Pour les médecins que l'enquête « Res publica » - « Quotidien du Médecin » - « Décision Santé » a sondés pendant deux mois, l'épidémie qui s'est abattue sur notre pays a été un bouleversement complet. Sur le millier de professionnels qui a répondu, beaucoup témoignent de leur surprise et de leur désarroi lors de la survenue brutale de la crise. La plupart soulignent l'impréparation du système de santé dans son ensemble. Et un bon nombre fait état de nouvelles façons de travailler, plus ou moins guidées par la nécessité ou la contrainte et dont on perçoit que cela pourrait changer vraiment la donne dans la France de l'après-Covid.

La crise du Covid-19 aura été un bouleversement sans précédent pour le corps médical. L'enquête inédite que le spécialiste du dialogue collaboratif « Res publica » a menée ce printemps en partenariat avec « Le Quotidien du Médecin » et le magazine « Décision Santé » montre à quel point les médecins ont été ébranlés et finalement remis en cause dans leur exercice par cette catastrophe sanitaire que personne n'attendait, pas même les soignants.
Ils sont exactement 1 000 praticiens, tous modes d'exercice confondus, à avoir répondu à notre questionnaire lancé au tout début du déconfinement. Et quand on évoque avec eux le début de la crise, en mars dernier, les trois quarts conviennent qu'ils ne s'attendaient pas à une flambée de cette ampleur. Un effet de surprise ressenti dans les mêmes proportions par les libéraux et par les hospitaliers. Pas plus que les pouvoirs publics, pas davantage que l'opinion, les professionnels de santé ne semblaient donc préparés à pareil ébranlement, inédit par sa virulence et sa soudaineté.
Il leur a donc fallu quelques jours pour percevoir, à partir de la mi-mars l'ampleur des événements. Et ils s'en rendront compte à la faveur d'éléments très concrets, souvent rencontrés au cabinet ou dans un service hospitalier, comme les difficultés d'approvisionnement en matériels et médicaments (21 %), la gravité des symptômes des personnes atteintes (20 %), les échanges avec les confrères (16 %), les mesures prises par le gouvernement (15 %) pour éviter une catastrophe sanitaire ou encore l'afflux de personnes atteintes par le coronavirus (13 %) dans la salle d'attente du service ou du cabinet.
La France n'était pas prête
« Tardive », « nulle », « catastrophique », « manque de moyens », « incompétente », « incohérente » Quand on demande aux médecins de qualifier la gestion de la pandémie par les autorités, ce sont ces mots-là, sévères et stigmatisants, qui reviennent le plus souvent. Un vocabulaire choisi, qui en dit long sans doute sur la colère et l'incompréhension des blouses blanches. Car, si l'on en croit les professionnels qui ont répondu à l'enquête, la France n'était pas préparée à relever le gant. 91 % pensent en effet que leur pays n’était « plutôt pas » (33 %) ou « pas du tout » (58 %) prêt à faire face à l'épidémie. Et concernant le système de santé en particulier, ils ne se montrent guère plus optimistes : six sur dix pensent de même qu'il était « peu préparé et s'est adapté difficilement », quatre sur dix qu'il était « peu préparé mais s'est adapté facilement ». C'est parmi les médecins des hôpitaux que l'on se montre le plus pessimiste. Mais, chez eux comme chez leurs confrères libéraux, il ne s'en trouve presque aucun à estimer que le système de soins était « bien préparé » !
La perception de l'action des décideurs par les médecins est, dans cette droite ligne, plutôt négative. Même si, chez les médecins, elle semble toutefois avoir évolué au fil des semaines. Zéro pointé avant le confinement : 80 % de ceux qui ont répondu à notre questionnaire considèrent que les mesures prises par les autorités à ce stade étaient inadaptées. Et pour cause, hormis la fermeture des restaurants et salles de cinéma peu de temps avant l'état d'urgence, et la consigne d'appeler le 15 en cas de doute pour les patients, seules de rares dispositions avaient alors été prises au plan sanitaire. Les blouses blanches sont sévères sur cette période ; à leurs yeux, les pouvoirs publics auraient visiblement dû anticiper plus tôt.
Par la suite, les médecins montrent plus d'indulgence. 60 % jugent adaptées les décisions prises pendant le confinement. Et ils sont presque autant (56%) à donner quitus au cadre arrêté pour le post-confinement. L'évolution de la relation aux Agences régionales de santé (ARS) ne sort en revanche pas gagnante de la crise. Elle a été globalement été jugée plus difficile que d'ordinaire : 45 % l'ont perçu négativement, contre 8 % positivement et 47 % qui n'ont pas relevé de changement.
La crainte de contaminer… ou de craquer
Dans ce contexte, la crise semble avoir été assez mal vécue par les médecins. 61 % se disent globalement insatisfaits de leurs conditions de travail : cela semble plus le cas chez les libéraux (65 %) que chez ceux qui exercent en établissement (56 %), peut-être parce que la solitude a davantage pesé sur les premiers. Et si sur l'ensemble de l'échantillon, 35 % estiment « avoir pu gérer », car la situation était pour eux « sous contrôle », 35 % disent avoir ressenti de la « frustration face à l'ampleur de la, situation », un sur cinq (20 %) évoquant même « de la honte face à l'impossibilité de soigner les gens » et plus d'un sur dix de « l'impuissance face à la nécessité de prendre en charge des personnes en dehors de mon domaine de compétence ». On touche là du doigt, l'exaspération si souvent manifestée dans nos colonnes d'une corporation effarée de se retrouver soudain sans avoir vraiment les moyens de soigner une maladie infectieuse potentiellement mortelle en plein XXIè siècle…
Et la peur aussi est présente et latente. Que l'on exerce en ville ou qu'on soit en établissement, près des deux tiers des enquêtés confessent que la crainte d'être infecté, de contaminer patients ou proches les a « tout à fait » (35 %) ou « parfois » (29 %) habité durant les événements. Et, même si ce n'est pas la majorité, un nombre conséquent (32 %) confie avoir eu la crainte de ne pas tenir le coup ou de craquer. Les PH étant un peu plus nombreux (37 %) que la moyenne à l'avouer.
Une autre façon de travailler qui laissera des traces
À cause de cela peut-être, la crise – nécessité faisant loi — a rebattu les cartes et redéfini les rôles. Et l'irruption du Covid-19 a d'ailleurs forcé les uns et les autres à très rapidement s'adapter. Notre enquête rend compte de modifications parfois conséquentes de la façon de travailler. L'épidémie a-t-elle modifié l'exercice de votre métier ? Oui, répondent sans hésiter les trois quarts des répondants : 35 % estimant même que ce virage a été radical, pour 41 % qui jugent ce changement moins extrême. C'est en établissement que le changement organisationnel a apparemment pris le plus d'ampleur (82 % des hospitaliers en font état contre 76 % des libéraux). Sans surprise, le recours à la télémédecine est cité en premier par 28 % des médecins que la pandémie a fait bouger professionnellement. La baisse d'activité vient ensuite, évoquée par 25 %, alors qu'une modification d'activité pendant la crise a été vécue par 14 %.
Résultats du questionnaire
Au-delà des situations particulières, le Covid a aussi fait bouger les curseurs et les équilibres entre acteurs. Et visiblement, cela pourrait marquer durablement le système de soins. Quelle donne a le plus changé pendant ce premier semestre 2020 ? 30 % des médecins citent d'emblée les relations médecins patients, 25 % les relations avec les autres soignants, 13 % les relations entre PH et directeurs d'hôpital, 11 % entre hôpitaux et cliniques et 11 % entre ville et hôpital.
Autant dire que l'épisode Covid ne sera pas qu'une parenthèse dans la façon de travailler des médecins. Les médecins ont clairement l'intuition que rien ne sera plus tout à fait comme avant dans les mois qui vont suivre. Quand ils se projettent dans l'avenir, ils sont ainsi 59 % à penser que la période post-crise se traduira par un accroissement de la télémédecine et de la e-santé.
Questions Enquête Resp ublica
D'autres mutations encore sont jugées probables par un bon nombre, même si ce n'est pas la majorité. Ainsi, 41 % misent sur un accroissement de la délégation de tâches en direction des paramédicaux, infirmiers ou sages-femmes, 40 % tablent sur un accroissement de la coopération entre médecine de ville et hôpital et 30 % imaginent bien ici et maintenant des coopérations accrues entre médecine de ville et mairies. Autant de façons d'acter de véritables glissements de terrain, qui sans doute ne resteront pas sans lendemain… Et d'ailleurs, au niveau de la gouvernance et des tutuelles les médecins semblent carrément demandeurs de réformes : aux yeux de la plupart, cela passe par plus d'autonomie pour les acteurs de santé et une association accrue du terrain.
Faites vos propositions pour demain !
Après le constat, la reconstruction : Res publica et Le Quotidien du Médecin lancent dès à présent la deuxième phase de leur enquête auprès des médecins pour imaginer la santé une fois terminée la pandémie. Pour dessiner le monde d'après le Covid et la réorganisation du système de santé, les suggestions et propositions des médecins sont attendues. Rendez-vous en ligne pour déposer une idée, un nouveau concept ou un modèle qui vous paraitrait à même d'améliorer le système de soins et le quotidien de ses acteurs