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Les salariés EARTA, ex-Presstalis trient les journaux et les magazines invendus à Voivres Le Mans, mardi. Photo Rémy Artiges pour Libération
Non retenue pour être la dépositaire dans l'ouest du distributeur restructuré, la société Earta, qui triait jusque là les invendus, se retrouve menacée. Elle emploie 220 personnes en situation de handicap, sur 250 salariés.
«Cela va être très dur de retrouver du travail.» Sous l’immense hangar de l’entreprise Earta, dans la banlieue du Mans (Sarthe), Christelle, trentenaire aux longs cheveux bruns, qui a «du mal à lire et à écrire», et se tient debout devant un tapis roulant où défilent des revues qu’elle doit trier pour retour à l’éditeur, est inquiète. Et n’ose songer aux menaces qui pèsent sur une entreprise dont les différentes activités emploient 220 personnes handicapées sur un effectif total de 250 salariés.
«Cela nous stresse, confie Zaïna Malaquis, 51 ans, qui a elle-même rejoint Earta après de lourds problèmes de santé. Certains sont au bord de la dépression. Ici c’est comme une famille. Et malgré nos handicaps, physiques ou psychologiques, on travaille bien !»
Earta pourrait bien cependant devenir une des victimes collatérales de la restructuration de Presstalis, ex-numéro 1 de la distribution de journaux en France. Placée en redressement judiciaire en mai et rebaptisée France Messagerie, l’entreprise a dû liquider ses filiales régionales, la Soprocom et la SAD, cette dernière confiant jusqu’à présent la gestion des journaux invendus pour le grand ouest à Earta.«On va exploser en plein vol !»
«Sur le site de Voivre-lès-le-Mans, nous recevons environ 250 000 revues par jour, qu’il faut trier, contrôler, renvoyer aux éditeurs ou envoyer au recyclage, indique Didier Rio, le dirigeant de la société, dont l’outil industriel a reçu 800 000 euros d’investissement en 2018, à la demande de Presstalis. Cette activité, qui emploie 60 personnes en situation de handicap représente un tiers du chiffre d’affaires de l’entreprise. Si on nous la retire, on va exploser en plein vol !»
C’est pourtant le scénario catastrophe qui se dessine depuis que France Messagerie et les Messageries Lyonnaises de la presse (MLP), l’autre distributeur de la presse en France, ont décidé d’attribuer leurs «mandats de dépositaire» à de nouvelles structures pour gérer les flux de la presse dans la région, et non à Earta, comme celle-ci l’espérait.
Jeremie Besnard au centre de tri des journaux. Photo Rémy Artiges pour Libération
Passivité de l’Etat
«Alors que nous avions candidaté en nous engageant à reprendre un certain nombre des anciens salariés de la SAD et que Louis Dreyfus [président du directoire du groupe Le Monde et président de la coopérative des quotidiens à l’origine de la transformation de Presstalis en France Messagerie, ndlr] ne parlait que de relations de confiance et de transparence, l’attribution de ces mandats s’est faite dans la plus totale opacité, sans la moindre concertation», enrage Didier Rio. Le dirigeant, plus que tout, dénonce la passivité de l’Etat, qui a versé plus de 150 millions d’euros dans la restructuration. «Pour nous, c’est la ruine sociale annoncée, avec 220 personnes en situation de handicap qui risquent de se retrouver au chômage et l’Etat valide implicitement ce processus !» s’insurge-t-il.
Le patron d’Earta estime que les autres activités de l’entreprise (mises sous pli pour MMA, tests de câbles pour Free ou fabrique de sacs papier pour Leclerc) ne résisteront pas à la perte du marché des journaux invendus. Il met en cause la parole de Louis Dreyfus, qui se serait engagé fin juin, selon lui, à ce que l’entreprise conserve ce marché. France Messagerie justifie quant à elle son choix des nouveaux mandataires pour le grand ouest, en concertation avec MLP, par son souci de trouver «des solutions pérennes et durables» à la poursuite de cette activité dans un marché en constante décroissance.
Pas l’intention de rester les bras croisés
«Nous avons parfaitement conscience des enjeux sociaux de ce dossier, explique un porte-parole de l’entreprise. Mais notre analyse a dû tenir compte des capacités techniques à poursuivre la distribution des journaux dans de brefs délais, de la connaissance des secteurs concernés et de la viabilité économique des projets pour qu’à terme tout le monde ne se retrouve pas en danger.»
France Messagerie et MLP ont jugé préférable de confier leurs mandats de dépositaire à quatre structures différentes portées par d’ex-salariés de la SAD et appelées à gérer également les invendus, plutôt qu’à une seule entité, en l’occurrence Earta. Face aux menaces qui pèsent désormais sur cette «entreprise adaptée», où la gestion des magazines et des quotidiens invendus qui arrivent chaque jour par palettes à Voivres-lès-le Mans, devrait se poursuivre à titre provisoire jusqu’à la fin de l’été, Didier Rio, n’a pas l’intention de rester les bras croisés. Il annonce des recours en justice contre les conditions d’attribution des fameux mandat
Patrick Desbouillon au centre de tri des journaux. Photo Rémy Artiges pour Libération
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