Dans l’Amour la poésie de Paul Eluard, la Terre est bleue comme une orange mais, dans cette photographie, la Terre est rose comme la peau d’un litchi, une framboise ou un gros radis… Deux fillettes, Deborah Kehinde (qui signifie en yoruba, «la première née») et Célestine Taiwo (littéralement, «celle arrivée après l’autre»), sortent tout juste d’une célébration religieuse. Très fières, elles posent sur un monticule fuchsia, le regard vers l’infini, telles deux déesses auréolées de charlottes blanches - la tenue d’apparat pour cette cérémonie à laquelle on se rend traditionnellement pieds nus. Les sœurs jumelles habitent à 80 kilomètres de Lagos, dans le sud-ouest du Nigeria, plus précisément dans le village d’Igbo-Ora, surnommé la ville des jumeaux. Là, les grossesses gémellaires sont plus nombreuses que dans le reste du monde.
Une fois par an, des frères et sœurs venus de tout le pays se rassemblent pour un festival qui dure une journée. Deux photographes, Bénédicte Kurzen et Sanne De Wilde, s’y sont rendues en 2018 avec un projet en tête. Loin d’elles l’idée de documenter un phénomène de foire ou de pointer, une fois de plus, la maltraitance dont peuvent être victimes les jumeaux en Afrique. Les deux photographes ont plutôt cherché à montrer leur puissance ésotérique dans la culture des Yorubas, peuple ancestral de guerriers et de commerçants d’Afrique de l’Ouest. Voilà pourquoi elles se sont placées en contre-plongée et ont utilisé un filtre rose : subrepticement, elles convoquent le mystère et les esprits.
Sélectionné par Jeanne Mercier, fondatrice de la plateforme d’échanges Afrique in visu, le projet photographique de Bénédicte Kurzen et Sanne De Wilde, intitulé Land of Ibeji - «Ibeji» signifiant «double naissance» et «les deux inséparables» en yoruba -, est présenté dans l’exposition parisienne «Croyances : faire et défaire l’invisible» (1).
A Igbo-Ora, des statuettes à l’effigie de jumeaux permettent de capter leur âme et de leur vouer un culte. «Je viens de lire Mémoires de porc-épic d’Alain Mabanckou, rapporte Bénédicte Kurzen, qui a vécu huit ans en Afrique du Sud et autant au Nigeria. A la fin du livre, l’apparition de jumeaux vient rendre justice à la mort d’un enfant. C’est de cet univers magique, poétique et onirique que nous avons voulu rendre compte.» De ces cousins africains de Castor et Pollux ou Romulus et Rémus, les deux photographes retiennent le caractère mythologique et le récit philosophique sur un monde dual. Par leur double regard, elles mettent au cœur de la Goutte-d’Or, à Paris, les deux fillettes sur un piédestal.
(1) Institut des Cultures d’islam (75018), jusqu’au 31 décembre. Gratuit et sur réservation pendant le mois de juillet.
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