sont nombreuses à être tombées sur ces marchands de bébés. Claire (1), 36 ans, professeur des écoles en Bretagne et célibataire, s’est vue demander 400 euros en liquide, «parce que je prends des risques», a dit le gynéco. Sofia (1), elle, n’est même pas passée par une banque de sperme : elle est allée voir un spécialiste pour un bilan de fertilité et il lui a proposé d’emblée de pratiquer l’IAD, moyennant 500 euros. Elle a décliné mais rechigne à donner des détails : «Je trouve ça limite de se faire du fric sur notre désespoir mais ça nous arrange bien qu’ils le fassent, je ne veux pas qu’ils arrêtent», dit-elle, craignant que le vote de la loi ouvrant la PMA à toutes les femmes ne soit une énième fois repoussé.

Ces médecins, dont nos témoins refusent de donner les noms, prétendent que les dessous-de-table se justifient par les risques. Selon l’article 511-24 du Code pénal, ils encourent en effet 75 000 euros d’amende et 5 ans de prison. Pourtant, les poursuites restent très rares, bien que plusieurs articles ont déjà fait état de ces pratiques et que ces gynécos sont facilement identifiables. Deux gynécos auraient été condamnés depuis 2015, selon le ministère de la Justice, refusant de donner plus de détails. Serait-on face à une dépénalisation de facto de la PMA ? «Il n’y a pas de consigne de la chancellerie de ne pas poursuivre, répond la Direction des affaires criminelles et des grâces, mais les affaires ne remontent pas.»Autrement dit : tant qu’il n’y a pas de plainte d’une patiente, les parquets ferment les yeux. Et aucune patiente n’a intérêt à porter plainte. Même son de cloche à l’Ordre des médecins, qui n’a jamais entendu parler d’une condamnation. «En tant que garants des règles, nous rappelons que c’est illégal», martèle Anne-Marie Trarieux, présidente de la section éthique. Mais l’Ordre s’est prononcé pour l’élargissement de la PMA et a autre chose à faire que de mener la chasse aux gynécos.

C’est pourtant l’argument servi à Marie, célibataire de 35 ans vivant à Châteauroux, par le gynéco d’Orléans qui lui a demandé 200 euros au noir en décembre dernier. «Il m’a dit qu’il ne voulait pas m’arnaquer, mais qu’il risquait de se faire rayer de l’Ordre»,rapporte-t-elle. Qu’aucune de ses trois tentatives d’IAD ne fonctionne n’a pas semblé interroger le médecin. Il n’a même pas paru inquiet de les pratiquer, quand Marie a eu quatre ovocytes matures, suite à la stimulation hormonale qu’il avait prescrite. Quatre ovocytes matures, ça veut dire concrètement risquer une grossesse de quatre embryons ; ce qu’aucun spécialiste de la PMA n’aurait tenté.

Aucune recommandation

Voilà l’autre gros problème de ces IAD clandestines : les banques de sperme ne se soucient pas de savoir à quels gynécos elles envoient leurs clientes. «Ce n’est pas un partenariat formalisé, se défend Peter Reeslev, PDG de Cryos, au Danemark, la plus grosse banque de sperme d’Europe. Nous recensons les praticiens pour nous assurer que ce sont des professionnels de santé car la loi danoise nous interdit de livrer à des personnes privées.» Mais aucune information n’est demandée aux médecins, ni donnée aux clientes, sur leurs compétences. Clara, 40 ans, chef de projet célibataire, a pourtant cru que la gynéco de Lyon vers qui le Cryos l’envoyait lui était «recommandée». Après cinq IAD payées en liquide, de 150 à 200 euros, des traitements dangereusement surdosés et non surveillés et des inséminations faites avec quatre ovocytes, elle a préféré partir à l’étranger.

Parfois, la situation tourne à la catastrophe. «Certaines filles m’envoient des histoires glaçantes», raconte Léa, qui tient un compte Instagram consacré à la PMA, @leacr. «90% d’entre elles parlent d’insémination avec de multiples ovocytes, jusqu’à dix !» Elle rapporte aussi plusieurs témoignages de femmes dont les traitements beaucoup trop forts ont abouti à une stérilité précoce : le corps épuisé ne produit plus d’ovocytes et des trentenaires en pleine santé sont obligées de recourir au don d’ovocytes, en plus du don de sperme. Soit un double don qui est, et restera, interdit en France.

Réduction embryonnaire

D’autres en sortent traumatisées. Comme Maëlle (1), 35 ans, célibataire parisienne, qui a vécu une IAD cauchemardesque en mars. Son gynéco, pourtant trouvé sur la liste militante Gyn&co, lui a demandé 100 euros en liquide, en plus de lui facturer un acte médical, soi-disant pour payer le renvoi du container au Cryos (alors que c’est inclus dans la livraison). Le jour de l’insémination, il décongèle la paillette avant de lui faire une échographie : il se rend compte trop tard qu’elle a trois ovocytes matures. Tant pis : il fait l’IAD, en lui assurant qu’il n’a jamais eu de grossesse multiple. «Quatre semaines après, à ma première échographie, j’ai failli m’évanouir, raconte Maëlle. J’attendais des triplés : une grossesse avec trois placentas, trois grossesses en fait.» Le danger pour sa santé est tel qu’il lui faut une réduction embryonnaire.

L’opération consiste à supprimer un ou plusieurs embryons de l’utérus, sous anesthésie. Mais c’est risqué. Même en cas de réussite, la grossesse est étroitement surveillée. Et comment gérer cette impression de tuer des embryons alors qu’elle a tant espéré être enceinte ? Maëlle n’en dort plus, perd l’appétit, pleure tout le temps mais ne peut pas imaginer élever seule des triplés. C’est d’autant plus dur qu’il faut attendre la onzième semaine pour faire une réduction : onze semaines pendant lesquelles ces embryons grandissent dans son ventre. Elle finit par appeler l’hôpital. «Ils m’ont dit qu’ils étaient confrontés tous les mois à des patientes venant pour une réduction suite à une IAD ratée», raconte-t-elle. La mort dans l’âme, elle subit la procédure.

L’hôpital en question, dans les Hauts-de-Seine, a refusé de nous répondre. Mais le Pr Jean-Marie Jouannic, du service de médecine fœtale de l’hôpital Trousseau, confirme cette pratique, assurant qu’elle reste toutefois «exceptionnelle»«On ne peut pas toujours savoir si ces grossesses multiples viennent d’IAD ratées, les femmes ne le racontent pas forcément», précise-t-il. Impossible également d’avoir des chiffres fiables sur le nombre de réductions : «On sait combien sont pratiquées par les centres pluridisciplinaires de diagnostic prénatal», explique-t-il encore, «et normalement c’est toujours fait dans ces services, mais parfois c’est fait en dehors». Une chose est sûre : les mêmes noms reviennent dans les récits des patientes, qui rapportent que leur gynéco les a assurées n’avoir jamais été confronté à des grossesses multiples.

Toutes sont d’accord : la seule façon de mettre fin à ce marché noir de la PMA est de la légaliser. «Nous restons pour l’instant les grandes perdantes d’une loi injuste qui nous interdit l’accès aux centres de PMA dans notre propre pays, conclut Maëlle. Toutes ces histoires pourraient arriver à n’importe laquelle d’entre nous».

(1) Les prénoms ont été modifiés


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