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Tintements d’oreilles, vision brouillée, palpitations, poids sur la poitrine… Les symptômes de l’anxiété sont longs comme le bras et hélas bien connus de nombre d’entre nous. Les adolescents à l’approche du bac, les adultes qui retournent au bureau, les jeunes face à la recherche d’emploi… Les raisons de développer des troubles anxieux sont légions. L’anxiété est bien le « mal du siècle », mais, pas de bol : les philosophes lui ont toujours préféré l’angoisse ! Celle que Søren Kierkegaard appelle « le vertige de la liberté » aurait en effet une profondeur que sa petite sœur – et ses poussées d’eczéma – n’aura jamais. Mais quelle est la différence entre ces deux états ?
Pour y voir plus clair, relisons le bien nommé Concept de l’angoisse (1844) du philosophe danois, et consultons le célèbre DSM (Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux), la référence en matière de troubles psychiques.
- Les 1001 troubles anxieux. L’anxiété dérive du latin « anxietas » qui, au XIIe siècle, signifie « oppression, douleur physique ». Le poids dans la poitrine et les mains moites avant un examen ou un entretien d’embauche ne datent donc pas d’hier. Cette souffrance polymorphe liée à l’anxiété s’est traduite par une classification fine des différents symptômes et types de troubles anxieux, énumérés dans le DSM américain, qui différencie par exemple « l’anxiété de séparation » associée à la peur de quitter quelqu’un, de « l’anxiété sociale » renvoyant à la crainte du regard des autres. À chaque individu, donc, ses symptômes et son type d’anxiété.
- L’angoisse, l’unique vertige du vide. L’angoisse, du latin « angustia », renvoie quant elle à « une difficulté, une situation critique » : elle n’est pas un ensemble de symptômes, mais un certain état de fait. Dans Le Concept de l’angoisse, Kierkegaard remarque à ce titre que cette situation n’est jamais traitée en psychologie. La raison ? « L’angoisse est sans objet. » À l’exact opposé « de la crainte et des autres concepts [comme l’anxiété] qui renvoient toujours à une chose précise », l’angoisse n’a pas de causes cliniques que l’on pourrait énumérer dans un catalogue médical. Et pour ne rien arranger, son unique symptôme est tout aussi imprécis : c’est un « vertige » qui survient « quand l’œil vient à plonger dans un abîme. » L’angoisse est donc une peur de tout – et surtout, de rien : une peur du vide, quoi.
- L’anxiété a un objet. À l’inverse de l’angoisse, l’anxiété traduit bien la peur, bien concrète, de quelque chose : celle de rater son bac, de côtoyer les autres… Elle est donc explicable, bien qu’elle puisse devenir pathologique lorsqu’elle persiste dans le temps. « L’anxiété généralisée » par exemple,désigne selon le DSM « un souci excessif (attente avec appréhension) survenant la plupart du temps pendant au moins six mois concernant un certain nombre d’événements ». Elle devient alors une maladie, provoquée par la tendance à imaginer que certaines choses vont forcément mal se passer.
- Les 1001 possibles de l’angoisse. Tandis que l’anxieux a peur d’échouer à une épreuve précise, les interrogations tourmentées de l’angoissé sont bien plus vastes. « Que vais-je donc faire de ma vie ? Quel sens donner à mon existence ? », peut-il, par exemple, se demander. À bien y regarder, l’angoisse, apparemment vide, est en fait remplie de choses que l’on pourrait éventuellement réaliser, de destinées potentielles. Selon Kierkegaard, ce vertige de l’angoissé est donc suivi d’un saut, celui de « la liberté, plongeant alors dans son propre possible ». Ainsi peut-on opposer l’anxiété, ce verre à moitié vide, à l’angoisse, cet océan de possibles, qui est aussi une preuve de notre liberté. On comprend maintenant pourquoi les philosophes ont souvent préféré l’angoisse vertigineuse… à l’anxiété nerveuse !
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